L’aspect jurisprudentiel de la pratique du jeûne, ici exposé, n’est pas mis en œuvre dans un vide : parents et clercs musulmans jouent un rôle crucial dans la socialisation à cette pratique et la façon de la mettre en œuvre.
Si l’on veut contribuer au développement harmonieux d’une pratique spirituelle de haute intensité, allant plus loin que la simple imitation culturelle ou la privation de nourriture, il importe de baliser la pratique des enfants et des adolescent(e)s. Quitte à leur refuser de jeûner pendant une partie plus ou moins considérable de leur adolescence et à les accompagner dans ce choix pour les protéger des pressions éventuelles.
J’aborderai successivement ici le rôle des parents et des imams.
Si l’on veut contribuer au développement harmonieux d’une pratique spirituelle de haute intensité, allant plus loin que la simple imitation culturelle ou la privation de nourriture, il importe de baliser la pratique des enfants et des adolescent(e)s. Quitte à leur refuser de jeûner pendant une partie plus ou moins considérable de leur adolescence et à les accompagner dans ce choix pour les protéger des pressions éventuelles.
J’aborderai successivement ici le rôle des parents et des imams.
3. Le rôle des parents dans l’éducation et le soutien à une pratique religieuse physiquement contraignante
Les parents, les tuteurs/trices légaux/les, ont une responsabilité nodale dans le fait d’aider leurs enfants ou les personnes dont ils ont la charge à développer une pratique harmonieuse et aussi consciente que possible de leur spiritualité.
Il importe donc qu’ils « coachent » ceux-ci de la manière la plus équilibrée possible. Toute la tradition jurisprudentielle souligne le fait que les « actions ne valent que par les intentions », d’où l’insistance sur la capacité de poser des choix réfléchis dans la jurisprudence islamique qui prenait traditionnellement pour repère la puberté. Il a été exposé précédemment que ce repère n’est plus suffisant aujourd’hui pour apprécier la capacité d’un(e) adolescent(e) à poser de tels choix de vie.
Les parents et tuteurs légaux doivent donc encourager la réflexion des jeunes dont ils ont la charge sur leur pratique : pourquoi choisissent-ils de jeûner, de prier, d’accomplir des actes surérogatoires ? Un fois leur décision prise, encore faut-il les accompagner dans leur cheminement. S’il convient impérativement de dissuader les enfants et les jeunes adolescent(e)s de pratiquer le jeûne par imitation, aussi enthousiasmant que cela puisse paraître à chacun, parent comme enfant, il faut également pouvoir expliquer à un(e) jeune adolescent(e) qui aurait débuté son jeûne et qui ne se sent pas en mesure de le tenir dans la durée (et ce quelles qu’en soient les raisons), qu’il est tout à fait acceptable d’arrêter, en particulier en période d’examens. Expliquer aussi que Dieu appréciera sans aucun doute ses efforts et est bien conscient de sa situation, pour éviter toute culpabilisation stérile.
Il importe donc qu’ils « coachent » ceux-ci de la manière la plus équilibrée possible. Toute la tradition jurisprudentielle souligne le fait que les « actions ne valent que par les intentions », d’où l’insistance sur la capacité de poser des choix réfléchis dans la jurisprudence islamique qui prenait traditionnellement pour repère la puberté. Il a été exposé précédemment que ce repère n’est plus suffisant aujourd’hui pour apprécier la capacité d’un(e) adolescent(e) à poser de tels choix de vie.
Les parents et tuteurs légaux doivent donc encourager la réflexion des jeunes dont ils ont la charge sur leur pratique : pourquoi choisissent-ils de jeûner, de prier, d’accomplir des actes surérogatoires ? Un fois leur décision prise, encore faut-il les accompagner dans leur cheminement. S’il convient impérativement de dissuader les enfants et les jeunes adolescent(e)s de pratiquer le jeûne par imitation, aussi enthousiasmant que cela puisse paraître à chacun, parent comme enfant, il faut également pouvoir expliquer à un(e) jeune adolescent(e) qui aurait débuté son jeûne et qui ne se sent pas en mesure de le tenir dans la durée (et ce quelles qu’en soient les raisons), qu’il est tout à fait acceptable d’arrêter, en particulier en période d’examens. Expliquer aussi que Dieu appréciera sans aucun doute ses efforts et est bien conscient de sa situation, pour éviter toute culpabilisation stérile.
En ce sens, il importe que les parents soient particulièrement attentifs à leurs propres discours, et à ceux qui sont véhiculés dans leur entourage, qui pourraient constituer autant de pressions explicites ou implicites sur leurs enfants. Des expressions telles que « Ma shâ’aLlâh, la fille de Halima a commencé son jeûne "toute seule" alors qu’elle n’a que 9 ans et le tient » me paraissent très problématiques : non seulement parce qu’elles normalisent une pratique qui ne devraient pas l’être à cet âge, encouragent à la compétition ou à l’imitation tant les plus jeunes que les moins jeunes (« J’ai 15 ans, je ne jeûne pas et une gamine de 15 ans y arrive, la gêne ») et constituent une forme de pression en suscitant un énorme sentiment de culpabilité, de peur du « Qu’en dira-t-on », du jugement communautaire.
Enfin, de telles expressions ne disent rien de la façon dont cette jeune fille en question passe sa journée, si elle mange ou boit en cachette ou pas, ni quelles sont ses motivations pour accomplir le jeûne ou prétendre l’accomplir (participer à l’ambiance, chercher à faire plaisir à ses parents ou à se conformer à des attentes sociales). Restent l’image et son potentiel de culpabilisation des autres non-jeûneurs/euses. On peut comprendre bien sûr la volonté d’encouragement à une pratique qui participe tant de la spiritualité (son but premier) que du marquage identitaire, du sentiment d’exister en tant que famille, groupe, communauté. Ces derniers peuvent cependant être « activés », induits auprès des plus jeunes, de manière plus souple, par exemple au travers d’un jeûne des sucreries, de la télévision, des jeux vidéo, ou encore d’un jeûne light jusqu’à midi, histoire de partager le sentiment d’effort et de recentrement sur soi. En ce domaine, la créativité des parents sera un atout précieux.
Quant aux parents et tuteurs légaux qui seront confrontés à de jeunes adolescent(e)s qui souhaitent absolument pratiquer le jeûne alors qu’ils estimeraient que ceux/celles-ci n’en auraient pas les capacités, ils/elles sont incité(e)s à prendre contact avec une autorité morale (en passant par les CFCM/CRCM/EMB si nécessaire) qui pourra expliquer au/à la jeune en question pourquoi il est parfois nécessaire de ne pas jeûner dans certaines circonstances et que cela peut constituer aussi un acte d’adoration (au travers du respect du corps, de l’ordonnancement des priorités de vie).
Enfin, de telles expressions ne disent rien de la façon dont cette jeune fille en question passe sa journée, si elle mange ou boit en cachette ou pas, ni quelles sont ses motivations pour accomplir le jeûne ou prétendre l’accomplir (participer à l’ambiance, chercher à faire plaisir à ses parents ou à se conformer à des attentes sociales). Restent l’image et son potentiel de culpabilisation des autres non-jeûneurs/euses. On peut comprendre bien sûr la volonté d’encouragement à une pratique qui participe tant de la spiritualité (son but premier) que du marquage identitaire, du sentiment d’exister en tant que famille, groupe, communauté. Ces derniers peuvent cependant être « activés », induits auprès des plus jeunes, de manière plus souple, par exemple au travers d’un jeûne des sucreries, de la télévision, des jeux vidéo, ou encore d’un jeûne light jusqu’à midi, histoire de partager le sentiment d’effort et de recentrement sur soi. En ce domaine, la créativité des parents sera un atout précieux.
Quant aux parents et tuteurs légaux qui seront confrontés à de jeunes adolescent(e)s qui souhaitent absolument pratiquer le jeûne alors qu’ils estimeraient que ceux/celles-ci n’en auraient pas les capacités, ils/elles sont incité(e)s à prendre contact avec une autorité morale (en passant par les CFCM/CRCM/EMB si nécessaire) qui pourra expliquer au/à la jeune en question pourquoi il est parfois nécessaire de ne pas jeûner dans certaines circonstances et que cela peut constituer aussi un acte d’adoration (au travers du respect du corps, de l’ordonnancement des priorités de vie).
4. Le rôle des autorités religieuses dans la guidance spirituelle
Il importe que les imams, les prédicateurs/trices et autres personnes de référence en matière de guidance spirituelle alignent leur discours pour éviter de troubler les jeunes et les adultes qui en ont la charge quant à l’âge à partir duquel il conviendrait de jeûner si l’on a pour but d’aller vers un changement plus structurel au niveau des pratiques communautaires en France et en Belgique.
Comme je le soulignais dans mes conclusions de la première partie, le contexte inédit auquel nous faisons face, avec un nombre historiquement sans précédent d’adolescent(e)s et de jeunes adultes en situation de jeûne pendant cette période difficile impose aux oulémas de se positionner avec clarté et d’être à la hauteur des défis du moment. CFCM, EMB, unions d’imams et autres plateformes ayant une quelconque légitimité à produire de la normativité islamique, il est impératif de publier des directives claires en la matière, au risque d’être rendus encore plus « non pertinents » dans le regard des musulman(e)s de nos pays.
J’entends bien que, dès que l’on aborde cette question, nombreux sont celles et ceux qui clament leur volonté autonome d’accomplir ce rite et de n’avoir pas besoin qu’un imam leur dise que faire ou que penser. Cependant, à rebours de ces déclarations certainement sincères, l’observation de la pratique quotidienne démontre l’énorme difficulté des musulman(e)s « lambda » de vivre leurs choix de manière apaisée, sans culpabilisation. J’y reviens encore, car il s’agit là d’une toute autre dimension qui constitue un des nœuds de cette problématique.
On peut très bien prendre la décision de ne pas jeûner ou d’alléger ses heures, que l’on soit un(e) adulte, ou plus particulièrement encore, un(e) adolescent(e) ou un enfant, mais le sentiment de déloyauté au groupe, de faire quelque chose de « mal », de passer pour un(e) faible, la peur du regard et du jugement de l’autre restent si intimement prégnant que d’aucuns renoncent à ce choix, ou ne l’assument pas et mangent en cachette, victimes d’une schizophrénie communautaire. Celle-ci consiste à contribuer à la perpétuation du mythe d’une pratique populaire unifiante, partagée par tou-te-s, renforçant dès lors la pression sur l’ensemble du groupe en projetant l’image d’une pratique unanime, ne souffrant aucune remise en cause ni distanciation – tout en prétendant paradoxalement dans le même temps que chacun-e serait libre de faire ce qu’il/elle veut.
Comme je le soulignais dans mes conclusions de la première partie, le contexte inédit auquel nous faisons face, avec un nombre historiquement sans précédent d’adolescent(e)s et de jeunes adultes en situation de jeûne pendant cette période difficile impose aux oulémas de se positionner avec clarté et d’être à la hauteur des défis du moment. CFCM, EMB, unions d’imams et autres plateformes ayant une quelconque légitimité à produire de la normativité islamique, il est impératif de publier des directives claires en la matière, au risque d’être rendus encore plus « non pertinents » dans le regard des musulman(e)s de nos pays.
J’entends bien que, dès que l’on aborde cette question, nombreux sont celles et ceux qui clament leur volonté autonome d’accomplir ce rite et de n’avoir pas besoin qu’un imam leur dise que faire ou que penser. Cependant, à rebours de ces déclarations certainement sincères, l’observation de la pratique quotidienne démontre l’énorme difficulté des musulman(e)s « lambda » de vivre leurs choix de manière apaisée, sans culpabilisation. J’y reviens encore, car il s’agit là d’une toute autre dimension qui constitue un des nœuds de cette problématique.
On peut très bien prendre la décision de ne pas jeûner ou d’alléger ses heures, que l’on soit un(e) adulte, ou plus particulièrement encore, un(e) adolescent(e) ou un enfant, mais le sentiment de déloyauté au groupe, de faire quelque chose de « mal », de passer pour un(e) faible, la peur du regard et du jugement de l’autre restent si intimement prégnant que d’aucuns renoncent à ce choix, ou ne l’assument pas et mangent en cachette, victimes d’une schizophrénie communautaire. Celle-ci consiste à contribuer à la perpétuation du mythe d’une pratique populaire unifiante, partagée par tou-te-s, renforçant dès lors la pression sur l’ensemble du groupe en projetant l’image d’une pratique unanime, ne souffrant aucune remise en cause ni distanciation – tout en prétendant paradoxalement dans le même temps que chacun-e serait libre de faire ce qu’il/elle veut.
Dans le même ordre d’idée, il faut pouvoir analyser d’un œil critique – pour leur potentiel d’injonction au conformisme social qu’ils véhiculent implicitement au moins – tous ces statuts publiés sur les réseaux sociaux à l’approche du Ramadan exposant « l’amour de ce mois béni », « havre de paix et de spiritualité intense », « au cours duquel je me rapproche de mon Seigneur », « au cours duquel tous les musulmans sont heureux », « ce mois qui nous a manqué pendant toute l’année et que nous nous réjouissons de revoir », « ce mois dont l’appel résonne dans nos cœurs et qui va nous apporter le bonheur ». Et autres formules convenues dont on peut se demander quelle en est la fonction véritable – sans douter de la sincérité de leurs auteur(e)s – et si elles ne relèveraient pas plus de la méthode Coué pour s’encourager à un effort que l’on redouterait ? Quoiqu’il en soit, leur impact en matière de diffusion d’un imaginaire, voire d’uniformisation d’une certaine normativité, n’est pas à négliger.
Or, dans cet état de fait, les diffuseurs de discours (imams, oulémas, responsables communautaires, prédicateurs/trices) ont une responsabilité sans pareille : ils/elles ont contribué directement à la consolidation et à l’uniformisation de cette pratique, en gardant le silence sur ses allègements possibles alors qu’ils existent, en ne faisant qu’insister sur l’impériosité de sa mise en œuvre et en ne disant mot sur la possibilité du choix ainsi que sur le nécessaire respect du choix de tout(e) croyant(e), quel qu’il soit, en matière de pratique du jeûne. Un tel angle mort dans des discours prescripteurs répercutés à tous les étages d’une communauté de foi a des conséquences fondamentales sur l’imaginaire qu’elle développe quant à ses pratiques, leurs significations, leur nécessité et les marges possibles dans leur mise en œuvre.
A tel point qu’à l’autre bout de la pyramide des âges, on connaît tou-te-s une vieille tante ou un vieil oncle diabétique qui préfère risquer sa vie à jeûner impérativement plutôt que de se soigner tellement la peur et la culpabilité les étreignent, parce qu’ils/elles n’ont rencontré que des diffuseurs/euses de discours religieux qui ont oublié de rappeler que Dieu était aussi (et même avant tout) miséricordieux et pardonneur, car connaissant mieux que quiconque la situation individuelle de chacun-e. Mais c’est sans compter sur le regard de son voisin, bien plus proche et (supposément) plus réprobateur que celui de Dieu. Bien sûr, ces diffuseurs de discours auront eu « leurs raisons » : beaucoup sont né(e)s et ont été socialisé(e)s dans des pays où le non-respect public du jeûne est encore criminalisé (Maroc, Tunisie, pour ne citer qu’eux), renforçant la pression sociale, et la transposant dans les contrées européennes.
Or, dans cet état de fait, les diffuseurs de discours (imams, oulémas, responsables communautaires, prédicateurs/trices) ont une responsabilité sans pareille : ils/elles ont contribué directement à la consolidation et à l’uniformisation de cette pratique, en gardant le silence sur ses allègements possibles alors qu’ils existent, en ne faisant qu’insister sur l’impériosité de sa mise en œuvre et en ne disant mot sur la possibilité du choix ainsi que sur le nécessaire respect du choix de tout(e) croyant(e), quel qu’il soit, en matière de pratique du jeûne. Un tel angle mort dans des discours prescripteurs répercutés à tous les étages d’une communauté de foi a des conséquences fondamentales sur l’imaginaire qu’elle développe quant à ses pratiques, leurs significations, leur nécessité et les marges possibles dans leur mise en œuvre.
A tel point qu’à l’autre bout de la pyramide des âges, on connaît tou-te-s une vieille tante ou un vieil oncle diabétique qui préfère risquer sa vie à jeûner impérativement plutôt que de se soigner tellement la peur et la culpabilité les étreignent, parce qu’ils/elles n’ont rencontré que des diffuseurs/euses de discours religieux qui ont oublié de rappeler que Dieu était aussi (et même avant tout) miséricordieux et pardonneur, car connaissant mieux que quiconque la situation individuelle de chacun-e. Mais c’est sans compter sur le regard de son voisin, bien plus proche et (supposément) plus réprobateur que celui de Dieu. Bien sûr, ces diffuseurs de discours auront eu « leurs raisons » : beaucoup sont né(e)s et ont été socialisé(e)s dans des pays où le non-respect public du jeûne est encore criminalisé (Maroc, Tunisie, pour ne citer qu’eux), renforçant la pression sociale, et la transposant dans les contrées européennes.
Se posent-ils la question de leur responsabilité sociétale dans la perpétuation de pratiques, ou plutôt de rapports à des pratiques, qui peuvent entraîner des conséquences graves pour leurs ouailles, faute d’avoir développé un discours construit présentant des alternatives, déculpabilisant, ouvrant à la possibilité d’un non-jeûne sans être considéré(e) comme irrémédiablement damné(e) ?
Si d’aucuns rétorqueront que chacun-e est libre en la matière, et qu’ils n’ont donc aucune responsabilité dans l’advenue de la situation actuelle, je pense au contraire que l’absence d’un discours public, cohérent et assumé par des autorités morales telles que les oulémas sur l’existence d’alternatives, oblitère des possibles et enferme le/la croyant(e) dans un non-choix. Elle le/la laisse seul(e) face à la responsabilité d’assumer ce qui est dès lors construit, implicitement ou explicitement, comme une désobéissance majeure à Dieu lui-même dans le cadre de la théologie la plus répandue, à savoir celle qui dépeint Dieu comme axé sur la punition, « fournisseur officiel » de l’Enfer plutôt que du Paradis.
Détacher la pratique du jeûne de l’imaginaire problématique dans lequel elle s’insère ne permet pas de comprendre pourquoi tant de gens ont des difficultés à assumer un choix différent. Or, me semble-t-il, ce qui fait la force d’une communauté religieuse, c’est moins la quantité de fidèles à moitié (voire pas du tout) convaincus, que la qualité de celles et ceux qui s’engagent en toute connaissance de cause, et non parce qu’ils/elles auraient peur de ce que leurs voisins en penseront.
Les diffuseurs/euses de discours religieux ont donc une responsabilité princeps dans l’accompagnement spirituel de leurs fidèles. Celle-ci ne consiste pas seulement à marteler un modèle unique, mais à dire publiquement et collectivement, qu’il y a pluralité de choix, avec des mérites différents, certes, mais qui ne déméritent en aucun cas. Or, si précisément, les « œuvres ne valent que par les intentions », cela implique d’assumer, collectivement, en tant que communauté de foi, que l’on doit soutenir la liberté de chacun-e de développer son intentionnalité, y compris si cela mène à la non-pratique du jeûne en l’occurrence ou à une pratique modulée.
En ce sens, la criminalisation de la non-pratique du jeûne que l’on constate dans plusieurs pays à majorité musulmane, est profondément anti-islamique, car contrevenant à ce principe fondamental de la qualité de l’intentionnalité dans la jurisprudence traditionnelle. Nos sociétés offrent donc un espace unique – fondé sur la liberté individuelle – de pouvoir mettre en pratique un islam plus fidèle à son esprit d’origine d’une manière sans précédent depuis plusieurs siècles. Il appartient aux responsables religieux musulmans d’être à la hauteur de ce défi, en contribuant à libérer la pratique du/de la musulman(e) des contraintes sociales et communautaires, pour lui permettre de refonder ses choix, tout en l’accompagnant dans l’évolution de son rapport aux pratiques spirituelles proposées par l’islam. Ce n’est pas facile, c’est un changement de paradigme profond, mais en même temps, personne n’a dit qu’être responsable religieux était une sinécure.
Il importe donc que le plus grand nombre de diffuseurs/euses de discours islamiques en Belgique et en France adoptent une attitude commune en la matière et soutiennent les adultes responsables de l’éducation des jeunes dont ils ont la charge dans la mise en œuvre de l’approche à la pratique du jeûne décrite dans la première partie de cet article. Il va de soi que les bénéfices d’une approche plus souple, plus graduelle et plus respectueuse des choix individuels – en vue de retrouver l’élan d’une intentionnalité ciblée sur la seule recherche de l’élévation spirituelle – s’étendra à l’ensemble des fidèles, quel que soit leur âge.
*****
Michael Privot est islamologue.
Lire aussi :
Ados et jeunes adultes face au Ramadan : Jeûner pendant les examens ? A partir de quel âge ?
Ramadan : préserver sa santé, une obligation au-dessus du jeûne
Ramadan : une fatwa autorise les candidats au bac à rompre le jeûne
Si d’aucuns rétorqueront que chacun-e est libre en la matière, et qu’ils n’ont donc aucune responsabilité dans l’advenue de la situation actuelle, je pense au contraire que l’absence d’un discours public, cohérent et assumé par des autorités morales telles que les oulémas sur l’existence d’alternatives, oblitère des possibles et enferme le/la croyant(e) dans un non-choix. Elle le/la laisse seul(e) face à la responsabilité d’assumer ce qui est dès lors construit, implicitement ou explicitement, comme une désobéissance majeure à Dieu lui-même dans le cadre de la théologie la plus répandue, à savoir celle qui dépeint Dieu comme axé sur la punition, « fournisseur officiel » de l’Enfer plutôt que du Paradis.
Détacher la pratique du jeûne de l’imaginaire problématique dans lequel elle s’insère ne permet pas de comprendre pourquoi tant de gens ont des difficultés à assumer un choix différent. Or, me semble-t-il, ce qui fait la force d’une communauté religieuse, c’est moins la quantité de fidèles à moitié (voire pas du tout) convaincus, que la qualité de celles et ceux qui s’engagent en toute connaissance de cause, et non parce qu’ils/elles auraient peur de ce que leurs voisins en penseront.
Les diffuseurs/euses de discours religieux ont donc une responsabilité princeps dans l’accompagnement spirituel de leurs fidèles. Celle-ci ne consiste pas seulement à marteler un modèle unique, mais à dire publiquement et collectivement, qu’il y a pluralité de choix, avec des mérites différents, certes, mais qui ne déméritent en aucun cas. Or, si précisément, les « œuvres ne valent que par les intentions », cela implique d’assumer, collectivement, en tant que communauté de foi, que l’on doit soutenir la liberté de chacun-e de développer son intentionnalité, y compris si cela mène à la non-pratique du jeûne en l’occurrence ou à une pratique modulée.
En ce sens, la criminalisation de la non-pratique du jeûne que l’on constate dans plusieurs pays à majorité musulmane, est profondément anti-islamique, car contrevenant à ce principe fondamental de la qualité de l’intentionnalité dans la jurisprudence traditionnelle. Nos sociétés offrent donc un espace unique – fondé sur la liberté individuelle – de pouvoir mettre en pratique un islam plus fidèle à son esprit d’origine d’une manière sans précédent depuis plusieurs siècles. Il appartient aux responsables religieux musulmans d’être à la hauteur de ce défi, en contribuant à libérer la pratique du/de la musulman(e) des contraintes sociales et communautaires, pour lui permettre de refonder ses choix, tout en l’accompagnant dans l’évolution de son rapport aux pratiques spirituelles proposées par l’islam. Ce n’est pas facile, c’est un changement de paradigme profond, mais en même temps, personne n’a dit qu’être responsable religieux était une sinécure.
Il importe donc que le plus grand nombre de diffuseurs/euses de discours islamiques en Belgique et en France adoptent une attitude commune en la matière et soutiennent les adultes responsables de l’éducation des jeunes dont ils ont la charge dans la mise en œuvre de l’approche à la pratique du jeûne décrite dans la première partie de cet article. Il va de soi que les bénéfices d’une approche plus souple, plus graduelle et plus respectueuse des choix individuels – en vue de retrouver l’élan d’une intentionnalité ciblée sur la seule recherche de l’élévation spirituelle – s’étendra à l’ensemble des fidèles, quel que soit leur âge.
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Michael Privot est islamologue.
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