Société

Rassemblement à la mosquée d'Istres : le gouvernement absent

Mobilisation pour la sécurité du lieu de culte

Rédigé par Leïla Belghiti et Huê Trinh Nguyên | Vendredi 30 Avril 2010 à 19:59

Plus de 500 personnes ont rejoint l'appel au rassemblement, après la prière du vendredi saint, à la mosquée d'Istres (Bouches-du-Rhône), qui avait été victime de tirs de balles dans la nuit de samedi à dimanche. L'absence de ministres s'est faite largement remarquée...



La vue de la façade de la mosquée trouée par l'impact d'une trentaine de balles restera gravée à jamais dans la mémoire des centaines de personnes venues à Istres de toute la région pour dénoncer la violence anti-musulmane et réclamer la fin des polémiques qui se font depuis plus de neuf mois incessantes sur l'islam.

« Entre 500 et 700 personnes ont participé au rassemblement », se réjouit Khalid Belkadir, président du Conseil régional du culte musulman (CRCM) de la région PACA. Parmi elles, le sous-préfet d'Istres, de nombreux responsables musulmans et associatifs, le pasteur de l'église évangélique voisine de la mosquée ainsi que le père Christophe Dufour, représentant l'archevêque d'Aix-en-Provence.

Côté personnalités politiques étaient présents surtout les élus locaux. Le président PS de la Région, Michel Vauzelle, qui se dit « fier d’être le président d’une Région où les valeurs musulmanes sont respectées. Cette fierté est à la hauteur de la douleur que je veux exprimer face à cette acte », tout en dénonçant « des personnalités chargées de hautes fonctions qui tiennent des propos inacceptables qui caricaturent l’islam » ; le maire d'Istres François Bernardini (DVG) qui souligne que « les communautés, à Istres, se sont toujours tenues en estime mutuelle, en amitié réciproque » ; mais aussi le vice-président PS du conseil régional, Patrick Mennucci, ainsi que les députés PS Henri Jibrayel et PCF Michel Vaxès.

Bref, que des « gauches », et pas un ministre et encore moins « un » président à l'horizon − il est vrai, en pleine visite officielle dans l'Empire du milieu. De quoi agacer la communauté musulmane. Et comme pour enfoncer le clou (involontairement), le sous-préfet d'Istres, Roger Reuter, a assuré la foule de « la solidarité du gouvernement » (sic).

Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), présent lui aussi, ne nous cache pas son mécontentement : « Nous aurions souhaité une présence plus importante de personnalités politiques et notamment de ministres », déplore-t-il, excusant tout de même le ministre de l'Intérieur, à l'étranger à l'heure qu'il est. « Mais tout de même, reprend-il, pour ce type d'événement, l'urgence s'organise ! », soulignant qu'« il s'agit là de tirs de Kalachnikov, donc d'armes de guerre, c'est très sérieux. »

L'urgence : assurer la sécurité des lieux de culte musulman

C'est en effet la première fois qu'un lieu de culte – en l'occurrence musulman – est mitraillé. « Effroi mêlé à de l'incompréhension », se rappelle avoir ressenti Soufiane Torkmani à l'annonce de la profanation de la mosquée. Ce natif d'Istres, aujourd'hui chargé de mission à l'Institut des cultures d'islam à Paris, raconte ainsi avoir été « doublement touché ».

« Cette mosquée d’une superficie totale de 1 200 mètres carrés a nécessité près de 1 million d’euros de fonds, somme qui a été rassemblée grâce aux dons versés par les musulmans d’Istres et de ses environs. À l’heure où les musulmans de France sont au banc des accusés et que tous les fantasmes circulent sur les constructions de mosquées, il faut savoir que l’édification de cet édifice n’a fait l’objet d’aucun financement étranger ! Chacun, à l'image des bâtisseurs des cathédrales au Moyen Âge, a donné de son argent, de son temps et de ses talents pour l'édification de ce lieu », rappelle M. Torkmani, cofondateur et ancien président de l'association culturelle d'Istres « Élève-toi », aux côtés de Lachmi Barbachi et de Brahim Chetti.

Et de déplorer : « Cet acte de vandalisme bafoue tout le travail effectué par les fidèles de la mosquée Ar-Rahma, qui développent l'art de vivre ensemble et la fierté d'être Istréens. C'est une mosquée digne et respectable, qui rayonne dans toute la Région. »

Ainsi, tout en dénombrant pas moins d'une dizaine d'actes islamophobes au cours de son discours prononcé devant la foule, M. Moussaoui en appelle aux consciences : « Faudra-t-il des victimes pour qu’enfin les consciences se réveillent ? » « Des pyromanes et autres adversaires du vivre-ensemble font des musulmans les boucs émissaires de tous les maux dont souffriraient la France... », dénonce-t-il encore.

L'agenda du représentant officiel des musulmans de France est loin d'être vide. « On aurait aimé déployer cette énergie dans les vraies préoccupations des musulmans », nous confie-t-il, « comme le halal par exemple ». L'urgence est désormais de « trouver les dispositions qui assureraient la sécurité et la protection des lieux de culte musulman ».

Deux poids, deux mesures ?

En 2002, plus d'un millier de policiers avaient été dépêchés par le gouvernement pour assurer la protection des lieux de culte juif en France qui avaient fait l'objet de profanations (cinq agressions recensées dans plusieurs villes de France, le week-end de Pâques). Le Président Jacques Chirac s'était rendu à la synagogue du Havre, en Seine-Maritime. Depuis son élection, le président Sarkozy ne manque pas d'assurer de son soutien moral et une sécurité policière massive aux lieux de culte juif victimes d'agressions.

En attendant que l'État agisse sur la sécurité des lieux de culte musulman, la mosquée Ar-Rahma d'Istres a d'ores et déjà lancé une récolte de fonds pour financer, dans l'urgence, une surveillance vidéo du site de la mosquée. Sur Facebook, en l'espace de quatre jours, plus de 900 personnes se sont déjà inscrites spontanément en « Solidarité avec la mosquée d'Istres ».

« Si la façade de notre mosquée a été atteinte, nous, musulmans d’Istres et de France, sommes assez matures pour évoluer dans un climat serein et apaisé. Votre présence massive ici, aujourd’hui, est le symbole du respect dans l’acceptation de l’autre et le refus de toutes les violences », a enfin tenu à saluer Djamel Bedra, président de l'association musulmane d'Istres.