Politique

Rendre l'illégal légal ? La controverse autour du burkini est loin d’être terminée

Rédigé par | Mardi 30 Aout 2016 à 08:00

Trois jours après la décision du Conseil d'Etat de suspendre l'arrêté anti-burkini pris à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), les débats sont toujours aussi âpres. Des élus sont déterminés à maintenir l'interdiction du maillot de bain de la discorde sur ses plages. L'opposition de droite prépare une proposition de loi visant à rendre l'illégal légal.



Le Conseil d’Etat a tranché vendredi 26 août en se prononçant contre l’arrêté anti-burkini de la municipalité de Villeneuve-Loubet. Ainsi, les femmes portant un foulard ou un maillot de bain intégral jugés islamiques ne devront pas pouvoir être verbalisées sur les plages de la petite ville du littoral azuréen.

Sur le principe, la trentaine d’autres communes devraient d’eux-mêmes retirer leurs arrêtés, similaires à celui pris à Villeneuve-Loubet et donc illégaux. La décision du Conseil d'Etat fait en effet jurisprudence pour l'ensemble des villes. Les amendes distribuées ces dernières semaines à des femmes devraient aussi être invalidées.

En Haute-Corse, le maire de Cagnano, Albert Mattei a décidé, pour sa part, de les invalider, jugeant avoir « peut-être été un peu vite car, personnellement, (il a) fait cet arrêté pour défendre la liberté des femmes, mais on constate que beaucoup de gens demandent à pouvoir le porter ». « Je ne vais pas restreindre les libertés individuelles, sinon on va finir par prendre un arrêté anti-seins nus ou autres. Et enfin, ça ne gêne pas grand monde », a-t-il affirmé.

Des villes assignées en justice

Cependant, dès la décision du Conseil d'Etat rendue, plusieurs élus ont affirmé qu’ils maintiendraient les interdictions. Ils attendent même que leurs arrêtés soient cassés... par la plus haute juridiction française. C’est le cas du maire de Sisco, en Corse, dont le village a été très médiatisé suite à une rixe entre des villageois et une famille d’origine marocaine.

Même son de cloche à Nice. A Leucate, dans l’Aude, Michel Py a fait savoir qu'il n'y a pas lieu de prolonger l'arrêté d'interdiction « après le 31 août car l'essentiel de la saison touristique est passée. » Mais il estime que son choix a « montré son efficacité car depuis sa signature (le 17 août) je n'ai eu qu'un cas. Et à l'intervention de la police, ils ont quitté la plage sans qu'il y ait verbalisation ». David Rachline, le maire FN de Fréjus, toujours apprêté pour mener la vie dure aux musulmans déclare que « l'arrêté de Fréjus est toujours valable (…), aucune procédure n'est en cours contre notre arrêté », rappelant par que le texte court jusqu'au 12 septembre.

« On va notifier tous les maires de la décision et leur demander de supprimer les arrêtés. S'ils ont la moindre lucidité, ils le feront. S'il leur prend de les maintenir, on continuera jusqu'au dernier » déclare de son côté Marwan Muhammad, directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) qui, avec la Ligue des droits de l’homme (LDH) est à l’origine de la saisine du Conseil d’Etat. Les villes de Nice, Roquebrune-Cap-Martin, Menton et Fréjus ont d'ailleurs été assignées en justice, a annoncé l'association lundi 29 août.

Une bataille idéologique s’annonce pour la suite. Le maire LR de Leucate ne s’en cache pas : « Cela me rappelle l'affaire du voile à l'école, il a fallu attendre 15 ans pour avoir une loi. J'espère qu'on n'aura pas à attendre 15 ans pour interdire le burkini. » Plusieurs membres du parti Les Républicains se sont exprimés en faveur d’une loi pour contrecarrer l’ordonnance du Conseil d’Etat.

Guillaume Larrivé, député de l’Yonne et porte-parole du parti, annonce préparer avec Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et futur porte-parole de la campagne de Nicolas Sarkozy, « une proposition de loi pour sécuriser les décisions des maires interdisant le burkini », qui sera présentée à l’Assemblée nationale en septembre. Au FN, Florian Philippot juge, toute en finesse, que « face à la faiblesse du Conseil d’Etat, au législateur maintenant d’être responsable et d’interdire ce vêtement d’apartheid ! »

Manuel Valls appelé en soutien

Même s’il ne s’est pas prononcé en faveur d’une loi, le Premier ministre Manuel Valls souhaite qu’il y ait un débat, qui se poserait dans les mêmes termes que celui de l’opposition comme en atteste ses déclarations le soir de la décision du Conseil d’Etat. « Ce débat n’est pas anodin. C’est un débat de fond, qui vient après d’autres : il y a 30 ans, la question du foulard dans les écoles, puis la loi de 2004 sur le port de signes religieux, et celle de 2010 sur le voile intégral dans l’espace public. »

Fidèle à son obsession sur le voile, l’ancien maire d’Evry estime que « dénoncer le burkini, ce n’est en aucun cas mettre en cause une liberté individuelle. Il n’y a pas de liberté qui enferme les femmes ! C’est dénoncer un islamisme mortifère, rétrograde ».

Laurent Wauquiez, fraîchement introduit président du parti Les Républicains, encourage le Premier ministre à franchir le pas car « le Conseil d'Etat dit ce qui ne peut pas être fait à droit constant. Qu'on change alors le droit ! ». « Je demande donc à Manuel Valls de joindre enfin les actes aux paroles et de légiférer », ajoute le président de la région Auvergne-Rhônes-Alpes, pour qui « ce n'est pas à la politique de s'adapter au droit, c’est au droit d'être adapté aux objectifs politiques majeurs tels que la lutte contre le communautarisme ».

Changer la constitution pour Sarkozy

Une loi interdisant le port de tenues religieuses jugées « ostentatoires » - au-delà du burkini - sur les plages risque de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel pour les mêmes raisons que le Conseil d’Etat qui rappelle que la laïcité « ne peut s’imposer directement à la société ou aux individus qu’en raison des exigences propres à certains services publics ». Ce qui ne pose aucun problème à Nicolas Sarkozy qui veut « changer la Constitution ». « On l'a changée une petite trentaine de fois, c'est pas gênant », a-t-il poursuivi.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) espère que la décision du Conseil d’Etat mette fin au « débat hystérique autour du burkini et marque le retour à la raison ». Pas encore, constate-t-on. Un clivage gauche-droite assez clair semble établi depuis l’ordonnance du 26 août, la gauche se montrant globalement hostile à une loi interdisant le burkini.