Cinéma, DVD

« Rengaine », la fiancée aux 40 frères

Rédigé par | Vendredi 16 Novembre 2012 à 18:57

Une fable urbaine d’un amour qui semble interdit en plein XXIe siècle : différence de « couleur », différence de religion… Le racisme et l’intolérance existent-ils encore, même parmi les jeunes qui ont grandi dans une société pluriculturelle ? Oui, parce que chaque être humain, enfermé dans ses certitudes, est surtout empli d’une immense fragilité. Rachid Djaïdani nous le dit avec humour et force dans « Rengaine ».



« Rengaine », premier long métrage de Rachid Djaïdani, est une pépite de portraits de la jeunesse d'aujourd'hui.
Il nous avait bluffés il y a 2 ans avec ses courts métrages Une heure avant la datte diffusés sur le Net, il nous époustoufle aujourd’hui avec Rengaine, son premier film sur grand écran – qu’il a mis 9 ans à parachever, sans financement, en étant tout à la fois réalisateur, scénariste, caméraman, ingénieur du son, monteur et producteur…

Rachid Djaïdani nous conte ici une histoire d’amour comme il en a tant existé au cours de l’Histoire et dans bien des contrées du monde : un homme et une femme s’aiment et voudraient se marier. Quoi de plus simple ? Sauf que les Roméo et Juliette de Rengaine sont deux trentenaires Parisiens : Dorcy (Stéphane Soo Mongo), un comédien qui cherche du boulot, amoureux de Sabrina (Sabrina Hamida), demande celle-ci en mariage en plein mois de Ramadan. Mais, bien que tous deux enfants de France et s’aimant parce que l’amour n’a pas de frontières, leur mariage ne semble pas pouvoir se réaliser : Dorcy est Noir et chrétien, et Sabrina est musulmane dotée de 40 frères.

S’enchaîne alors une étonnante traversée de Paris au côté de Slimane (Slimane Dazi), le frère aîné de Sabrina, qui cherchera à convaincre ses frères à s’opposer, comme lui, au mariage de leur sœur : au nom des traditions, au nom des valeurs familiales, au nom de la religion.

On ne verra pas tous les « 40 frères » – dont il n’échappera à personne la référence au conte d’Ali Baba des Mille et Une Nuits –, mais suffisamment pour aller à la rencontre d’une série de personnages, des frères qui se distinguent l’un l’autre, autant de portraits d’hommes qui mettent à bas les images liées au « frère maghrébin qui surveille sa sœur ».

Il y a celui qui partage amicalement la rupture du jeûne avec son ami musulman « noir » mais qui lui avouera ne pas pouvoir supporter qu’un Noir entre dans sa famille si jamais sa sœur se marie avec l’être désiré. Il y a l’inspecteur de police que Slimane tente à tout prix de faire jouer son pouvoir de fonctionnaire de police pour empêcher le mariage : « Je ne vais pas faire une filature parce que ma sœur se marie ! » Il y a celui pour qui la liberté prime : « C’est ta sœur, pas ta femme ! », rétorque-t-il à Slimane, l’aîné jaloux. Il y a celui, d’une douceur infinie, rejeté par ses 39 frères depuis 30 ans parce qu’il a choisi d’assumer son choix de vie, qui a le courage de pousser Slimane jusque dans ses retranchements.

Car Slimane, l’empêcheur de mariage, bien loin des « valeurs traditionnelles » dont il prétend être le gardien, a, lui aussi, son jardin secret. Ce quarantenaire n’a pas su affirmer au grand jour son amour pour une femme depuis tant d’années. Parce qu’elle est juive. « Je ne connais pas ton père, ta mère, tes frères, ta sœur : le bonheur n’est pas un secret ! », lui tance-t-elle.

C’est ainsi que Rachid Djaïdani nous entraîne dans son univers : à travers les « frères » mais aussi tous les « potes » qui gravitent autour de Dorcy, le réalisateur met à mal les stéréotypes (racisme envers les Noirs, liberté “limitée” de la femme maghrébine, interdits religieux), souligne avec humour les travers de ceux qui se disent musulmans (le pote de Dorcy qui le conseille d’aller voir « le daron de Sabrina » pour la demander en mariage parce que ça se fait ainsi en islam, alors qu’il s’abreuve à la terrasse d’un café en plein jour de Ramadan ; le jeûneur en bas d’immeuble qui n’en reste pas moins dealer en proposant du shit à Dorcy…).

Rachid Djaïdani a le propos acéré, sans concession : sa caméra course presque ses personnages, déambule dans la rue, parcourt la ville, longe les immeubles, rendant le film « urbain », haletant, pressé par l’urgence de la situation ; au plus près des visages, la caméra montre la fébrilité, l’attente, la passion aussi, cherchant surtout à creuser les peurs intérieures qui se cachent derrière la colère, le ressentiment et le qu’en dira-t-on.

Car il s’agit bien là de creuser l’âme humaine. Avec des pointes d’humour et une écriture vive, Rachid Djaïdani – ancien boxeur, ancien acteur chez Peter Brook et auteur de romans remarqués – nous rappelle dans Rengaine – un OVNI filmique qui nous cogne le cœur – combien priment avant tout la liberté d’aimer et, surtout, la liberté d’être soi.


Rengaine, de Rachid Djaïdani, sorti en salles le 14 novembre. Prix Michel d’Ornano 2012 ; prix FIPRESCI 2012.



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur