Société

Repenser les relations avec les seniors à l’ère de la Covid-19

Rédigé par Radjaa Abdelsadok et Hanan Ben Rhouma | Lundi 30 Novembre 2020 à 12:55

La pandémie de la Covid-19 n’a pas seulement bouleversé l’économie et le système de santé, elle a également impacté nos modes de vies et nos habitudes, en particulier celles de toute une tranche de la population que sont les seniors. Une population plus durement impactée par les mesures d’isolement et de confinement et qu’il convient plus que jamais de prendre soin dans nos sociétés.



La crise sanitaire liée au nouveau coronavirus constitue un réel défi au quotidien pour les seniors, classés au rang des populations « à risques ». Deux chiffres sont, à ce titre, éloquents. Entre le 1er mars et le 26 novembre 2020, 93 % des cas Covid-19 décédés en France sont âgés de plus de 65 ans, selon Santé Publique France. Un tiers des décès – plus de 52 300 en date du 30 novembre – sont survenus dans les résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Face au danger posé par la propagation d’un virus dont le vaccin se fait attendre, tout à chacun est appelé par les pouvoirs publics à restreindre ses interactions sociales, y compris avec ses proches parents. Et parce que l'âge apparaît comme un des facteurs principaux de risque de développer une forme grave de l'infection par la Covid-19, une vigilance accrue est de mise pour les plus âgés et les plus fragiles afin de mieux les protéger.

Un délitement des liens sociaux aux conséquences néfastes

Cette prudence nécessaire n’est pas sans conséquences sociales et psychologiques pour les aînés, qui sont de plus en plus susceptibles de vivre seuls, sans cohabitation avec leurs éventuels enfants. Selon le Département des affaires économiques et sociales (DAES) de l’ONU, ce phénomène concerne 17 % des femmes et 9 % des hommes de plus de 60 ans dans le monde. Pour celles et ceux qui résident dans les maisons de retraite, les mesures d’isolement ou de confinement qui leur sont imposées selon la situation épidémiologique de leur région sont tout aussi mal vécues.

Que ce soit dans le rapport à la famille, au voisinage, aux amis ou même au monde extérieur, l'isolement des seniors se traduit par l'étiolement des liens sociaux à différents niveaux. Les origines sont multiples : arrêt de l'activité professionnelle, décès d'un conjoint, apparition de maladie ou de handicap, déplacement géographique de la famille ou encore perte d'autonomie partielle ou totale.

Davantage exposés à l’isolement qu’ils ne sont pas toujours à même de gérer, de nombreux séniors voient leur espérance de vie diminuer. La corrélation entre solitude et risque accrue de mort prématurée est bien connue. En 2014 déjà, une étude américaine de l’université de Chicago montrait que chez les personnes âgées, le sentiment de solitude élevait le taux de mortalité de 14 % des suites souvent d’un AVC ou encore d’un infarctus. « La solitude accélère le déclin physique et cognitif chez les personnes âgées », rappelle, pour sa part, Cap Retraite, un organisme de conseil et d'orientation en maison de retraite.

Prévenir les syndromes du glissement

L’apparition plus fréquente des cas de syndrome du glissement, l’équivalent d’un état dépressif observé en particulier chez les personnes âgées et qui se traduit par une perte d’intérêt pour le monde extérieur, doit aussi être une source d’inquiétude forte pour nos aînés. S'il n'est pas détecté à temps, il aboutit à la mort dans 80 à 90 % des cas malgré la prise en charge médicale. « On sous-estime le rôle du lien social dans la longévité. Mais des études l’attestent, les personnes totalement isolées et mieux que tout, dans ce cas-ci, perçues comme des menaces potentielles par le personnel, perdent leurs habitudes et leurs rituels. La solitude peut alors amplifier les effets de l’épidémie », a alerté dès avril auprès la RTBF Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’Université Libre de Bruxelles.

« Au vu de l’évolution brutale du syndrome et des difficultés liées à la prise en charge, la prévention est d’autant plus fondamentale et reste la façon la plus efficace de protéger son proche. Tout épisode difficile, physique ou psychologique, que la personne âgée traverse, doit être accompagné d’une attention et d’une vigilance particulières. La convalescence représente une étape cruciale durant laquelle le syndrome de glissement peut survenir. La personne doit être entourée, aidée et soutenue physiquement et psychologiquement », assure Retraite Plus, autre organisme spécialisé dans le conseil et l'orientation en maison de retraite.

Alors après un premier confinement strict au printemps qui fut source de traumatismes pour les séniors et leurs familles, les autorités, conscientes des dangers de l’isolement, ont choisi, pour le reconfinement décrété fin octobre, de faire preuve de souplesse en autorisant les visites dans les Ehpad et les maisons de retraite « dans le strict respect des règles sanitaires ».

Combler la fracture numérique

Les effets négatifs de l’isolement se trouvent être amplifiés chez les séniors par un rapport plus compliqué au monde digital que les jeunes et lié au manque, voire à l’absence de maîtrise des outils numériques et des nouvelles technologies. Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) rendue publique en octobre 2019, ne pas avoir accès à Internet ou ne pas savoir utiliser les outils numériques représentent un handicap pour près de 17% de la population française. 15 % de la population n’a pas utilisé Internet au cours de l’année dont 64 % des 75 ans ou plus.

Dans un monde où l'on assiste à une digitalisation croissante des services, l’illettrisme numérique, aussi appelé « illectronisme », constitue un sérieux obstacle au quotidien, plus encore en temps de confinement. Les outils numériques permettent, en effet, aujourd’hui de consulter un médecin à distance, de communiquer avec ses proches via WhatsApp ou Messenger, de faire ses courses, de se faire livrer ses repas à domicile… Internet est aussi devenu un bon moyen de prendre son mal en patience. Entre les plateformes de streaming, les librairies en ligne et les expositions virtuelles, l’offre culturelle numérique s’est considérablement enrichie avec les années, et plus encore en temps de Covid-19. Or, nombre de seniors peuvent vite se sentir exclus de ces dispositifs.

« Nous sommes tous tributaires les uns des autres »

Face à ces constats, des solutions qui participent au bien vieillir existent pour pallier à l’isolement des séniors mais appellent à être plus largement étendues au travers d’une plus forte mobilisation des citoyens, des jeunes en particulier, et d’un soutien plus affirmé des pouvoirs publics. Elles ont besoin de se réinventer afin de répondre aux besoins de proximité des seniors sur divers plans. Il convient également de repenser le lien entre les générations et cela ne se réduit pas qu’à la sphère familiale, les seniors étant aussi des acteurs du monde du travail, du monde associatif et de la vie en société.

Si en fin de carrière, en fin de vie, un sentiment d’inutilité peut plonger nos aînés dans un grand désert affectif, il convient aussi de les revaloriser pour une meilleure inclusion sociale, allant bien au-delà d’une simple prise en charge de leur santé. Les champs d’actions en la matière sont vastes. « L’idée serait peut-être de mettre en avant des pistes d’actions concrètes pour inventer une vraie politique de tous les âges et pour toutes les générations. Repenser la société aujourd’hui pour mieux l’appréhender demain », plaide Tous en Tandem, le premier réseau d'étudiants au service des seniors.

« Ne faisons pas comme si les personnes âgées étaient invisibles ou faibles », a lancé en mai Antonio Guterres. « Malgré l’importance de la distanciation physique, il faut nous rappeler que, dans la grande famille humaine, nous sommes tous tributaires les uns des autres. Il nous faut redoubler de sollicitude et d’ingéniosité pour garder le lien avec les personnes âgées grâce aux technologies numériques. Il en va de l’intérêt vital des personnes âgées, que le confinement total ou les autres restrictions mettent en situation de détresse ou d’isolement », a affirmé le secrétaire général de l’ONU, qui en appelle à une réponse à la Covid-19 « respectueuse des droits et de la dignité des personnes âgées » dans nos sociétés.

« Cette pandémie ne sera vaincue que par un élan de solidarité mondiale et nationale, où toute contribution est la bienvenue », notamment celle des séniors, a-t-il signifié. « Alors que nous cherchons à sortir de la crise par le haut, avec audace et clairvoyance, sachons construire des sociétés inclusives, durables, adaptées au vieillissement et prêtes à affronter l’avenir. »

En partenariat avec le magazine Salamnews

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