Société

Révoltes urbaines : les interpellations se poursuivent

Rédigé par Fouad Bahri | Lundi 5 Décembre 2005 à 11:49

Un mois après le début de l’explosion urbaine, qui a suivi la mort de deux jeunes dans la commune de Clichy-sous-bois (Seine-saint-denis), les arrestations se sont poursuivies sur l’ensemble du territoire. Quatre-vingts nouvelles interpellations étaient effectuées dans des quartiers essentiellement situés en province. Dans le même temps, Jacques Chirac recevait patrons et directeur de chaînes pour les inviter à diversifier le paysage social français.



Le calme après la tempête. C’est l’impression qui se dégage trois semaines après la fin des violences qui ont secouées le pays. Les voitures ont cessé de brûler et les affrontements entre jeunes et policiers n’ont plus lieu.
Pourtant, c’est d’un calme relatif qu’il s’agit. Dans différents quartiers de l’hexagone, la police a procédé à plusieurs perquisitions. Avec l’appui des Groupes d’intervention régionaux (GIR) et de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), elle a pu démanteler un certain nombre de trafics. Fusils, pistolets et revolvers ont été saisis ainsi que plusieurs kilos de cannabis et de drogues dures. Du Havre, dans les Seine-Maritime, à Montluçon dans l’Allier, en passant par Evreux et Strasbourg, quatre-vingt personnes ont été, au total, interpellés.
Pour ce qui est du volet judiciaire, le bilan est encore plus lourd. En vingt-deux jours d’émeutes, il n’y a eu pas moins de 3101 gardes à vue avec, au final, 422 condamnations à de la prison ferme. Les juges n’auront pas chaumé d’autant plus que les consignes du Garde des Sceaux étaient claires : rapidité, répression, prison. La procédure de comparution immédiate a été très souvent utilisée pour obtenir des décisions de justice plus rapide. Si quelques dizaines de jugements n’ont pas été encore rendus, la plupart des peines tournent entre un mois et six mois de prison fermes.
Néanmoins, pour beaucoup d’avocats, des interrogations subsistent. D’après eux, de nombreux jugements l’ont été sur la seule base de témoignages policiers, sans éléments de preuves, détruits auparavant, à l’instar des cocktails molotov. D’autres dénoncent le caractère expéditif des condamnations dans un contexte de pression politique du gouvernement et de l’opinion publique. Une précipitation qui aurait porté préjudice aux mineurs, normalement défendus par l’ordonnance de 1945. C’est l’avis d’Hélène Franco, vice-présidente du Syndicat de la magistrature et juge des enfants. « Si tous mes confrères avaient eu ce texte en tête, il y aurait eu moins d’incarcérations à l’échelle nationale. »
Des différences de jugements et de peines existeraient d’une région à une autre. Le tribunal de Bobigny, accusé de laxisme par le député-maire UDF de Drancy Jean-Christophe Lagarde, n’a incarcéré qu’un seul jeune. A Toulouse, par contre, une peine de quatre ans ferme a été prononcée contre un jeune homme de vingt ans, coupable d’avoir incendié une grande surface mobilière.
Côté politique, les conséquences des émeutes semblent avoir été tiré. Jacques Chirac avait déjà donné le ton dans son allocution télévisé où il rappela à tous un chacun que les jeunes de banlieue étaient bien « les fils et les filles de la République ». Le chef de l’Etat a, par ailleurs, convoqué responsables syndicaux et directeurs de chaînes télé pour les convaincre de s’engager plus fermement contre les discriminations et en faveur de la diversité sociale. Jacques Chirac, qui est fortement opposé à toute idée de quota ou de discrimination positive, a été soutenu sur cette position par l’ensemble des partenaires sociaux. Un pied de nez pour les sarkozystes qui plaident pour un modèle d’intégration proche de l’affirmative action américain. On se souvient d’ailleurs des accrochages qui les ont opposés à Azouz Begag, ministre délégué à l’égalité des chances, après ses protestations contre les propos provocateurs du ministre de l’intérieur.
Cela dit, ces mesures semblent plus proches de l’effet d’annonce que d’une réelle volonté politique de changement.
Nombre d’élus rechignent encore à prendre la mesure de la véritable et profonde fracture sociale qui déchire le pays.
En témoignent les causes invoquées par quelques députés UMP pour expliquer les flambées de violence urbaine. Ainsi, après le démenti officiel des propos d’Eric Raoult, député-maire du Raincy (93), accusant de prétendus islamistes d’être à l’origine des émeutes, certains n’ont pas hésité à pointer du doigt la polygamie, responsable selon eux du nombre important de jeunes français d’origine africaine et de l’impossibilité pour leur parents de leur offrir une bonne éducation. Un discours qui par la banalité de son expression ne fait que prolonger une notoire et désormais courante rhétorique coloniale et islamophobe voyant dans l’altérité culturelle la source de tous les maux.
Dernièrement, des groupes de rap tels que Minister amer, ont été poursuivis en justice pour incitation à la violence urbaine. Les mêmes députés, tout en reconnaissant la beauté et la valeur de certains morceaux de rap, estiment, en effet, que beaucoup d’autres ont dépassé les bornes, en influençant, par la violence de leurs propos, des jeunes en mal de repères.
Des jeunes qui paradoxalement auront involontairement réussi à réveiller un débat national sur la question de l’égalité que vingt années de politique de la ville avaient soigneusement enterré. Mais cette fois-ci, il faudra plus que des discours, voire même des actes, pour calmer les esprits. Vingt ans après l’échec de la marche des beurs, c’est une profonde révolution culturelle qu’inconsciemment ils réclament.
Avec comme mot d’ordre unique implicite : « le désespoir mobilise ».