Londres - Depuis quelque temps, le sujet de l'intégration des musulmans dans la société britannique est l'objet de toutes les attentions: colonnes dans la presse écrite, traitement multimédia et financement en veux-tu en voilà. De savantes dissertations nous expliquent comment le port du niqab interdit les échanges conviviaux dans la rue. Des heures de recherche ont été consacrées à la radicalisation éventuelle des associations d'étudiants islamiques dans les universités. Et des sites Internet décrivent avec force détails les affrontements entre des groupes comme la English Defence League et Muslims Against the Crusades.
Certes, pour les gens raisonnables, les opinions exprimées à ces deux extrêmes du spectre sont simplistes et exacerbées par la violence et la déraison. Mais cela n'empêche pas de faire plus de place aux positions nuancées qui existent entre les deux, bien au contraire.
Des émissions de télévision comme My Name is Muhammad (1), sorti au mois de mars sur BBC 1, qui s'est attaché à remettre à plat le stéréotype du musulman britannique, a parfaitement réussi à mieux faire connaître ceux qui acceptent volontiers leur identité à facettes multiples. Ne vous emballez pas, les interviewés témoignaient d'un engagement moral et spirituel sans concession envers leur foi. Ce qui ne les empêchait pas de se présenter avec fierté comme des citoyens britanniques soucieux de s'engager à fond dans la vie démocratique de la société.
Les sondages révèlent pourtant que les musulmans britanniques de la deuxième et de la troisième génération se sentent de plus en plus marginalisés.
Selon une enquête effectuée en 2006 par Gfk NOP, spécialiste des enquêtes de marché, sur commande de Channel 4 pour son émission spéciale Dispatches: What Muslims Want, le journaliste et présentateur Jon Snow a rapporté que les immigrants musulmans de la première génération sont désireux de s'intégrer dans le contexte britannique, mus par leur désir de trouver un travail et la prospérité.
Mais dès qu'il s'agit de musulmans de la deuxième et de la troisième génération, les choses sont plus compliquées. Tout en étant vigoureusement opposés au terrorisme, bon nombre d'entre eux expriment cependant, dans leurs réponses, un sentiment d'aliénation.
Par exemple, un tiers des mille musulmans sondés disaient préférer vivre sous la loi de l'islam. Plus récemment, l'Indicateur Gallup de Coexistence pour 2009 démontrait que, si 64 % des Britanniques en général considèrent la participation à la vie politique et le volontariat dans des organismes bénévoles comme des indicateurs clef de l'intégration, cette opinion n'est partagée que par 54 % des musulmans pour la première affirmation, et par 24 % pour la seconde.
La littérature et les médias attribuent volontiers ce sentiment d'aliénation à la politique du Royaume-Uni, les griefs se multipliant partout où le gouvernement britannique passe pour être complice du mauvais sort fait aux musulmans. Sans doute faut-il faire état des souffrances des civils innocents dans tous les conflits sans distinction d'appartenance confessionnelle. Mais la ficelle est néanmoins trop grosse.
En effet, cet argument n'explique pas pourquoi certains musulmans britanniques canalisent leurs frustrations par des moyens constructifs et démocratiques (pétitions, manifestations, dons à des œuvres, travail humanitaire en zone de conflit), alors que d'autres l'expriment sur le mode de la discorde, en dehors de toute raison.
Cette approche discordante est parfaitement illustrée par la décision prise en mars 2009 par Islam4UK, groupuscule interdit, de manifester contre le défilé de retour aux foyers du Royal Anglian Regiment de la ville de Luton. Les manifestants criaient des injures aux soldats, brandissant des affiches où l’on pouvait lire “Soldats anglians, allez au diable” et “Bouchers de Bassora”. Ce qui provoqua des altercations violentes entre le public venu voir le défilé et les manifestants.
Si les musulmans de la deuxième et de la troisième génération se sentent ainsi à part, c'est en partie parce que les responsables religieux ne comprennent pas toujours leurs besoins. Un peu partout dans le pays, ce sont les anciens qui contrôlent les mosquées, prêchant une interprétation de l'islam enracinée dans les rites confessionnels, sans faire l'effort de doter leurs ouailles des compétences qui font le citoyen bien intégré.
Il y a aussi la prolifération d'un discours axé, aux antipodes de notre humanité et de nos valeurs communes, sur la diabolisation de l'autre.
Pourtant, de nombreux programmes et organisations (formation de jeunes dirigeants, formation au débat politique et matériel pédagogique) s'efforcent de donner aux musulmans les outils nécessaires à une vie civile et politique et de leur ouvrir les portes qui leur permettront d'y accéder.
Une chose est sûre : pour que les musulmans britanniques s'engagent véritablement dans la société, trois préalables doivent être remplis.
Tout d'abord, ils doivent être reconnus dans toutes les facettes de leur identité, et non piégés dans le rôle du "musulman prétexte".
Ensuite, ils ne doivent plus être considérés comme un bloc homogène : il convient d'encourager l'expression d'opinions et de principes pratiques différents à l'intérieur du culte, tels les sujets qui fâchent (le foulard, serrer la main d'une personne du sexe opposé, participer au vote démocratique).
Enfin, les musulmans doivent s'interdire de transplanter la politique de leurs pays d'origine dans les mœurs politique et civiles de la société britannique.
Une fois ces changements mis en place, le rêve de cette société pluraliste et harmonieuse que chacun appelle de ses vœux pourra devenir réalité.
Note
1. My Name is Muhammad (en anglais), à visionner ici (Partie 1), ici (Partie 2) et ici (Partie 3).
* Tehmina Kazi dirige British Muslims for Secular Democracy, organisation dont le but est de faire prendre conscience des bienfaits de la démocratie et de sa contribution à une conception commune de la citoyenneté.
Certes, pour les gens raisonnables, les opinions exprimées à ces deux extrêmes du spectre sont simplistes et exacerbées par la violence et la déraison. Mais cela n'empêche pas de faire plus de place aux positions nuancées qui existent entre les deux, bien au contraire.
Des émissions de télévision comme My Name is Muhammad (1), sorti au mois de mars sur BBC 1, qui s'est attaché à remettre à plat le stéréotype du musulman britannique, a parfaitement réussi à mieux faire connaître ceux qui acceptent volontiers leur identité à facettes multiples. Ne vous emballez pas, les interviewés témoignaient d'un engagement moral et spirituel sans concession envers leur foi. Ce qui ne les empêchait pas de se présenter avec fierté comme des citoyens britanniques soucieux de s'engager à fond dans la vie démocratique de la société.
Les sondages révèlent pourtant que les musulmans britanniques de la deuxième et de la troisième génération se sentent de plus en plus marginalisés.
Selon une enquête effectuée en 2006 par Gfk NOP, spécialiste des enquêtes de marché, sur commande de Channel 4 pour son émission spéciale Dispatches: What Muslims Want, le journaliste et présentateur Jon Snow a rapporté que les immigrants musulmans de la première génération sont désireux de s'intégrer dans le contexte britannique, mus par leur désir de trouver un travail et la prospérité.
Mais dès qu'il s'agit de musulmans de la deuxième et de la troisième génération, les choses sont plus compliquées. Tout en étant vigoureusement opposés au terrorisme, bon nombre d'entre eux expriment cependant, dans leurs réponses, un sentiment d'aliénation.
Par exemple, un tiers des mille musulmans sondés disaient préférer vivre sous la loi de l'islam. Plus récemment, l'Indicateur Gallup de Coexistence pour 2009 démontrait que, si 64 % des Britanniques en général considèrent la participation à la vie politique et le volontariat dans des organismes bénévoles comme des indicateurs clef de l'intégration, cette opinion n'est partagée que par 54 % des musulmans pour la première affirmation, et par 24 % pour la seconde.
La littérature et les médias attribuent volontiers ce sentiment d'aliénation à la politique du Royaume-Uni, les griefs se multipliant partout où le gouvernement britannique passe pour être complice du mauvais sort fait aux musulmans. Sans doute faut-il faire état des souffrances des civils innocents dans tous les conflits sans distinction d'appartenance confessionnelle. Mais la ficelle est néanmoins trop grosse.
En effet, cet argument n'explique pas pourquoi certains musulmans britanniques canalisent leurs frustrations par des moyens constructifs et démocratiques (pétitions, manifestations, dons à des œuvres, travail humanitaire en zone de conflit), alors que d'autres l'expriment sur le mode de la discorde, en dehors de toute raison.
Cette approche discordante est parfaitement illustrée par la décision prise en mars 2009 par Islam4UK, groupuscule interdit, de manifester contre le défilé de retour aux foyers du Royal Anglian Regiment de la ville de Luton. Les manifestants criaient des injures aux soldats, brandissant des affiches où l’on pouvait lire “Soldats anglians, allez au diable” et “Bouchers de Bassora”. Ce qui provoqua des altercations violentes entre le public venu voir le défilé et les manifestants.
Si les musulmans de la deuxième et de la troisième génération se sentent ainsi à part, c'est en partie parce que les responsables religieux ne comprennent pas toujours leurs besoins. Un peu partout dans le pays, ce sont les anciens qui contrôlent les mosquées, prêchant une interprétation de l'islam enracinée dans les rites confessionnels, sans faire l'effort de doter leurs ouailles des compétences qui font le citoyen bien intégré.
Il y a aussi la prolifération d'un discours axé, aux antipodes de notre humanité et de nos valeurs communes, sur la diabolisation de l'autre.
Pourtant, de nombreux programmes et organisations (formation de jeunes dirigeants, formation au débat politique et matériel pédagogique) s'efforcent de donner aux musulmans les outils nécessaires à une vie civile et politique et de leur ouvrir les portes qui leur permettront d'y accéder.
Une chose est sûre : pour que les musulmans britanniques s'engagent véritablement dans la société, trois préalables doivent être remplis.
Tout d'abord, ils doivent être reconnus dans toutes les facettes de leur identité, et non piégés dans le rôle du "musulman prétexte".
Ensuite, ils ne doivent plus être considérés comme un bloc homogène : il convient d'encourager l'expression d'opinions et de principes pratiques différents à l'intérieur du culte, tels les sujets qui fâchent (le foulard, serrer la main d'une personne du sexe opposé, participer au vote démocratique).
Enfin, les musulmans doivent s'interdire de transplanter la politique de leurs pays d'origine dans les mœurs politique et civiles de la société britannique.
Une fois ces changements mis en place, le rêve de cette société pluraliste et harmonieuse que chacun appelle de ses vœux pourra devenir réalité.
Note
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