Points de vue

S’engager contre les extrémismes et l’instrumentalisation des Textes sacrés

Rédigé par Mohammed Moussaoui | Vendredi 25 Mars 2016 à 11:30



Les attentats sanglants du 22 mars à Bruxelles nous rappellent inéluctablement les évènements tragiques qui ont frappé, en janvier et en novembre 2015, le cœur de notre pays. Ces derniers ont amené de nombreux acteurs institutionnels à s’interroger sur leur propre responsabilité quant aux moyens qu’ils déploient pour prémunir et préserver la jeunesse française face aux mouvements et aux idées extrémistes.

Le départ de centaines de jeunes Français vers la Syrie pour aller grossir les rangs du groupe terroriste « Daesh », connu sous l’appellation « Etat islamique », a interpellé les responsables musulmans qui constatent avec une grande inquiétude l’instrumentalisation de la religion musulmane par des extrémistes de tout bord.

Face à cette instrumentalisation, les musulmans de France ont exprimé d’une manière unanime leur profonde indignation et ont souhaité œuvrer avec toutes les forces vives de notre pays à peser sur le cours des évènements en assumant leur devoir de citoyens et de témoins actifs : « Nous avons fait de vous une communauté éloignée des extrêmes pour que vous soyez témoins parmi les hommes et que le Prophète soit témoin parmi vous » (Coran, s. 2, v. 143).

Comment éviter l’instrumentalisation des textes religieux ?

C’est un fait, les groupes terroristes comme Daesh ou Al-Qaïda se réfèrent à la religion musulmane et instrumentalisent les textes religieux musulmans pour justifier leur barbarie et construire leur discours de la haine de l’Autre. Face à ce discours, les jeunes dépourvus de toute culture religieuse se trouvent incapables d’opposer une quelconque résistance ou esprit critique.

Les cadres religieux doivent offrir aux jeunes des clés de lecture de ces textes et les aider à dévoiler l’imposture de ceux qui s’érigent en exégètes, notamment à travers Internet et les réseaux sociaux.

En premier lieu, il faut rappeler que la foi ne saurait aller à l’encontre de la raison et que les objectifs et les finalités d’une religion ne sauraient être à l’opposé des valeurs universelles qui font l’humanité de l’homme. Les quelques principes et valeurs ci-après sont des exemples, parmi d’autres, à mettre au cœur de tout enseignement religieux :

1. La miséricorde est l’essence même du message de l’islam : « Et Nous ne t’avons envoyé qu’en miséricorde pour tous les univers » (Coran, s. 21, v. 107).

2. La vie humaine est une et indivisible : « Quiconque tue un être humain non coupable de meurtre ou de sédition sur la Terre est considéré comme le meurtrier de l'humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d'un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l'humanité tout entière ! » (Coran, s. 5, v. 32).

3. L’égalité entre les humains est le corollaire de l’égale dignité humaine : « Certes, Nous avons rendu dignes tous les fils d’Adam » (Coran, s.17, v. 70).

4. Le respect de la liberté de conscience est une volonté divine comme le stipule le verset : « Nulle contrainte dans la religion » (Coran, s. 2, v. 256).

5. Être implacable à l’égard de l’injustice. Celle-ci ne saurait être justifiée ni excusée même dans les pires situations d’adversité : « Et ne laissez point la haine et l’animosité que vous opposent certaines personnes vous inciter à être injustes. Restez justes ; c’est cela qui vous préservera » (Coran, s. 5, v. 8).

6. La recherche de la paix est la règle : le Prophète de l’islam, lui-même, a connu des situations de conflit. Le Coran les a relatées dans des termes qui ont pu être parfois détournés de leurs objectifs et exploités à des fins belliqueuses. Un travail d’exégèse s’impose pour remettre ces textes dans leur contexte.

D’emblée, il faut rappeler que la guerre a toujours été considérée comme un incendie qu’il faut éteindre au plus vite : « Toutes les fois qu'ils allument un feu pour la guerre, Dieu l'éteint. Ils s'efforcent de semer le désordre sur la terre. Dieu n'aime pas les semeurs de désordre » (Coran, s. 5, v. 64). L’autorisation de se défendre contre les agresseurs relève du devoir d’assistance aux personnes en danger et de la nécessité de rétablir l’ordre et la paix et ne peut en aucun cas être détourné de cet objectif : « N’agressez point, Dieu n’aime pas les agresseurs » (Coran, s. 2, v. 190).

Ces valeurs, parmi d’autres, ont trouvé toute leur résonance dans la tradition vivante du Prophète Muhammad. Dès son arrivée à Médine, il a fait rédiger une charte définissant les règles du vivre-ensemble entre tous les citoyens de la ville et ses environs, quelle que soit leur confession.

Tous mobilisés contre l’extrémisme

L’Union des mosquées de France (UMF) a appelé à des Etats généraux sur le radicalisme dès le mois de mai 2014 et organisé une dizaine de rencontres avec les imams, les aumôniers et les gestionnaires de mosquées dans différentes régions de France entre juin 2014 et février 2015.

Lors de ces journées de réflexion, les participants ont réaffirmé leur engagement à poursuivre leur mobilisation dans le cadre de la mission qui est la leur et à apporter toute leur contribution en matière de lutte contre la radicalisation et à l’effort national en matière d’éducation aux valeurs qui fondent notre vivre-ensemble. Depuis, plusieurs propositions ont été faites dans ce sens.

Le radicalisme qui instrumentalise l’islam est un fléau qui touche le monde entier. Dès lors, les cadres religieux français doivent relayer les prises de positions et les initiatives des institutions musulmanes ayant une certaine notoriété mondiale. A ce titre, il est important de souligner que la déclaration historique de Marrakech de janvier 2016 sur le droit des minorités religieuses dans le monde islamique a donné lieu à des engagements très forts.

Parmi eux, ceux de reconnaitre le principe de citoyenneté comme englobant toutes les appartenances ; d'inviter les théologiens et les intellectuels à une révision judicieuse de la jurisprudence musulmane pour tenir compte des mutations qui se sont opérées dans le monde ; d'appeler les gouvernements à réaliser des révisions des manuels scolaires dans les pays musulmans afin d’y corriger les distorsions induites par l’extrémisme et à y favoriser l’émergence d’un large courant social faisant justice aux minorités religieuses.

Face à la radicalisation, renouveler nos moyens de prévention

Historiquement, la présence structurée de mouvements de la jeunesse, de la société civile et des corps intermédiaires offrait aux jeunes des espaces d’apprentissage aux valeurs collectives. Elles permettaient également à la contestation sociale inéluctable et aux débats sur les valeurs qui peuvent traverser la société de s’exprimer de façon seine et respectueuse du cadre démocratique.

Privée de ces structures, cette contestation ainsi que ces débats ont pris la forme d’une délinquance défiant toutes les autorités dans la société : celles de la famille, de l’école, de l’autorité publique mais aussi des institutions religieuses.

Les forces d’humiliation, qui se mettent en place par les inégalités sociales et économiques par les discriminations d’ordre ethnique ou religieux et par le défaut de représentation politique, peuvent être instrumentalisées par des extrémistes afin de radicaliser les jeunes et de les pousser à se détruire ou à tenter de détruire ceux qui pensent être les responsables de leurs difficultés.

Bien que l’humanité dispose depuis longtemps de nombreux textes, traités et conventions sur les droits fondamentaux qui reconnaissent à l’Homme sa dignité, sa liberté et la sacralité de sa personne, les évènements du siècle passé et de ces dernières années montrent combien la paix et la cohésion au sein de nos sociétés sont fragiles et ont besoin d’être préservées, protégées et consolidées jour après jour.

Toutes les institutions civiles et religieuses et tous les citoyens de notre pays doivent se sentir en première ligne pour atteindre cet objectif. Ils doivent mettre toute leur énergie et tous leurs moyens pour éclairer et apaiser les esprits et les cœurs face à la peur et à l’incompréhension qui peuvent naitre dans la confusion des conflits et des guerres des ignorances.

*****
Mohammed Moussaoui est président de l’Union des mosquées de France (UMF).