Société

SNCF : anciens et jeunes cheminots unis contre les discriminations

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Jeudi 7 Février 2013 à 06:00

Une quinzaine de cheminots marocains ont fait le déplacement au Conseil des prud’hommes de Paris, mardi 5 février. Sur les 805 cheminots en exercice ou à la retraite qui assignent la SNCF pour discrimination, le cas d’un groupe de 62 personnes y était plaidé. Il faudra attendre un mois avant qu’un jugement soit prononcé mais l’espoir reste fort pour les plaignants qui veulent que leurs droits soient reconnus.



Embauchés dans les années 1970 par la Société nationale de chemins de fer (SNCF), 805 cheminots marocains, dont beaucoup sont devenus Français par la suite, assignent leur employeur pour discrimination en raison de leur statut nettement moins avantageux que les cheminots français.

Le cas de 62 de ces salariés était débattu, mardi 5 février, devant le Conseil des prud’hommes de Paris. La veille, le cas d’un autre groupe était exposé au sein de la juridiction, qui a décidé qu’un jugement sera rendu le 5 mars.

Le groupe, passé devant les juges mardi 5 février, devra également attendre un peu plus d’un mois puisque le verdict sera rendu le 14 mars prochain.

Mais l’attente pourrait être plus longue car le jugement d’un précédent groupe, qui devait être rendu mardi 28 janvier, devra attendre d’être présenté, l’an prochain, devant un juge professionnel, les quatre conseillers prud’hommes n’ayant pas réussi à rendre un verdict.

200 € pour les femmes et enfants de cheminots marocains

Pour l’heure, concernant l’audience du 5 février, les quatre conseillers prud’hommes pourront prendre connaissance, pendant plus d’un mois, d’un dossier « complexe », dixit Léopold Mendès, l’avocat des cheminots.

Lors de son plaidoyer, ce dernier a pu exposer la situation de salariés qui ont subi « une discrimination multiforme » qui portait d’abord sur « la nationalité, avant d'évoluer sur l’âge et l’origine », explique Me Mendès. En effet, le statut particulier de contractuel accordé aux cheminots marocains ne leur a pas permis de bénéficier des mêmes droits que leur collègues français, cadres permanents (statutaires), à commencer par l’absence d’évolution de carrière.

Ainsi, ce statut les a condamné à rester dans des « tâches d’exécution, des métiers de base » alors qu'ils « exécutaient un véritable travail de cheminot et que la majorité d’entre eux effectuaient même un emploi de cadre et dirigeaient des équipes ». « Il y a une différence entre ce qu’ils font et leur revenu », a insisté leur avocat.

Une différence de traitement qui se voit aujourd’hui dans leur pension de retraite. Alors que les cheminots marocains touchent 900 € après avoir travaillé 30 ou 40 ans, les salariés français perçoivent 75 % du salaire qu’ils touchaient six mois avant leur retraite, soit environ 2 500 €, nous explique-t-on.

Quant aux ayants-droits – femmes et enfants - de cheminots décédés, ils ne perçoivent que 200 à 300 € par mois, précise l’avocat.

Un procès pour regagner leur fierté

Autre discrimination pointée du doigt par l’avocat des 805 cheminots : ceux qui sont devenus des agents statutaires après avoir obtenu la nationalité française ont perdu leur ancienneté.

« Mon salaire a diminué d’un coup », commente dans ce sens un des plaignants dont le cas était débattu mardi 5 février. Employé de la SNCF de 1974 à 2007, soit durant 33 ans, il a eu la mauvaise surprise de voir son salaire et son échelon baisser après avoir obtenu la nationalité française à l’âge de 45 ans.

Driss Haddaj, qui a travaillé autant d’années à la Gare de Lyon à Paris, ne peut que constater, comme son collègue, qu’ils « n’ont pas eu droit à tous les avantages » accordés aux cheminots. Même s’il ne fait pas partie du groupe de mardi 5 février, le retraité, ancien délégué syndical, était présent pour assister à l’audience et ainsi soutenir ses camarades.

Il n’est pas le seul à s’être déplacé par solidarité. Ensemble, les cheminots qui se sont rendus compte qu’ils étaient discriminés au moment de partir à la retraite se sentent plus forts.

« Avant, on était éparpillé. Certains travaillaient dans le sud, d’autre dans le nord ou à Paris », fait remarquer un autre cheminot de 60 ans qui a connu une carrière longue de 38 ans. Aujourd’hui, cette bataille judiciaire, qui a commencé pour lui il y a trois ans, est une question « de principe, d’honneur et de fierté ».

Beaucoup d’autres cheminots marocains ou d’origine marocaine sont entrés dans la bataille, qui concernerait environ 2 000 cheminots recrutés au Maroc au début des années 1970. « Il y en a beaucoup qui se rendent compte que maintenant » des discriminations dont ils ont été victimes, commente M. Haddaj.

Les discriminations « perdurent » à la SNCF

Après un travail difficile, ces anciens, dont l’ancienneté moyenne en tant que cheminot est de 38 ans, se battent à présent pour faire valoir leurs droits. La SNCF aurait réussi à économiser « 70 millions d’euros par an » sur le dos de ces salariés, avec un taux de cotisation salariale à 12 % pour les cheminots contractuels marocains contre 35 % pour les cheminots statutaires.

Pour l’avocat de la SNCF, l'entreprise n'est nullement coupable de discrimination. Il s’est évertué, dans son plaidoyer, à comparer les cheminots contractuels marocains avec les autres agents contractuels de la SNCF qui n’effectuent pourtant pas le même travail. Les promotions « à la tête du client » ne « se font plus depuis au moins 30 ans à la SNCF », a-t-il déclaré.

Ce n’est pas l’avis de Radouane. Cheminot depuis 17 ans à la SNCF, il affirme le contraire au sein de son collectif SNCF Droit à la différence. Sur leur page Facebook Collectif Discrimination SNCF, des employés issus de l’immigration et victimes de discrimination sur leur lieu de travail témoignent de leur quotidien.

Une vingtaine d’entre eux avaient manifesté devant le siège de la SNCF, le 19 avril 2012, à Paris pour alerter sur ces comportements. Certains avaient même entamé une grève de la faim en juillet. En vain. Les actes racistes perdurent au sein de la SNCF qui, à chaque fois, protègent les auteurs et tentent de faire taire les victimes, estime Radouane.

Présent à l’audience avec des membres de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), il juge important d’associer leur lutte avec celle des anciens. C'est après tout le « même combat ».