Points de vue

Savoir, avoir, être : pour un sens à notre cheminement (2/3)

Quel sens à « avoir » ?

Rédigé par Abdelhakim Elhadouchi | Lundi 24 Aout 2015 à 00:20

Savoir (1), avoir (2), être (3) : trois verbes, trois états de l’Homme, trois étapes de sa vie ? Pourtant, il ne s’agit ni d’une ascension naturelle, ni d’un programme intégré dans nos gênes. C’est une volonté.



De nombreux articles font état des méfaits de la société de consommation. Contentons-nous ici de décrire ses pesanteurs sur l’individu.

« Avoir » est devenu le maître-mot de l’individu postmoderne. Le moteur de la vie et en même temps sa drogue. « Avoir » se décline en différents états dans notre vie. En effet, la société de consommation désigne un système généralisé dont le mécanisme tend vers cette finalité : la consommation. Le système éducatif, productif, culturel et de plus en plus relationnel conduit à adopter un style de vie dont les différents aspects se conjuguent sur le mode de la consommation. Le travail productif devenant une chaîne du système permet de participer à cette consommation. Celle-ci n’est pas dangereuse en soi. Mais c’est plutôt sa place dans nos vies.

De moyen, la consommation est devenue une fin. Elle occupe le vide laissé par les incertitudes de ce monde. Nous avions posé la question : qui est l’Homme ? Nous devons nous demander désormais vers où se dirige-t-il. S’il s’obstine vers cette voie sans issue, écoutons ces paroles du Très -Haut : « La course aux richesses vous distrait ! Jusqu’à ce que vous visitiez les tombes » (Coran, s. 101, v. 1-2).

De la société de la connaissance à la société de la consommation

Quelle que soit notre condition sociale, c’est une affaire qui peut tous nous toucher, d’autant que cette course aux richesses est inscrite dans les gênes de nos sociétés. N’est-ce pas la définition même d’une société matérialiste ? Si le musulman en Europe, et en France plus particulièrement, croit être prémuni de cela, qu’il réexamine son mode de vie. Chiche ! Pourquoi ne pas le coucher sur ces lignes ! Notre islamité, hélas ne constitue pas une protection, loin de là. Nous sommes, nous musulmans, parmi les plus grands consommateurs de viandes en France ; est-ce un signe d’une fierté quelconque ? Au contraire, cela montre une seule chose : nous sommes encore soumis au diktat de nos estomacs.

Mais « avoir » ne sert pas seulement à nos faims et à nos fins. Il est l’instrument de notre égo. « Avoir » permet d’être, ou plutôt de paraître. Au temps où l’individu croit suivre l’injonction kantienne [1] prenant nos passions pour guide. En cherchant à s’extraire de notre état de minorité, nous ne faisons finalement que nous emprisonner dans les méandres de nos pulsions, certes individuelles.

Regardons de plus près. L’individu cherche à travers l’acquisition de biens, le regard de l’autre, son acceptation sociale. Nous avons besoin de reconnaissance à travers nos possessions. La société nous fait donc comprendre que plus nous avons, plus nous sommes… importants. La question que l’on pose souvent est symptomatique : est ce qu’il a une situation ? Traduction : est-ce que cette personne a une voiture, possède-t-elle un poste important ? Posséder donne l’illusion d’être, d’être quelqu’un dans le regard de l’autre. Or, « le Créateur ne regarde ni nos corps ni nos visages, mais Il regarde nos cœurs et nos actes » (hadith d’après Abu Houreira, rapporté par Mouslim).

Qu’est-ce qui peut commander cette pulsion de l’acquisition, de vouloir l’assentiment du regard de l’autre si ce n’est notre ego ? Aujourd’hui, la société de consommation a donné naissance à la société du spectacle [2]. En bref, c’est avoir pour se faire voir. Chercher à se montrer par la simple raison que l’on détient un peu de savoir et quelque chose à dire. Avec les multiples plateformes de communication sur Internet et à la télévision, l’affaire devient inquiétante. L’ego en est excessivement développé. On met en avant la forme plutôt que le fond, la vidéo plutôt que le texte, la voix plutôt que le sens. Le corps plutôt que le cœur. La loi avant la foi. [3]

Qu’est-ce qui peut nous empêcher de dépasser ces pesanteurs ? Comment se débarrasser de ces choses ? Peut-être faut-il avant tout prendre conscience des obstacles et franchir ses peurs secrètes qui gangrènent nos cœurs. Voyons ensemble ces obstacles.

Notes
[1] C’est un processus qui nous dégage de l’état de minorité. Et par « minorité », Kant entend un certain état de la volonté humaine de se plier à l’autorité d’autrui pour conduire l’individu vers ce à quoi il convient d’aller, plutôt que faire usage de sa propre raison. Cette injonction est aussi une consigne « Aie le courage, l’audace de savoir ! »
[2] GuyDebord, La Société du spectacle, Éd. Buchet-Chastel, 1967.
[3] Pour aller plus loin sur le sujet, « Quand Jundub relate avoir "appris la foi avant d'apprendre le Coran", que désigne-t-il par le terme "foi" ? ».

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Abdelhakim Elhadouchi est un acteur associatif et consultant en politiques publiques à Strasbourg.