Points de vue

Sherin Khankan : rencontre avec une femme imam qui défraie la chronique

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Jeudi 13 Octobre 2016 à 08:00



Sherin Khankhan, Danoise d’origine syrienne par son père musulman et finlandaise par sa mère chrétienne, est à l’origine de la première mosquée réservée aux femmes à Copenhague, capitale du Danemark. Ici, lors d’une rencontre interreligieuse Danish-Arab Interfaith Dialogue, en septembre 2014 (photo : © Elias Rama).
COPENHAGUE. – J’ai longtemps hésité avant de la contacter. J’avais lu un article sur elle sur le journal britannique de référence The Guardian, mais je n’étais pas convaincue.

En premier lieu, pas convaincue par la couverture médiatique de cet OVNI. Pas à l’aise avec cet affolement médiatique autour de sa personne et même de son projet.

Je me méfie toujours un peu du tropisme qu’ont les médias face à l’objet « Islam ». Cette envie de diviser les musulmans entre les « éclairés » et les « obscurantistes ».

Dans la typologie des musulmans établie par les médias, il y a le « terroriste » (bon, ai-je vraiment besoin de développer cette thématique ?), il y a aussi le « clivant » (celui qu’on présente comme le repoussoir : allez, faites un petit effort, on a tous vu un article sur un imam sulfureux qui promettait enfer et gémonies aux gamins mélomanes), il y a le « musulman exemplaire » (celui qui pourfend les ténèbres dans lesquelles la pensée musulmane aurait été plongée).

Elle était forcément présentée comme la nouvelle coqueluche des Lumières. Elle, c’est Sherin Khankan. Son nom ne vous dit peut-être rien, son projet peut-être davantage. Elle a fait les gros titres du journal branché et sympa Les Inrocks, c’est dire sans compter tous les autres médias français qui, quelques mois après leur homologues anglo-saxons, sont tombés sous le charme de cette mère de famille syro-finlandaise d’origine, qui est allègrement présentée comme la « femme imam de l’islam européen », au même rang que Delphine Horvilleur, figure médiatique et femme rabbin.

Alors, en lisant les nombreux articles qui lui sont consacrés, on a enfin l’impression que la réforme – laquelle n’est jamais vraiment définie – est en marche et que, finalement, les musulmans font leur révolution. Face à cette présentation médiatique, j’ai été presque peu surprise des réactions sur les réseaux sociaux : anathème, excommunication et insultes, d’un côté ; engouement, de l’autre.

Mais de quoi est-il question ? Que veut Sherin Khankan ? Quel est donc ce projet de la mosquée Mariam à Copenhague, au Danemark ?

Comprendre et entendre ses mots

Un jeudi soir du mois de juin, je me promène dans les rues de Copenhague, capitale danoise au charme typique des pays nordiques, calme avec ces rues piétonnes et ces vélos. Je ne suis pas pressée, je suis même en avance.

Quelques jours avant mon départ, j’ai contacté un militant européen rencontré régulièrement au Parlement européen : Bashir, pour lui demander de m’introduire auprès de Sherin Khankhan. Je la sais occupée, inondée d’appels et de demandes d’interviews.

Je n’ai vendu son histoire à aucun média, je n’avais pas l’intention d’écrire sur le sujet, j’avais juste envie de comprendre. Comprendre avant de juger. Comprendre et entendre ses mots. Ses mots sans le truchement des médias.

Arrivée devant l’adresse, je suis assez surprise que mon téléphone m’arrête devant cet immeuble au centre-ville de quelques étages, entre des cafés et des magasins. J’en ai visité des mosquées en Europe. Comme celle-là : jamais.

Sherin Khankan arrive avec un groupe de femmes et un jeune homme d’une trentaine d’années. Nous montons jusqu’au deuxième étage et entrons (en nous déchaussant) dans ce qui devait visiblement être un appartement. Les murs sont tombés pour en faire deux grandes pièces : l’une où se déroule la prière ; l’autre destinée aux rendez-vous et aux ateliers pour son association.

Au mur, des calligraphies en arabe. Un lieu atypique. J’apprendrais dans notre discussion que l’espace vient d’une donation d’un Danois, athée, mais qui avait envie d’aider au projet.

Après des introductions rapides, nous passons au vif du sujet. Sherin me présente le projet en anglais, avec clarté et précision. Je la savais rompue à l’exercice médiatique, je n’ai pas été déçue.

Elle évoque le manque de place offert aux femmes dans les mosquées, mentionne les difficultés de certaines femmes à venir s’entretenir avec un imam. Elle mentionne des exemples de cas où la femme ne parvenait pas à obtenir le divorce du mariage musulman comme de nombreuses raisons pour créer un espace de prière et d’accueil pour les femmes musulmanes.

Puis j’apprends qu’en fait elles sont deux femmes à s’être plongées dans les sciences islamiques pour être capables à la fois d’émettre des avis religieux et de guider à la prière. L’autre femme imam est d’origine turque, voilée. Elle, Sherin, est habillée modestement mais considère que le voile est un choix personnel, à contrecourant de l’avis et le consensus des écoles juridiques musulmanes.

Elle le dit elle-même : son objectif est d’ouvrir un lieu de culte ouvert à tous, à l’exception du vendredi et de la prière de jumua exclusivement féminin. Les arguments sont proches de ceux développés par les femmes musulmanes qui se revendiquent du féminisme islamique. Il n’est en fait jamais question de révolution mais il s’agit de puiser dans les sources pour les relire, les actualiser.

Sherin cite la possibilité offerte par l’islam d’un imamat féminin quand l’assemblée l’est aussi et s’étonne des réactions violentes dont a fait l’objet son projet.

Je dois avouer que je suis la première surprise. J’ose à peine penser à l’exemple d’Umm Waraqa permise par le Prophète de guider la prière pour les gens de sa famille. Et parmi eux des femmes et des hommes. Le sujet n’est pas aussi simple certes, mais il a longtemps été débattu et évoqué et cela dès les premiers siècles de l’islam. Sherin le sait et n’hésite pas à s’emparer de ces cas.

Elle défend une pratique de l’islam empreint de spiritualité soufie, elle-même a une apparence ascétique, choisit les mots avec parcimonie. Sereine, paisible et apaisante, elle sait la partie rude mais est déterminée à la gagner. Dans quelques jours, c’est le début du mois du Ramadan, elle ne pourra m’accueillir pour la prière du tarawih mais me donne d’ores et déjà rendez-vous en 2017.

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.



Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les… En savoir plus sur cet auteur