Points de vue

Sira : écrire la biographie du Prophète au IIe siècle de l’Hégire

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Mardi 14 Janvier 2014 à 15:48



Ce mardi 14 janvier, les musulmans de par le monde commémorent le Mawlid, la naissance du Prophète. Muhammad fait l’objet de deux textes majeurs en islam : la Sunna, recueil des dits (hadiths) du Prophète, et la Sîra, récit traditionnel de sa vie (sa biographie).

La Sunna et la Sîra

Les deux types de textes ont des points communs, mais surtout des différences. Tous deux s’intéressent à la personne de Muhammad. Tous deux accordent de l'importance à la fiabilité des sources, et donc à la chaîne de transmission (isnâd). Tous deux, enfin, ont été rédigés à partir du IIe siècle de l’Hégire.

Mais les comparaisons s’arrêtent là. Les finalités ne sont pas les mêmes, d’où une différence de statut. Dans le hadith, les mentions du lieu et du temps sont secondaires, voire absentes. Ce n’est pas tant un événement qui est relaté qu’un acte, une parole qui par sa nature prophétique est susceptible d’avoir valeur de modèle, et donc d’avoir une valeur juridique, doctrinale.

La Sunna est ainsi la deuxième source de la loi canonique après le Coran, un statut auquel ne saurait prétendre la Sîra ; elle vise la succession des événements qui rendent compte de la vie du Prophète. Elle couvre ainsi une période qui s’étend des années qui ont précédé sa naissance jusqu’à son retour à Dieu, enrichissant en la matière le contenu parfois succinct du Coran.

Ainsi, l’ange Gabriel, qui n’est mentionné explicitement que trois fois dans le Livre (s. II, v. 97 ; s. II, v. 98 et s. LXVI, v. 4), est-il abondamment mentionné dans la Sîra, où il est dit avoir accompagné et guidé le Prophète de manière continue depuis sa prime enfance, depuis ce jour où il lui purifia le cœur.

Des sources nombreuses et hétéroclites

Les auteurs de Sîra ont pour ce faire puisé dans une masse de documents aussi importante qu’hétéroclite : lettres du Prophète aux souverains, gouverneurs et chefs de tribus, traités (celui d’al-Hudaybiya, par exemple), Constitution de Médine (sahifa), listes (liste des émigrants installés en Abyssinie), sermons (Discours du pèlerinage de l’Adieu), poésie (comme celle de Hassan Ibn Thabit, qui immortalisa nombre de grands moments de l’islam naissant), etc. Les savants qui élaboreront des Sîra à partir de ce matériau sont nombreux (Yunus Ibn Bukayr, Ma’mar Ibn Rashid, Ibn al-Barki, etc.).

Deux noms néanmoins sont passés à la postérité, ceux d’Ibn Ishaq et d'Ibn Hisham, le second ayant remanié avec génie l’œuvre du premier. Muhammad Ibn Ishâq (704 -767) enseignait la vie du Prophète. Ses cours étaient consignés dans un ouvrage volumineux divisé en trois parties : I) Genèse (al-Mubtadâ’), une histoire du monde depuis la Création jusqu’à la naissance du Prophète) ; II) La mission (al-Mab‘ath), la vie de Muhammad jusqu’à son départ pour Médine ; III) Les campagnes (al-Maghâzî), suite de sa vie, centrée sur les expéditions militaires qu'il dirigea.

En annexe figurait une Histoire des califes destinée à achever d’inscrire la vie du Prophète dans le continuum historique. ‘Abd al-Mâlik Ibn Hishâm (m. 834), quant à lui, était l’élève d’un élève d’Ibn Ishâq. Du texte du maître, il a supprimé l’annexe, retranché l'ensemble de la première partie, et fondu les parties II et III pour en faire un récit unique. Il a supprimé également tout ce qu’il jugeait inauthentique, incongru ou superflu (poèmes et anecdotes, notamment). Il a ainsi offert à la postérité un abrégé soumis aux règles critiques qui commençaient à se diffuser en ce IIe siècle de l’Hégire.

Première parution de cet article dans Zaman le 10 janvier 2014.