Cela fait 25 ans que vous exercez le métier d'avocat. Pour ceux qui ne vous connaissent pas, une question : comment en êtes-vous venu à être l'avocat de la lutte contre les discriminations ? Hasard d'une plaidoirie, d'une affaire remportée ou d'une réflexion de fond ?
Slim Ben Achour : D'abord, j'espère ne pas être le seul. Non, c'est une considération importante qui m'a toujours animé depuis tout jeune avec mes amis à l'école. Ce n'est pas donc lié à une affaire en particulier.
En revanche, vous avez raison, la profession d'avocat m'a permis de m'exprimer sur ces points, de représenter des personnes, de leur donner la parole et de traduire tout ça d'un point de vue juridique. Et on a connu, j'ai connu, un saut qualitatif d'un point de vue juridique aux alentours des années 2000. Le droit de l'Union européenne a considérablement influencé le droit français. Ça a a commencé avec des dossiers concernant les femmes de ménage étrangères, puis de façon plus fréquente, plus massive, mais probablement en réponse à une demande sociale, après les révoltes de 2005, après la mort de Zyed et Bouna.
En revanche, vous avez raison, la profession d'avocat m'a permis de m'exprimer sur ces points, de représenter des personnes, de leur donner la parole et de traduire tout ça d'un point de vue juridique. Et on a connu, j'ai connu, un saut qualitatif d'un point de vue juridique aux alentours des années 2000. Le droit de l'Union européenne a considérablement influencé le droit français. Ça a a commencé avec des dossiers concernant les femmes de ménage étrangères, puis de façon plus fréquente, plus massive, mais probablement en réponse à une demande sociale, après les révoltes de 2005, après la mort de Zyed et Bouna.
Y a-t-il une affaire qui vous a particulièrement marquée dans votre défense ?
Slim Ben Achour : En réalité, elles me marquent toutes. La discrimination, vous savez, répond à des critères posés par la loi. Qu'il s'agisse donc de dossiers de discrimination sexuelle, de discrimination raciale, de discrimination syndicale, elles vous marquent toutes parce qu'elles touchent au cœur de l'humanité, de la dignité et de l'égalité. Ce sont des éléments essentiels dans une démocratie et dans un Etat de droit.
Mais il y en a eu une qui est assez emblématique, d'actualité, c'est l’affaire des contrôles au faciès, cela d'autant plus qu'il s'agit d'un fait social très partagé en France par les personnes qu'on peut considérer comme directement affectées, à savoir les minorités, mais pas seulement. Ces personnes qui sont constamment contrôlées ont des copains, des copines, des collègues. C'est simple, c'est un fait qui nous concerne tous, y compris ceux qui ne sont pas touchés par les contrôles d'identité systématiques, systémiques. Parce qu'encore une fois, ils touchent à la dignité de tous. On ne peut pas considérer que quelqu'un qui n'a rien fait et qui est toujours suspecté, ça ne nous concerne pas.
Donc oui, les affaires de contrôles au faciès me marquent. D'ailleurs, dernièrement, nous avons engagé une action de groupe contre l'Etat, non plus pour nous plaindre et demander des sous, mais pour imposer à l'Etat une réforme des contrôles d'identité. C'est l'affaire la plus d'actualité pour moi et pour d'autres.
Lire aussi : Slim Ben Achour : face aux contrôles au faciès, « le changement viendra de la société civile »
Mais il y en a eu une qui est assez emblématique, d'actualité, c'est l’affaire des contrôles au faciès, cela d'autant plus qu'il s'agit d'un fait social très partagé en France par les personnes qu'on peut considérer comme directement affectées, à savoir les minorités, mais pas seulement. Ces personnes qui sont constamment contrôlées ont des copains, des copines, des collègues. C'est simple, c'est un fait qui nous concerne tous, y compris ceux qui ne sont pas touchés par les contrôles d'identité systématiques, systémiques. Parce qu'encore une fois, ils touchent à la dignité de tous. On ne peut pas considérer que quelqu'un qui n'a rien fait et qui est toujours suspecté, ça ne nous concerne pas.
Donc oui, les affaires de contrôles au faciès me marquent. D'ailleurs, dernièrement, nous avons engagé une action de groupe contre l'Etat, non plus pour nous plaindre et demander des sous, mais pour imposer à l'Etat une réforme des contrôles d'identité. C'est l'affaire la plus d'actualité pour moi et pour d'autres.
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Vous compreniez ce que le sociologue François Dubet voulait dire lorsqu'il déclare que le thème des discriminations monte comme un sentiment d'injustice dominant au fur et à mesure qu'en réalité, l'égalité progresse ?
Slim Ben Achour : Oui, c'est vrai que ce paradoxe, je le comprends parce que la demande d'égalité est précédée de la conscience de l'atteinte à la dignité, l'atteinte à l'égalité. Effectivement, quand on n'est pas conscient d'être discriminé, quand on n'est pas conscient d'un problème de dignité et d'égalité, quand on est enclavé, isolé et que l'horizon n'est pas très ouvert, on peut effectivement considérer qu'on n'a pas de problème.
Mais il y a aussi une autre dimension au problème, c'est la renonciation, c'est-à-dire que l'on peut avoir conscience d'être traité défavorablement et de ne pas vouloir contester. C'est vrai que cette question est particulièrement d'actualité parce que la demande de dignité, d'égalité et de non-discrimination est très forte en ce moment.
Mais il y a aussi une autre dimension au problème, c'est la renonciation, c'est-à-dire que l'on peut avoir conscience d'être traité défavorablement et de ne pas vouloir contester. C'est vrai que cette question est particulièrement d'actualité parce que la demande de dignité, d'égalité et de non-discrimination est très forte en ce moment.
Mais alors, comment peut-on encourager les personnes victimes de discriminations à se faire aider ? D'abord, à leur rappeler que la loi républicaine est de leur côté. Il y a 25 critères aujourd'hui de discrimination possibles. Qu'est-ce que vous avez à dire à ces gens qui, aujourd'hui, se sentent victimes de discriminations ?
Slim Ben Achour : D'abord, je les entends, je les écoute. Vous avez raison, le droit est de leur côté. Mais il y a des normes sociales qui ne sont pas juridiques, qui agissent et qui, très souvent, impressionnent les personnes discriminées et qui les convainquent de ne rien faire.
Je leur dirais tout d'abord de considérer qu'elles ne sont pas seules, parce que la discrimination, même si elle est souvent vécue de façon intime, touche très souvent des semblables. Vous avez fait référence aux critères de discrimination et ces critères, en réalité, se répondent les uns aux autres parce que les personnes qui discriminent, en général, discriminent un peu dans tous les sens. Je dirais donc dans un premier temps « Vous n'êtes pas seul ».
Deuxièmement, je leur dirais de trouver une oreille, de trouver quelqu'un qui puisse les entendre et qui puisse, peut-être à l'occasion d'une affaire, régler l'affaire d'une part, mais régler aussi ce problème qui se pose pour d'autres personnes. Voilà, ça, c'est un conseil individuel, mais en réalité, la lutte contre les discriminations nous concerne tous. On doit donc être très vigilants et très attentifs à la demande d'égalité. Et on doit être aussi attentifs à ne pas discriminer. On doit faire très attention à sa position sociale, à ce qu'on peut représenter, et à ce qu'on peut faire en direction des autres.
Et puis, vous avez un acteur qui est incontournable aujourd'hui, qui a gagné une légitimité très forte en un temps réduit, probablement lié à la problématique que vous abordez aujourd'hui, c'est le Défenseur des droits, qui a un numéro d'ailleurs, le 39 28. S'il y a des observations devant les juges, c'est parce que vous avez des personnes qui décident de contester, et si cette contestation ne se règle pas soit dans l'entreprise, soit dans le logement, quel que soit le champ social, on peut toujours saisir le juge qui s'appuie très souvent sur les positions du Défenseur des droits pour statuer. On va donc souhaiter le meilleur à la nouvelle Défenseure des droits (Claire Hédon, arrivée au poste en juillet 2020, ndlr).
C'est vrai que c'est compliqué de ne pas renoncer, de préserver le statu quo parce qu'on se dit toujours qu'il peut y avoir pire. Mais il est clair que la solution est dans la lutte.
*****
Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
Je leur dirais tout d'abord de considérer qu'elles ne sont pas seules, parce que la discrimination, même si elle est souvent vécue de façon intime, touche très souvent des semblables. Vous avez fait référence aux critères de discrimination et ces critères, en réalité, se répondent les uns aux autres parce que les personnes qui discriminent, en général, discriminent un peu dans tous les sens. Je dirais donc dans un premier temps « Vous n'êtes pas seul ».
Deuxièmement, je leur dirais de trouver une oreille, de trouver quelqu'un qui puisse les entendre et qui puisse, peut-être à l'occasion d'une affaire, régler l'affaire d'une part, mais régler aussi ce problème qui se pose pour d'autres personnes. Voilà, ça, c'est un conseil individuel, mais en réalité, la lutte contre les discriminations nous concerne tous. On doit donc être très vigilants et très attentifs à la demande d'égalité. Et on doit être aussi attentifs à ne pas discriminer. On doit faire très attention à sa position sociale, à ce qu'on peut représenter, et à ce qu'on peut faire en direction des autres.
Et puis, vous avez un acteur qui est incontournable aujourd'hui, qui a gagné une légitimité très forte en un temps réduit, probablement lié à la problématique que vous abordez aujourd'hui, c'est le Défenseur des droits, qui a un numéro d'ailleurs, le 39 28. S'il y a des observations devant les juges, c'est parce que vous avez des personnes qui décident de contester, et si cette contestation ne se règle pas soit dans l'entreprise, soit dans le logement, quel que soit le champ social, on peut toujours saisir le juge qui s'appuie très souvent sur les positions du Défenseur des droits pour statuer. On va donc souhaiter le meilleur à la nouvelle Défenseure des droits (Claire Hédon, arrivée au poste en juillet 2020, ndlr).
C'est vrai que c'est compliqué de ne pas renoncer, de préserver le statu quo parce qu'on se dit toujours qu'il peut y avoir pire. Mais il est clair que la solution est dans la lutte.
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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.