Boutiques enluminées, souks illuminés, clients fiévreux et vendeurs débordés. Plusieurs semaines avant le Mawlid An-Nabawi, jour anniversaire de la naissance du Prophète (saws), l’effervescence et l’excitation sont palpables. Partout l’on traîne les enfants, à la recherche du vêtement rare : celui que n’arborera aucun copain , aucune copine ; celui dans lequel l’on pourra se pavaner le jour J. Encore faut-il que la bourse parentale soit adéquate. Dans le cas contraire, le choix devient limité, voire nul.
Pour moi, comme pour bien d’autres enfants de l’immigration maghrébine ou encore d’Afrique subsaharienne, les moments et jours de fêtes, qu’elles soient religieuses ou traditionnelles, correspondent le plus souvent à un héritage culturel transmis par nos parents. Et c’est en automates que nous reproduisons les faits et gestes de nos ascendants. Enfin… pour la grande majorité d’entre nous.
Alors, quand au détour de vacances estivales passées dans le pays de nos parents s’invite le Mawlid, nos yeux d’enfants ainsi que tous nos sens s’émerveillent et ne savent plus où donner de la tête. Que de couleurs ! Que d’odeurs ! Et que de réjouissances en perspectives ! Loin du tourbillon quotidien occidental, la lenteur assoupie et la sereine indifférence méditerranéennes nous donnent à voir et à découvrir mille et un rites et traditions ancestrales tous plus surprenants les uns que les autres. La préparation à elle seule des plaisirs et régals de ce jour constituait déjà pour nous un festival de divertissements et de parties de plaisirs. Comment ne pouvait-il pas en être ainsi alors que les greniers et terrasses que nous avions l’habitude de fréquenter pour en faire nos terrains de jeux –et à l’occasion de jolis pièges-, se révélaient à l’occasion regorger de maints trésors. Il s’agissait ensuite de les sortir de leurs cachettes. Et pour cela, quoi de plus utile qu’une main ou un corps d’enfant pour se glisser dans les plus petites interstices ! Apparaissaient alors occasionnellement de magnifiques soufflets incrustés ou encore d’immenses tentures que l’on tendait au dehors afin de rompre avec la monotonie des peintures murales et donner ainsi un air de fête au quartier. Autant de précieux objets que nous libérions un à un de leur gangue.
Cependant, c’est quand commençaient les véritables achats, ceux des vêtements de fêtes que l’on offrait aux enfants, que débutaient véritablement l’allégresse, voire les pourparlers longs et tortueux afin d’obtenir le costume tant convoité. La voiture familiale, où l’on avait l’habitude de prendre nos aises et où chacun s’était attitré une place, se transformait en minibus scolaire transportant de souks en souks les gamins surexcités de toute la famille que les parents peinaient à dompter et à tempérer. Tenter d’imposer la discipline et la subordination dans la « voiture de papa » s’avérait alors être de l’ordre de l’impossible.
Une fois l’habillement choisi, encore fallait-il qu’il corresponde à la bourse parentale. Pour nous autres « françaouis », l’achat du vêtement du Mawlid se faisait assez rapidement et nos choix se portaient le plus souvent vers les caftans traditionnels qui, pour l’occasion, apparaissaient tous plus éclatants et plus fastueux les uns que les autres. J’ai ainsi le souvenir d’un caftan sur lequel j’avais jeté mon dévolu mais dont mon père me déconseillait l’achat : en effet, je n’ai pu le porter que quelques fois puisque, couverts de paillettes et de couleurs chatoyantes et lumineuses, il avait pour principal défaut une couture faite à la va-vite et un tissu de très mauvaise qualité. J’avais goûté à l’opportunisme des commerçants.
En revanche, s’agissant de mes cousins et cousines, nous découvrions à cette occasion leurs talents de négociateurs. Il leur fallait en effet parlementer pendant des heures et parvenir à amadouer des parents désolés mais pourtant impuissants devant les mines prétendument penaudes de leurs bambins. Souvent, des concessions étaient faites de part et d’autres. Et l’on promettait tout et n’importe quoi pourvu que l’on parvienne à ses fins. Ainsi une cousine avait promis d’être plus obéissante envers sa mère et de l’aider davantage dans les tâches ménagères –occupation qu’elle haïssait soit dit en passant- afin d’obtenir le vêtement qu’elle convoitait. Visiblement, quelques jours plus tard, ces belles promesses semblaient oubliées !
Finalement, les explications concernant le pourquoi ou encore l’origine de la fête nous importaient peu. Seules comptaient pour nous l’agitation consécutive aux nombres d’enfants réunis au domicile des grands-parents et les parties de plaisir qui s’en suivaient, ainsi bien entendu que l’exposition et le défilé des costumes neufs, que chacun observait et commentait avec cette touche de cruauté enfantine.