Points de vue

Soyons ensemble, au-delà du cadre national

Rédigé par Thomas Vescovi | Mardi 17 Novembre 2015 à 11:00



Même si la routine reprend ses droits, à bien des égards, plus rien ne sera comme avant. Depuis vendredi 13 novembre, chacun y va de son commentaire, de son analyse, avec plus ou moins de pertinence, mais qu’importe, l’écriture peut soulager dans ce genre de situation. Ce que nous devons percevoir, c’est justement cet « avant » qui ne sera plus. Vendredi 13 novembre n’est pas le produit du hasard, il est bien le fruit de cet « avant ».

Après les premières annonces médiatiques, on scrute les réseaux sociaux, on découvre les visages. Parmi les victimes, des individus de tous horizons, des proches d’amis, des proches d’amis d’autres amis. Au final, « nous » sommes aussi victimes. C’est la culture populaire qui a été visée vendredi soir, des lieux que tout un chacun fréquente dans son quotidien. N’est-ce pas dès lors dérisoire d’écrire au milieu du chaos ? Beaucoup n’attendent pas que la tension retombe pour se ruer, tels des charognards, sur les plateaux télévisés ou radiophoniques, afin de jouer leurs cartes et de souffler sur les braises. Alors non, ça n’est pas dérisoire.

Paris a vécu vendredi soir ce que des peuples, de par le monde, vivent au quotidien. L’insécurité, réelle. L’incapacité physique et matérielle de mettre ses proches à l’abri. La sensation d’être vulnérable en permanence. L’attentat kamikaze, aussi lâche qu’il soit, revêt des objectifs politiques et idéologiques davantage que religieux. Semer la dépression chez « l’ennemi ». Lui démontrer ses faiblesses. Mais qui de ces victimes étaient responsables de la tragédie vécue par ces millions de Syriens et d’Irakiens ? Aucune de ces victimes n’a participé aux votes légitimant les bombardements français ! Il va falloir être capable d’ouvrir les yeux sur les acteurs de la déstabilisation du Proche et Moyen-Orient, foyer de toutes ces tensions, à commencer par les politiques de « nos » dirigeants.

Une guerre dont nous sommes otages

Ils aiment le rappeler : « Nous sommes en guerre. » Ni moi, ni mon frère syrien ou irakien n’avons été consultés à ce propos. C’est de leur guerre que nous sommes otages. Qui donc peut penser que les tonnes de bombes que nous déverserons demain au Moyen-Orient réduiront à néant les potentialités d’actions de groupes terroristes ? L’adage est vieux comme le monde : la haine entraîne la haine, la violence engendre la violence, la guerre nourrit la guerre. Même disséminés, les groupes terroristes trouveront toujours des candidats pour commettre ces atrocités. Le risque zéro n’existe pas. Quel bilan doit-on tirer de ces dizaines d’années de luttes contre le terrorisme à travers le monde ? Sommes-nous davantage en sécurité ?

La violence est l’arme des faibles. Elle est aussi un moyen, pour ceux qui en usent, de récupérer au travers du pouvoir de donner la mort, une dignité perdue dans une existence devenue vide de sens. Qu’on le veuille ou non, nos dirigeants sont « les puissants ». C’est bien eux qui ont opté pour la poursuite de campagnes militaires à l’heure où notre système économique a les moyens de résorber les fractures socio-économiques qui parsèment le monde. Oui, la déchéance sociale, la misère sous tous ses aspects, dans laquelle vivent des individus de par le monde, est le terreau du terrorisme.

Mais il semble que ceux qui ont agi sont des Européens. Tout du moins, des enfants de l’Europe. La responsabilité n’est donc pas strictement « étrangère », elle est locale. La religion n’est jamais le motif invoqué. Elle n’est qu’un apparat légitimant des objectifs politiques. Alors nous pourrons, dès demain, engager des débats sur « le religieux ». Mais comprenons bien que chaque bombe qui est lâchée par notre armée ne tombe pas sur une autre planète accessible que par les airs. « Nos » bombes tombent sur la même planète que la nôtre, parfois même sur le même continent. Et elles tuent, ou traumatisent, des gens qui n’y sont pour rien. Le retour de flammes est atroce, indescriptible, et tue, et traumatise, des gens qui n’y sont pour rien.

Pas des Livres Saints à relire mais le politique à questionner

Pour s’extraire de ce cercle de violence, il convient de penser « ensemble ». Oui, dès demain, les concitoyens musulmans qui ont, eux aussi, été victimes de ces attaques, verront leur citoyenneté mise en doute. Leur loyauté sera interrogée. Ils deviendront doublement victimes. Chaque amalgame sera une victoire pour celles et ceux qui ont fait de la division leur fonds de commerce. Chaque amalgame sera une victoire pour celles et ceux qui ont fait du « choc des civilisations » leur fonds de commerce. Le fait même que les assaillants de vendredi soir aient tiré au hasard, sans distinction ethnique ou religieuse, montre bien les objectifs politico-guerriers : fracturer, diviser, nous mettre sous tension, pour asseoir dans les esprits une « guerre totale » censée annoncer l’apocalypse.

Mais d’autres insisteront pour débattre du « religieux ». Ils débattront même sans les « religieux ». Que ces débats ne soient pas une demande de « désolidarisation » aux musulmans. Quelque part, demander de se désolidariser reviendrait à admettre notre doute sur les croyances et les attentes de millions de concitoyens. C’est le début de l’amalgame… Les organisations musulmanes françaises, au même titre que toutes les associations du champ national, ont publié des communiqués. Que voulons-nous de plus ? Et surtout, personne ne demande aux bouddhistes de se désolidariser du génocide perpétré actuellement contre les Rohingyas en Birmanie. Personne ne demande aux chrétiens de se désolidariser des massacres perpétrés en Centrafrique, ou des bombes américaines lâchées une main sur la Bible. Pour tout croyant, il est incompréhensible de perpétrer de tels actes au nom de Dieu. Dans cet obscurantisme, la religion n’est qu’un levier de recrutement et de légitimation d’actes purement politiques. Ce ne sont pas les Livres Saints qu’il faut relire, ou réinterpréter. C’est le politique qu’il faut questionner.

Restons vigilants

Penser « ensemble » doit dépasser le cadre national. Egyptiens, Libyens, Libanais, Palestiniens, Syriens, Irakiens… Tant de peuples qui souffrent des affres de politiques étatiques guidées par le racisme et le diktat de multinationales. C’est aux peuples de penser « ensemble ». Etre capables d’appréhender les traumatismes et les douleurs des autres, pour dépasser nos barrières communes. Les peuples du Proche et Moyen-Orient paient un lourd tribut des luttes d’intérêts de l’Occident. Si notre unique réponse est une « guerre totale », gageons que le fossé qui nous sépare ne sera que d’autant plus grand.

Vous pouvez me penser utopique. Mais pensez-vous sincèrement qu’une guerre ait la capacité d’apaiser les tensions ? La guerre menée par les Etats-Unis depuis 2001 contre Al-Qaïda a-t-elle tari les viviers du terrorisme ? Notre sécurité dépend de celle de nos frères et sœurs en humanité de par le monde. Comment faire ? Soyons vigilants à ce que nos dirigeants aient les mêmes attentes que nous, lorsqu’ils établissent leur politique étrangère. Parallèlement, tâchons de panser les plaies, et d’être des acteurs du projet commun, sinon d’autres ne se priveront pas d’être acteurs de la division et de la stigmatisation.

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Thomas Vescovi est étudiant chercheur en histoire contemporaine et auteur de l'ouvrage « La mémoire de la Nakba en Israël, Le regard de la société israélienne sur la tragédie palestinienne ».