Qu’est-ce-que l'extrême droite ou les extrêmes droites ?
Stéphane François : J'emploie rarement le terme d'extrême droite. J'emploie celui d'extrême droite radicale ou d'extrême droite identitaire. On entend par là, et je ne suis pas le seul, les mouvements qui (…) ont du mal à accepter les valeurs des Lumières. Ce sont des mouvements antirépublicains et antidémocrates, même s'ils jouent le jeu de la démocratie. En plus, ils définissent un ennemi. En l'occurrence, depuis quelques années, l'ennemi est clairement affiché : l'Arabo-musulman.
Depuis le milieu des années 1990, avec la guerre en Yougoslavie et l'arrivée de jihadistes en Bosnie, ces milieux ont développé un discours qui s'affirme de plus en plus antimusulman. Le discours s’est radicalisé ensuite avec les attentats du 11-Septembre et, pour le cas français, avec les attentats de Mohamed Merah en 2012.
Depuis le milieu des années 1990, avec la guerre en Yougoslavie et l'arrivée de jihadistes en Bosnie, ces milieux ont développé un discours qui s'affirme de plus en plus antimusulman. Le discours s’est radicalisé ensuite avec les attentats du 11-Septembre et, pour le cas français, avec les attentats de Mohamed Merah en 2012.
De quelle idéologie s’est inspiré l’auteur du double attentat de Chrischurch ?
Stéphane François : Le titre de son manifeste s'appelle « Le grand remplacement », théorie issue d’une tradition radicale dans le monde anglo-saxon, très ancienne et nativiste. A l'époque où elle a été formulée, au début du XXe siècle, la théorie indiquait qu’il fallait favoriser les WASP (qui se traduit en français par le « protestant anglo-saxon blanc », ndlr) et donc la race blanche.
Pour les adhérents de cette théorie, il vaut mieux dire que l'on est pour le grand remplacement plutôt que de dire, de manière un peu brutale, que l’on est contre le génocide des peuples blancs par les peuples de couleur. Il y a une utilisation stratégique du terme.
Lire aussi : Nouvelle-Zélande : après les attentats de Christchurch, la théorie du grand remplacement sur le grill
Pour les adhérents de cette théorie, il vaut mieux dire que l'on est pour le grand remplacement plutôt que de dire, de manière un peu brutale, que l’on est contre le génocide des peuples blancs par les peuples de couleur. Il y a une utilisation stratégique du terme.
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La France est-elle un laboratoire de l’extrême droite en Europe ?
Stéphane François
Stéphane François : C’est le prisme franco-français qui donne cette impression. En Allemagne, par exemple, la même extrême droite monte aussi, avec les mêmes thèmes (comme le « grand remplacement », ndlr). Ce que l’on a tendance à ne pas voir, c’est que ces milieux d’extrême droite communiquent. Je pense par exemple aux opérations des identitaires en Méditerranée (contre le sauvetage des migrants, ndlr) : vous avez dedans des Allemands, des Français, des Italiens, des Autrichiens... Ces milieux communiquent, ils ne sont pas fermés sur eux-mêmes et cela ne date pas d’aujourd’hui.
L’extrême droite américaine, elle, lit, commente et traduit des auteurs européens. Guillaume Faye, essayiste et ancien cadre du GRECE (Groupement de recherches et d’études pour la civilisation européenne, dite la Nouvelle Droite, ndlr), islamophobe en chef, est traduit en anglais. Son cas est intéressant car il était le théoricien en second du GRECE des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980. A cette époque, sa ligne était celle du soutien au monde arabo-musulman, contre les Américains. Dix ans plus tard, il est revenu avec des livres qui ont connu un succès en Europe. Il a alors basculé dans un courant islamophobe en disant qu’il avait fréquenté des Arabes trop longtemps et qu’il avait vu ce qu’ils voulaient faire... Son dernier ouvrage, publié en mars 2019, s’intitule La nouvelle guerre raciale. Tout est dans le titre.
L’extrême droite américaine, elle, lit, commente et traduit des auteurs européens. Guillaume Faye, essayiste et ancien cadre du GRECE (Groupement de recherches et d’études pour la civilisation européenne, dite la Nouvelle Droite, ndlr), islamophobe en chef, est traduit en anglais. Son cas est intéressant car il était le théoricien en second du GRECE des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980. A cette époque, sa ligne était celle du soutien au monde arabo-musulman, contre les Américains. Dix ans plus tard, il est revenu avec des livres qui ont connu un succès en Europe. Il a alors basculé dans un courant islamophobe en disant qu’il avait fréquenté des Arabes trop longtemps et qu’il avait vu ce qu’ils voulaient faire... Son dernier ouvrage, publié en mars 2019, s’intitule La nouvelle guerre raciale. Tout est dans le titre.
Pensez-vous que les différents extrémismes, de droite et islamistes, se font exister ?
Stéphane François : Clairement. C'est une construction en miroir, l'un répond à l'autre. Dans ces milieux de droite français ou européens, il y a une assimilation, une essentialisation même du musulman à l'islamiste ou au terroriste. Ceux qui n'embêtent jamais personne, que l'on ne voit pas, que l'on entend peu, qui vivent paisiblement leur foi, sont assimilés de fait à une cinquième colonne. (…) La théorie de la « rémigration » vise tous les musulmans.
Quelles sont les conséquences possibles des attentats de Christchurch en France ? Peut-on s’attendre à une prise de conscience de la dangerosité de certaines idéologies ou à une émulation pour certains adeptes de ces idées ?
Stéphane François : Les deux. Ces attentats sont terribles et une prise de conscience s’est opérée. Depuis le temps que je dis que l'on va vers des attentats, on y est. Pour l'instant, en France, on n’y est pas encore, heureusement. (…) Des services de police y travaillent, plusieurs attentats ont été déjoués. Mais l'acte en Nouvelle-Zélande peut servir d'exemple. Le fait de filmer (les massacres) avec une go-pro est un double message. Il vient signifier aux musulmans « Faites attention, regardez ce qui va vous arriver » et aux autres « Regardez ce que je suis capable de faire, imitez-moi ».
Existe-t-il un vrai risque pour les musulmans en France ?
Stéphane François : Oui, venant de personnes qui se radicalisent. On est, malheureusement, face à des gens qui se radicalisent seuls, via Internet, et qui peuvent passer à l'acte. S'ils passent à l’acte, comment vous pouvez les repérer ? Le mode de fonctionnement est horizontal : il n'y a pas de chef, mais il y a une doctrine ; il y a des groupes constitués, sans chefs. (…) Mais il y a derrière tout un matériel théorique. Depuis quelques années, il ne fait pas bon d’être musulman en Europe. C'est une population stigmatisée, associée aux islamistes.
Quelles solutions apporter face à cette situation ?
Stéphane François : Que les services de police fassent leur travail tranquillement. Il faudrait aussi renouer les liens entre les communautés qui sont fracturées depuis une vingtaine d'années. Mais c’est très dur car nous sommes face à des personnes qui sont dans une idéologie. Comment convaincre quelqu'un qui est persuadé d'avoir raison ? Un idéologue est forcément un fanatique.
Malheureusement, je n'ai pas de solutions. Comment anticiper l'action d'une personne qui s’est radicalisée seule ? (…) D'un côté, on ne peut pas les arrêter et, de l'autre, on ne sait pas qui va passer à l'acte alors qu'à la grande époque du terrorisme d'extrême gauche, dans les années 1970-1980, on savait très bien où on pouvait les trouver et qui était financé par qui. Autant, du côté des islamistes, il y a des réseaux que l'on peut suivre, autant pour ces personnes-là (de la droite radicale), on ne peut rien faire. La difficulté est ajoutée par une dissolution. Je suis contre la dissolution de ces partis-là car il vaut mieux qu'ils aient un fil à la patte et qu'on puisse les surveiller plutôt que d'avoir des militants dans la nature.
L'autre possibilité est de rompre avec la neutralité du Net, mais on bascule dans d'autres problématiques. Ces mouvements gagnent du terrain et, évidemment, il faut éduquer les gens. Malheureusement, on est dans un terreau où l’éducation ne marche plus tant que ça.
En partenariat avec Salamnews, qui consacre le dossier de son 70e numéro sur la montée des extrêmes droites en Europe.
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