Sur le vif

Strasbourg : une faculté pour former les imams turcs

Rédigé par La Rédaction | Jeudi 6 Septembre 2012 à 12:06



La « faculté » de théologie musulmane de Strasbourg (Alsace), qui a ouvert ses portes en février dernier, va démarrer ses enseignements en cette période de rentrée. Une trentaine d’étudiants vont y être formés pour devenir imams.

C’est la Turquie qui se cache derrière ce projet d’institut de formation des imams qu’elle portait depuis plusieurs années. Il est piloté par l'Union turco-islamique pour les affaires religieuses, la branche française du Diyanet, l'administration turque des affaires religieuses, placée sous l'autorité du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.

L’institut est donc clairement un établissement turc. D’ailleurs, le diplôme sera délivré par le département de théologie de l'Université d'Istanbul. Son but premier est de former des imams turcs qui officieront auprès de la communauté musulmane en France.

Faute de financement, les pays d’origine des musulmans de l’Hexagone interviennent souvent dans les affaires religieuses de la communauté musulmane. Actuellement, la Turquie envoie 236 imams dans les mosquées françaises tenues par le Diyanet, mais au moins 250 demandes d'imams supplémentaires ne peuvent être satisfaites. « La France souhaite que les imams soient formés en France. C'est pour remplir cet objectif que nous avons créé cet établissement privé », explique au Monde Fazli Arabaci, le recteur de l’institut, un ancien fonctionnaire des affaires religieuses détaché par Ankara.

Mais cette emprise de la Turquie ne plaît pas à tout le monde. « Les cours seront donnés en turc, par des enseignants de Turquie. Le diplôme et les stages seront délivrés par la Turquie. La formation ne peut donc pas s'adresser à toute la population musulmane de Strasbourg, comme le prétend le projet », critique Samim Akgönül, maître de conférences à l'université Marc-Bloch de Strasbourg. Spécialiste des minorités et enseignant au département d'études turques, il estime que l'institut de formation des imams a usurpé le terme de faculté et qu'il a utilisé sans autorisation le logo de l'université publique.

« Il est clair que le gouvernement cherche à unifier la diaspora. Mais en tant que citoyen français d'origine turque, c'est plutôt le ministre français que je devrais rencontrer. Je ne suis pas aux ordres d'Ankara », estime pour sa part Nihat Sarier, président de la Plate-forme de Paris, qui représente, en France, le mouvement Gülen, un puissant réseau d'influences économico-religieux qui suit les préceptes de l'imam controversé Fethullah Gülen. Cette mouvance compte de nombreuses écoles dans le monde, dont une en France, à Villeneuve-Saint-Georges (Île-de-France), où un collège privé a vu le jour en 2009.

Le projet de Strasbourg a été porté par le Cojep (Conseil pour la justice, l'égalité et la paix), une association proche de l' AKP (Parti de la justice et du développement), au pouvoir en Turquie.

Avec le soutien de Roland Ries, le maire socialiste de Strasbourg, l’institut a pu acquérir les locaux d’un ancien bâtiment appartenant à La Poste. La formation proposée s’adresse aux titulaires du baccalauréat âgés de plus de 25 ans. A terme, la Turquie souhaiterait ouvrir un « établissement secondaire privé », un lycée d'enseignement religieux.

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