Attentif observateur de la situation politique et religieuse de la Syrie depuis plusieurs années, Thomas Pierret, un chercheur belge qui est actuellement maître de conférence à l’Université d’Édimbourg, est aujourd’hui l’un des spécialistes francophones de ce pays qui passe par de graves violences depuis le début du soulèvement de 2011.
Les hasards de l’édition font que la thèse de doctorat de Thomas Pierret, transformée en livre, est sortie des presses à l’automne 2011. Intitulé Baas et Islam en Syrie (PUF), cet ouvrage porte sur une question importante, mais peu connue de la plupart des Occidentaux : le rôle des clercs musulmans, des oulémas, dans l’histoire de la Syrie à l’époque contemporaine et leurs relations avec les régimes successifs, en particulier la dynastie Assad.
La connaissance de cette histoire que Thomas Pierret retrace jusqu’au début du soulèvement sera cruciale pour les analyses futures de l’évolution de la Syrie. L’un des mérites de ce livre dense est de montrer les multiples débats, alliances et rivalités traversant le milieu religieux syrien, dans toute leur complexité : il met en lumière les jeux plus ou moins subtils entre pouvoir politique et autorités religieuses, mais aussi les balancements entre ouvertures et resserrements en matière de contrôle du religieux en Syrie. Il est donc heureux que l’auteur et l’éditeur aient pris le risque de livrer sans attendre ce dossier de recherche universitaire, tout en sachant que les événements risquaient de donner à la situation de nouvelles inflexions.
Les hasards de l’édition font que la thèse de doctorat de Thomas Pierret, transformée en livre, est sortie des presses à l’automne 2011. Intitulé Baas et Islam en Syrie (PUF), cet ouvrage porte sur une question importante, mais peu connue de la plupart des Occidentaux : le rôle des clercs musulmans, des oulémas, dans l’histoire de la Syrie à l’époque contemporaine et leurs relations avec les régimes successifs, en particulier la dynastie Assad.
La connaissance de cette histoire que Thomas Pierret retrace jusqu’au début du soulèvement sera cruciale pour les analyses futures de l’évolution de la Syrie. L’un des mérites de ce livre dense est de montrer les multiples débats, alliances et rivalités traversant le milieu religieux syrien, dans toute leur complexité : il met en lumière les jeux plus ou moins subtils entre pouvoir politique et autorités religieuses, mais aussi les balancements entre ouvertures et resserrements en matière de contrôle du religieux en Syrie. Il est donc heureux que l’auteur et l’éditeur aient pris le risque de livrer sans attendre ce dossier de recherche universitaire, tout en sachant que les événements risquaient de donner à la situation de nouvelles inflexions.
Le livre examine en particulier les clergés de Damas et d’Alep, entre lesquels existent peu de relations : parmi les oulémas sunnites syriens, rares sont les figures jouissant d’une véritable réputation nationale ; dans le cas d’Alep, la « provincialisation » de la scène religieuse et l’absence d’oulémas de premier plan a été le résultat de la politique et de la répression baasistes (p. 124).
Selon le constat de Thomas Pierret, l’influence des « clercs » sur la société syrienne a augmenté : « Ils seront également parmi ceux qui décideront in fine du sort de la dynastie Assad », avec laquelle s’est développé un « partenariat ambigu » (p. 13). Les oulémas sunnites syriens ont bénéficié tant de la désaffection envers l’idéologie baasiste du pouvoir syrien que de l’éradication des Frères musulmans. En outre, Pierret n’oublie pas de mettre en lumière le rôle social des oulémas, dans le sillage d’associations de bienfaisance islamiques lancées dès les années 1920, qui prospérèrent dans les années 1950, puis furent freinées par les développements politiques des années 1960, mais ont connu une renaissance dès le milieu de la décennie 2000, en relation avec les réformes économiques (p. 191).
Bien que dominé par des membres de la minorité alaouite et que se réclamant d’une idéologie séculière le régime syrien, explique Pierret, est parvenu à surmonter — dans une certaine mesure — son problème de légitimité religieuse chez les sunnites, grâce à des relations de coopération « avec des acteurs religieux parfaitement crédibles aux yeux de nombreux musulmans syriens » (p. 15). Soucieux d’en contrer les possibles conséquences politiques, le régime syrien a essayé tant bien que mal d’accompagner la réislamisation.
Après l’insurrection islamiste de 1979-1982, le régime limita sévèrement les activités religieuses dans un premier temps, tout en déléguant la gestion du religieux à ceux des clercs qui avaient fait preuve de loyauté. À partir du milieu des années 1990 se manifesta une relative libéralisation, permettant l’affirmation de figures politiquement plus indépendantes dans l’espace public.
En dépit de l’extinction quasi totale de l’aile salafiste l’élite religieuse syrienne, le salafisme s’est répandu dans la société syrienne (comme dans le reste du monde arabe) par différents canaux, dont les chaînes satellitaires, et diffuse des vues antisoufies (pp. 135-136). Il séduit un nombre croissant de jeunes « à la faveur de la révolution des technologies de la communication » (p. 180).
Selon le constat de Thomas Pierret, l’influence des « clercs » sur la société syrienne a augmenté : « Ils seront également parmi ceux qui décideront in fine du sort de la dynastie Assad », avec laquelle s’est développé un « partenariat ambigu » (p. 13). Les oulémas sunnites syriens ont bénéficié tant de la désaffection envers l’idéologie baasiste du pouvoir syrien que de l’éradication des Frères musulmans. En outre, Pierret n’oublie pas de mettre en lumière le rôle social des oulémas, dans le sillage d’associations de bienfaisance islamiques lancées dès les années 1920, qui prospérèrent dans les années 1950, puis furent freinées par les développements politiques des années 1960, mais ont connu une renaissance dès le milieu de la décennie 2000, en relation avec les réformes économiques (p. 191).
Bien que dominé par des membres de la minorité alaouite et que se réclamant d’une idéologie séculière le régime syrien, explique Pierret, est parvenu à surmonter — dans une certaine mesure — son problème de légitimité religieuse chez les sunnites, grâce à des relations de coopération « avec des acteurs religieux parfaitement crédibles aux yeux de nombreux musulmans syriens » (p. 15). Soucieux d’en contrer les possibles conséquences politiques, le régime syrien a essayé tant bien que mal d’accompagner la réislamisation.
Après l’insurrection islamiste de 1979-1982, le régime limita sévèrement les activités religieuses dans un premier temps, tout en déléguant la gestion du religieux à ceux des clercs qui avaient fait preuve de loyauté. À partir du milieu des années 1990 se manifesta une relative libéralisation, permettant l’affirmation de figures politiquement plus indépendantes dans l’espace public.
En dépit de l’extinction quasi totale de l’aile salafiste l’élite religieuse syrienne, le salafisme s’est répandu dans la société syrienne (comme dans le reste du monde arabe) par différents canaux, dont les chaînes satellitaires, et diffuse des vues antisoufies (pp. 135-136). Il séduit un nombre croissant de jeunes « à la faveur de la révolution des technologies de la communication » (p. 180).
Cependant, le milieu sunnite syrien demeure résistant aux invites réformistes de courants tels que le salafisme et reste largement attaché aux différentes écoles de droit traditionnelles (p. 140). En outre, en Syrie, de longue date, « le soufisme est incorporé dans les limites de l’orthodoxie sunnite » (p. 148) ; parmi les oulémas, ce n’est ni un courant à inclination hétérodoxe ni une tendance particulière.
Le soufisme n’est cependant pas resté indifférent à la critique salafiste : Pierret note des cas d’adaptation de rituels soufis pour y répondre (pp. 157-159), ce qui dénote une dimension défensive. Cependant, après les événements du 11 septembre 2001, on a pu assister à une contre-offensive soufie, se mettant en réseau avec d’autres acteurs d’une « internationale antisalafiste ». « La Syrie est actuellement le pays de l’Orient arabe où la mouvance salafiste est la moins bien représentée chez les oulémas » (p. 179).
L’auteur décrit l’évolution des attitudes politiques des oulémas syriens. Au début de l’année 2006, notamment à la faveur de l’admiration pour le Hamas (dont le régime syrien est le principal allié étatique), la plupart des oulémas respectés s’alignent sur une stratégie de déférence envers le régime (p. 255). Le rapprochement du milieu des années 2000 entre régime et clergé enhardit les oulémas dans leur critique des menées « laïques », non sans susciter certaines frictions, car cette attitude laïque est aussi le fait de certaines agences de l’État (pp. 261-265).
À partir de 2008, l’on constate une volonté de mieux contrôler le champ religieux et d’intégrer les oulémas dans l’appareil bureaucratique (pp. 273-274).
De façon générale, note Pierret, même en désaccord avec les orientations idéologiques du régime, les oulémas s’adaptent « tendanciellement » mieux que les militants islamistes : ils ne poursuivent en effet pas le même objectif, car le souci des oulémas est avant tout de se ménager les espaces de liberté nécessaires pour l’exercice de leur activité religieuse, et non d’accéder au champ politique (p. 271).
Le soufisme n’est cependant pas resté indifférent à la critique salafiste : Pierret note des cas d’adaptation de rituels soufis pour y répondre (pp. 157-159), ce qui dénote une dimension défensive. Cependant, après les événements du 11 septembre 2001, on a pu assister à une contre-offensive soufie, se mettant en réseau avec d’autres acteurs d’une « internationale antisalafiste ». « La Syrie est actuellement le pays de l’Orient arabe où la mouvance salafiste est la moins bien représentée chez les oulémas » (p. 179).
L’auteur décrit l’évolution des attitudes politiques des oulémas syriens. Au début de l’année 2006, notamment à la faveur de l’admiration pour le Hamas (dont le régime syrien est le principal allié étatique), la plupart des oulémas respectés s’alignent sur une stratégie de déférence envers le régime (p. 255). Le rapprochement du milieu des années 2000 entre régime et clergé enhardit les oulémas dans leur critique des menées « laïques », non sans susciter certaines frictions, car cette attitude laïque est aussi le fait de certaines agences de l’État (pp. 261-265).
À partir de 2008, l’on constate une volonté de mieux contrôler le champ religieux et d’intégrer les oulémas dans l’appareil bureaucratique (pp. 273-274).
De façon générale, note Pierret, même en désaccord avec les orientations idéologiques du régime, les oulémas s’adaptent « tendanciellement » mieux que les militants islamistes : ils ne poursuivent en effet pas le même objectif, car le souci des oulémas est avant tout de se ménager les espaces de liberté nécessaires pour l’exercice de leur activité religieuse, et non d’accéder au champ politique (p. 271).
Alors que le régime était parvenu à domestiquer les oulémas avec un certain succès, les remous du « printemps arabe » entraînent dès la mi-mars 2011 des manifestations (violemment réprimées) et l’apparition de foyers de contestation dans différents points du pays. Si certains oulémas jouent alors le rôle attendu d’eux par le régime et condamnent la discorde (fitna) que représenterait la contestation, y voyant la main de l’étranger et le fruit de complots, ce sont bien des mosquées qui offrent souvent aux manifestants de premiers lieux de rassemblement, même si le régime réagit rapidement pour s’efforcer d’y mettre bon ordre en recourant à des mesures sécuritaires. Le clergé damascène se trouve « agité par une véritable fronde » (p. 282). Cependant, face aux incertitudes quant à l’issue de ce qui était en train de devenir une guerre civile, au moment de la parution du livre, la majorité des grands oulémas adoptaient une prudente attitude attentiste.
Quoi qu’il en soit, estime Pierret, les oulémas ne peuvent que sortir gagnants : si le régime survit, il n’aura d’autre choix que de renforcer son alliance avec le clergé et de donner des gages à celui-ci ; s’il s’effondre, les hommes de religion les moins compromis trouveront leur place dans un système où un demi-siècle de parti unique n’a guère laissé d’espace pour que s’affirment des figures de référence.
* Jean-François Mayer est directeur de l’institut Religioscope, qui se consacre à l’étude des faits religieux et à leur impact dans le monde contemporain.
Quoi qu’il en soit, estime Pierret, les oulémas ne peuvent que sortir gagnants : si le régime survit, il n’aura d’autre choix que de renforcer son alliance avec le clergé et de donner des gages à celui-ci ; s’il s’effondre, les hommes de religion les moins compromis trouveront leur place dans un système où un demi-siècle de parti unique n’a guère laissé d’espace pour que s’affirment des figures de référence.
* Jean-François Mayer est directeur de l’institut Religioscope, qui se consacre à l’étude des faits religieux et à leur impact dans le monde contemporain.