Quel est votre regard sur le CNI lancé par quatre fédérations musulmanes ?
Tareq Oubrou : Tout comme je me suis déjà prononcé contre la constitution par le CFCM (Conseil français du culte musulman) d'un conseil national des imams, notamment à travers une tribune parue dans Le Monde (en décembre 2020, ndlr), je ne peux qu’être contre la création d’un CNI par quatre fédérations car l’initiative telle qu’elle est portée relève de la même logique. Le procédé n'est pas le bon. Il faut que les imams soient représentés par eux-mêmes.
Les quatre fédérations affirment qu’elles portent le CNI pour « offrir un cadre juridique » à cette structure mais que ce sont ensuite aux imams de se la réapproprier. Qu'en dites-vous ?
Tareq Oubrou : Déjà, il y aura un autre Conseil national des imams qui va être créé par le CFCM. C’est problématique, d’autant que c'est à la demande du président de la République que des CNI sont aujourd’hui créés. Cela donne le sentiment que les musulmans attendent les commandes médiatiques et politiques pour s'organiser.
Tant que les fédérations sont à l'initiative d’un tel projet, je ne suis pas d’accord. Il faut mener une réflexion profonde sur le ministère du culte musulman, les fonctions pastorales des imams, des aumôniers, des « mourchidates » dont on ne sait pas encore si on parle d'une imame ou pas... Qui est derrière ce projet ? Des théologiens, des oulémas, des fuqahas (juristes) ? Tout ce qui est fait dans la précipitation, par la convocation politique et la pression médiatique est, de par sa nature, voué à l'échec, comme toutes les initiatives passées similaires, parce que le projet n’émane pas de la base, les imams, mais de présidents de fédérations.
Nous-mêmes avons créé un espace informel pour construire le CNIF (Conseil national des imams de France, avec l’AMIF cultuelle, ndlr) mais, quand on voit cette course à la création des CNI, il vaut mieux s’arrêter aussi pour ne pas rajouter de la confusion à une autre confusion. Par contre, nous encourageons une structuration des imams par le bas, avec la création de conseils départementaux d'imams. Il faut partir des départements et des régions pour pouvoir penser une représentativité des imams à l'échelle nationale. On aboutira alors naturellement à la constitution d'une fédération nationale mais il faut laisser les choses mûrir doucement.
Tant que les fédérations sont à l'initiative d’un tel projet, je ne suis pas d’accord. Il faut mener une réflexion profonde sur le ministère du culte musulman, les fonctions pastorales des imams, des aumôniers, des « mourchidates » dont on ne sait pas encore si on parle d'une imame ou pas... Qui est derrière ce projet ? Des théologiens, des oulémas, des fuqahas (juristes) ? Tout ce qui est fait dans la précipitation, par la convocation politique et la pression médiatique est, de par sa nature, voué à l'échec, comme toutes les initiatives passées similaires, parce que le projet n’émane pas de la base, les imams, mais de présidents de fédérations.
Nous-mêmes avons créé un espace informel pour construire le CNIF (Conseil national des imams de France, avec l’AMIF cultuelle, ndlr) mais, quand on voit cette course à la création des CNI, il vaut mieux s’arrêter aussi pour ne pas rajouter de la confusion à une autre confusion. Par contre, nous encourageons une structuration des imams par le bas, avec la création de conseils départementaux d'imams. Il faut partir des départements et des régions pour pouvoir penser une représentativité des imams à l'échelle nationale. On aboutira alors naturellement à la constitution d'une fédération nationale mais il faut laisser les choses mûrir doucement.
Il existe un retard historique, intellectuel et théologique qui est aggravé par des enjeux politiques, presque nationalistes, qui prennent en otage l'islam de France.
C’est ce que déroule à peu près publiquement Mohammed Moussaoui, qui annonce un congrès dans lequel les Conseils départementaux du culte musulman sont conviés en vue de la création d'un CNI. Que pensez-vous de son initiative ?
Tareq Oubrou : Il faut que les choses se fassent en dehors des tactiques des fédérations. Il faut une vision mais malheureusement, nous n'avons pas de penseurs. Les imams n'ont pas toujours les compétences pour cela, tout comme les responsables des mosquées, qui n'ont pas de compétences théologiques pour penser l'institution religieuse représentative de l'islam dans un espace laïque. Il existe un retard historique, intellectuel et théologique qui est aggravé par des enjeux politiques, presque nationalistes, qui prennent en otage l'islam de France.
Pour qu'on se comprenne bien, je ne m'oppose pas par principe à des personnes mais je suis gêné par des procédés. On offre un spectacle qui n'honore pas l'islam et les musulmans de France. Comment peut-on résoudre ce problème ? C'est par l'action sur le terrain et la production d'une théologie d'acculturation, d'un droit canonique qui pense l’altérité... Il faut refonder toute la pensée religieuse pour enfin faire un programme de formation des imams et penser les contenus d'enseignement auprès des enfants et des jeunes. On parle d'islam à longueur de temps mais de quel doctrine parle-t-on et pour représenter quoi ? On parle de contenant mais quel est le contenu ? Je n'en vois pas parce qu'il n'y a pas de production d'une pensée doctrinale digne de ce nom autour de laquelle on pourrait rassembler les acteurs du culte musulman en France. Or, il y a une urgence en la matière.
La course à la représentativité du culte musulman et à la création de CNI pour avoir la primauté est vouée à l'échec car c'est artificiel. On est très loin de l'islam en tant qu'objet religieux, on est dans des considérations très superficielles. On a aujourd'hui plus ce souci de penser la structure qui va représenter les ministres du culte sans parler du culte lui-même, de la typologie canonique et théologique de l'autorité religieuse, de la pastorale, de la liturgie et de la formation.
Pour qu'on se comprenne bien, je ne m'oppose pas par principe à des personnes mais je suis gêné par des procédés. On offre un spectacle qui n'honore pas l'islam et les musulmans de France. Comment peut-on résoudre ce problème ? C'est par l'action sur le terrain et la production d'une théologie d'acculturation, d'un droit canonique qui pense l’altérité... Il faut refonder toute la pensée religieuse pour enfin faire un programme de formation des imams et penser les contenus d'enseignement auprès des enfants et des jeunes. On parle d'islam à longueur de temps mais de quel doctrine parle-t-on et pour représenter quoi ? On parle de contenant mais quel est le contenu ? Je n'en vois pas parce qu'il n'y a pas de production d'une pensée doctrinale digne de ce nom autour de laquelle on pourrait rassembler les acteurs du culte musulman en France. Or, il y a une urgence en la matière.
La course à la représentativité du culte musulman et à la création de CNI pour avoir la primauté est vouée à l'échec car c'est artificiel. On est très loin de l'islam en tant qu'objet religieux, on est dans des considérations très superficielles. On a aujourd'hui plus ce souci de penser la structure qui va représenter les ministres du culte sans parler du culte lui-même, de la typologie canonique et théologique de l'autorité religieuse, de la pastorale, de la liturgie et de la formation.
Pour revenir au projet du CNIF, aujourd’hui en stand-by, pourquoi ne le présentez-vous pas comme une offre alternative puisque vous estimez que les initiatives actuelles relèvent d'un mauvais procédé ?
Tareq Oubrou : Il ne faut pas faire une offre avec un pistolet sur la tempe ! Dans l'absolu déjà, l'islam n’a pas besoin d'une structure représentative des imams et aucune faute morale ne peut être pointée du doigt s'il n'en existe pas une. Il existe un droit positif pour un bon exercice du culte en France.
En réalité, il s'agit d'une demande de la République, pas de l'islam. Mais si on veut répondre à cette demande, il faut prendre le temps d'y réfléchir sur les plans théologique et canonique avec des personnes qui ont des aptitudes théologiques et intellectuelles à proposer un corpus doctrinal en la matière.
J'alerte les responsables à prendre en considération cet aspect-là et à ne pas entrer dans la technique aux dépens des fondements. Là, on cherche à établir un statut pour les imams sur le plan social, c'est très bien. Mais un imam sans contenu, c'est comme un récipient vide, il ne sert à rien du tout. Il faut aussi que l'on puisse se pencher sur la question des imams détachés : constituer un CNI avec des imams étrangers qui ne sont là en France que pour une courte période n'a pas de sens.
En réalité, il s'agit d'une demande de la République, pas de l'islam. Mais si on veut répondre à cette demande, il faut prendre le temps d'y réfléchir sur les plans théologique et canonique avec des personnes qui ont des aptitudes théologiques et intellectuelles à proposer un corpus doctrinal en la matière.
J'alerte les responsables à prendre en considération cet aspect-là et à ne pas entrer dans la technique aux dépens des fondements. Là, on cherche à établir un statut pour les imams sur le plan social, c'est très bien. Mais un imam sans contenu, c'est comme un récipient vide, il ne sert à rien du tout. Il faut aussi que l'on puisse se pencher sur la question des imams détachés : constituer un CNI avec des imams étrangers qui ne sont là en France que pour une courte période n'a pas de sens.
La construction d'une pensée religieuse ne peut se calquer sur le temps médiatique et politique.
Pourquoi le projet du CNIF n’avance-t-il pas ? A quelles difficultés êtes-vous confronté ?
Tareq Oubrou : Par nature, les hommes obéissent aux lois de l'humeur ! (rires) Il faut dire aussi que les imams sont difficiles à encadrer, ils sont à l'image de leur communauté, des enjeux de pouvoir, de visibilité, d'allégeance à une fédération, des enjeux aussi économiques liés à des raisons, disons-le, alimentaires... Tout cela détermine les postures des uns et des autres. C'est complexe. Il y a quand même un travail qui se fait même s'il n'est pas médiatisé, avec un réseau informel qui s’est constitué avec des imams dont l'objet est de travailler d'abord le contenu de la formation des imams. Il faudrait préparer la suite car des chutes, il y en aura.
La construction d'une pensée religieuse ne peut se calquer sur le temps médiatique et politique. Cette réflexion prendra le temps nécessaire pour se formaliser parce que la première des choses, c'est de changer la mentalité des religieux eux-mêmes. Des imams véhiculent des discours religieux catastrophiques qui créent un séparatisme mental et empêchent les musulmans d'être plus responsables, en leur enseignant un sentiment de culpabilité.
Le premier combat à engager est de corriger ces flots de discours qui n'ont rien à voir avec l'esprit du message de l'islam, qui va lui dans le sens de la paix, de l'altérité, de la réconciliation, de l'intelligence, de la complexité. Si ce travail n'est pas engagé, comment voulez-vous que l'on puisse parler d'une structuration sérieuse des imams ou des musulmans ? C'est comme donner de la pommade à quelqu'un qui a le cancer pour calmer la douleur et non pour guérir le mal. Il faut une théologie lourde, qui soit à la hauteur de notre grande religion, en tous cas telle que je la conçois.
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La construction d'une pensée religieuse ne peut se calquer sur le temps médiatique et politique. Cette réflexion prendra le temps nécessaire pour se formaliser parce que la première des choses, c'est de changer la mentalité des religieux eux-mêmes. Des imams véhiculent des discours religieux catastrophiques qui créent un séparatisme mental et empêchent les musulmans d'être plus responsables, en leur enseignant un sentiment de culpabilité.
Le premier combat à engager est de corriger ces flots de discours qui n'ont rien à voir avec l'esprit du message de l'islam, qui va lui dans le sens de la paix, de l'altérité, de la réconciliation, de l'intelligence, de la complexité. Si ce travail n'est pas engagé, comment voulez-vous que l'on puisse parler d'une structuration sérieuse des imams ou des musulmans ? C'est comme donner de la pommade à quelqu'un qui a le cancer pour calmer la douleur et non pour guérir le mal. Il faut une théologie lourde, qui soit à la hauteur de notre grande religion, en tous cas telle que je la conçois.
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