(Photo : © Secours islamique France)
Pourquoi le croyant de confession musulmane est-il appelé à faire preuve de générosité ?
Tareq Oubrou : Le Coran utilise de manière récurrente le mot sadaqa. Cette notion est au cœur des pratiques musulmanes. Le vocable dérive étymologiquement de siqd qui signifie véridicité. Il est donc associé au « vrai » et à la « vérité ». Autrement dit, le don est la preuve de la vraie foi et/ou la vérité de la foi. C’est donner de ce qu’on a, de son attention, de son temps et pas forcément un bien matériel. Guider une personne qui a perdu son chemin, écarter un obstacle qui encombre une voie ou simplement sourire sont autant de dons.
La zakât, troisième pilier de l’islam, est cependant obligatoire. Elle ne dépend pas du bon vouloir de celui qui se voudrait être généreux ?
Tareq Oubrou : La zakât est l’autre sens de la sadaqa. Elle est effectivement son aspect matériel canonique obligatoire. Dans le Coran, il y a un appel quasi systématique à la zakât dès qu’il est question de la prière (salât), deuxième pratique de l’islam, tellement les deux sont liées. La zakât est prélevée sur l’argent que l’on possède en surplus après avoir payé ses dettes et autres dépenses. Chaque musulman doit s’en acquitter annuellement, à hauteur de 2,5 % de l’argent qu’il possède s’il atteint le seuil imposable (nisâb, l’équivalent de 85 g d’or, soit environ 2 600 € ; ou 595 g d’argent, soit 295 € selon l’école hanafite) maintenu pendant une année lunaire. La zakât est distribuée à un certain nombre de bénéficiaires cités dans le Coran.
Cela veut-il dire qu’en donnant la zakât le croyant doit rester connecté aux besoins de la société pour parfaire sa pratique spirituelle ?
Tareq Oubrou : Toute expérience spirituelle est caractérisée par une relation triangulaire. Être au service de Dieu, c’est être au service des êtres humains, et vice-versa. C’est pour cette raison que la zakât en tant qu’acte de solidarité qui, en principe, relève du pur relationnel (c’est le droit des pauvres à l’égard des riches) se trouve parmi les cinq piliers de l’islam. Bien que la zakât soit classée parmi les pratiques cultuelles, elle n’est pas un geste symbolique d’adoration envers Dieu comme le sont la prière canonique, le jeûne et le pèlerinage. Avec la zakât, l’horizontal rejoint le vertical ; et le social, le transcendantal. De la même façon, le jeûne du mois de Ramadan est inconcevable sans partage, notamment avec le don de la zakât al-Fitr. Car si le jeûneur se prive, c’est pour donner et partager. Une transcendance n’a de valeur qu’à travers le don.
En donnant, on ne perd rien au final. C’est un rapport « gagnant-gagnant » pour reprendre un vocabulaire dans l’air du temps ?
Tareq Oubrou : L’humanité étant la même, celle du donateur comme celle du bénéficiaire, le donateur doit toujours se voir à la place du bénéficiaire. Car manifester la solidarité à l’égard d’autrui revient en définitive à être solidaire envers soi-même : « Celui qui fait un bien le fait pour soi-même », dit le Coran (s. 41, v. 46). Ce verset légitime un égoïsme altruiste : une forme d’égoïsme collectif qui, en définitive, ne culpabilise pas le bénéficiaire. Dépendre et recevoir des autres ne doit pas être culpabilisant. Cela signifie que la noblesse d’une personne et sa dignité ne sont aucunement diminuées par le fait d’être pauvre.
Et ne dit-on pas que la plus belle des richesses est celle de l’âme ?
Tareq Oubrou : Quelle que soit notre richesse, nous vivons tous avec des frustrations, des appétits jamais absolument rassasiés et des soifs jamais totalement assouvies. Nous sommes tous en manque de quelque chose, que les autres possèdent et dont nous sommes privés. Tant qu’existe ce sentiment de manque existera toujours une pauvreté. C’est à ce titre que nous sommes tous pauvres et interdépendants. Tout le monde a quelque chose à donner aux autres ; et tout le monde a quelque chose à recevoir des autres. On n’est jamais riche dans l’absolu ni pauvre dans l’absolu.
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