Pour une star de la NBA privé de parquet pendant sept mois, Tariq Abdel Wahad semble garder le moral. Répondant à l’appel de l’Union des organisations islamiques en France, il interviendra au 21e congrès avec son enthousiasme habituel et le même sourire communicatif que nous lui connaissons dans les grands moments. Tariq a forcément un secret ! En attendant « le livre » annoncé pour septembre 2004, nous avons voulu en savoir plus. Leçon de vie, leçon de joie de vivre sur fond de spiritualité !
SaphirNet.info: Quand on voit le défilé des admirateurs qui viennent vous rencontrer, juste après votre allocution, on se dit que le Bourget n’est pas de tout repos pour vous !
C’est vrai, mais c’est une bonne expérience. C’est très intéressant d’être à la rencontre des Musulmans de France. C’est vraiment intéressant et je m’y sens bien.
Envisageriez-vous de vous investir un peu plus auprès de cette communauté musulmane ?
J’ai toujours été proche de la communauté musulmane française. Je suis l’un des rares athlètes sinon le seul à affirmer ma foi sans aucune concession, sans aucun préjugé, sans aucune retenue. J’espère être considéré comme un fils de cette communauté. Et il n’est pas exact de penser que j’envisage de m’investir plus qu’avant.
C’est que nous n’avons pas souvenir de vous avoir vu prendre la parole au Bourget
(Eclat de rires !) Bien sûr que je suis déjà intervenu au Bourget ! Certes, il faut remonter un peu avant l’existence de Saphirnet.info ! Le problème est que le Congrès de l’Uoif se tient au mois d’avril. Or, c’est justement en avril nous avons généralement les « plays off » (ndr : les phases finales de la NBA). Quand mon équipe n’était pas qualifiée pour les plays off, je venais automatiquement au Congrès. Mais il m’était impossible de me libérer quand mon équipe était qualifiée. Ces dernières années, je n’ai donc pas pu venir. C’est ce qui explique votre remarque. Mais je ne suis pas à mon premier Bourget !
Côté sportif vous avez connu mieux que cette année… Comment avez-vous vécu cette expérience assez sévère pour un athlète de haut niveau ?
Quand Allah (S.w.t) nous ferme une porte, Il nous ouvre de nombreuses autres portes. Lorsque nous avons envie de faire certaines choses et que Dieu nous empêche de les réaliser, Il nous offre l’opportunité de comprendre bien d’autres choses. Et je peux dire que mon expérience de cette année a été extrêmement positive. De ne pas avoir la chance de jouer, m’a permis de passer beaucoup de temps avec ma famille. J’ai eu l’occasion de relativiser l’importance de mon métier qu’est le basket-ball. J’ai eu le temps de méditer sur la place du spirituel dans ma vie d’ici, de me pencher sur les questions de vie après la mort... Toutes ces dimensions qui constituent l’essence même de l’Islam.
Ces sept mois de disette sportive n’ont donc pas été perdus pour vous ?
Non. Ce fut une période d’introspection spirituelle. Lorsqu’on est pris dans le tourbillon de la compétition, qu’on rentre d’un voyage en attendant de repartir pour un autre, on n’a pas vraiment le temps de se poser pour réfléchir sur la relation qu’on a avec Allah (S.w.t). Cette année j’ai pu vraiment me poser. Ça m’a permis de passer de bons moments avec ma famille. De recalibrer mon rôle de père, mon rôle d’époux. Ces questions sont des questions essentielles. Encore plus essentielles que de courir à droite et à gauche, jouant certes au basket, même si j’aime cela, mais j’étais sans cesse en déplacement. Il y a donc eu du bon à rester chez moi.
Pour la star que vous êtes, le milieu associatif musulman en France ne semble pas vous rebuter.
J’ai toujours été très proche des associations qui travaillent au sein de l’Islam en France. Mais je suis extrêmement sélectif en la matière. Je suis sélectif parce que je suis exigeant. J’aime travailler avec des Musulmans qui sont professionnels, ordonnés. Je suis ouvert et accueillant avec tout le monde, mais je place la barre assez haut. Parce que lorsqu’il s’agit du travail, en plus pour la cause de l’Islam, j’aime être entouré de gens professionnels.
Une des préoccupations des associations, cette année, fut la loi antifoulard. Quel regarde portez-vous sur cette question maintenant que la loi est votée ?
Je pense qu’il ne faut pas céder à la tentation de la victimisation à outrance en nous faisant passer pour « les martyrs du système ». Telle que la situation est désormais posée, il revient aux Musulmans, surtout aux Musulmanes, de réussir à tirer leur épingle du jeu. Certaines Musulmanes vont pouvoir vivre avec cette décision. Pour d’autres ce sera particulièrement difficile. Mais le voile est une couverture symbolique que je peux qualifier de « synthétique » en ce sens que son format n’est pas particulièrement et définitivement fixé par l’Islam. Une femme peut mettre un pull à colle roulé classique, une casquette ordinaire sur la tête en vue de se couvrir. Et elle sera islamiquement couverte. C’est donc cet angle de vue qu’il faut exploiter aujourd’hui pour expliquer par exemple qu’un bonnet phrygien, symbole de la République, peut être un voile. C’est sur ce terrain qu’il faut amener le débat en espérant que ceux qui ont des yeux pour voir puissent ouvrir les yeux sur le sens précis de ce voile. Car, après tout, il ne s’agit que de la Femme musulmane et de son rapport à son corps.
Aux Etats Unis, l’expérience de Cair (Counsil on American-Islamic Relations) est assez efficace. Mais elle est conforme aux réalités américaines. Pensez-vous qu’une telle expérience puisse être transplantée en France ?
Bien sûr… Mais il faut que les Musulmans se décomplexent et il faut qu’ils s’unissent. Ces deux conditions sont indispensables. Je sais qu’elles sont difficiles à réaliser. Je sais aussi qu’il y a des gens qui sont volontaires et prêts à agir pour que l’Islam possède aussi un groupe de pression en France. Car nous devons pouvoir nous montrer actifs, pas seulement réactifs. Et il est de la nature même de l’engagement politique de se donner les moyens de pouvoir se défendre lorsque nos droits sont bafoués. Par exemple, il faut pouvoir s’exprimer lorsqu’il y a de la désinformation sur l’Islam. Si je peux me permettre une comparaison, le Crif (Conseil Représentatif des Institutions juives de France) en France fonctionne sur le même concept que Cair aux Etats Unis. Ces deux institutions ont adopté le même concept de pression. A mon avis, ce type d’actions manque aux Musulmans en France.
Est-ce que vous envisagez un tel groupe de pression parce que vous pensez que la France est islamophobe ?
Si la France est islamophobe ? C’est une question qu’il faut se poser, en effet. La France est islamophobe ? ou est-ce que c’est une partie de la France qui est islamophobe ? Apparemment, les consensus des médias et des leaders d’opinions sont des consensus islamophobes. Mais le peuple français, dans son ensemble, n’est pas nécessairement islamophobe. Car il y a des Français qui sont lucides et qui savent que la loi sur le foulard est travestie. Ceux-là n’ont pas eu la parole. On a essayé de les couper de l’ensemble des médias et des leaders d’opinions. Ces Français savent que ce n’est pas parce que les médias et certains leaders veulent vendre aujourd’hui de l’islamophobie qu’il faut adhérer à l’islamophobie. Cette nuance est importante. Car elle nous permet de ne pas généraliser de manière abusive.
Néanmoins, beaucoup d’événements sur la scène internationale impliquent des Musulmans. Les derniers en date sont les attentats de Madrid… Peut-on comprendre nos concitoyens qui sont islamophobes ?
Votre question n’est pas facile. Elle nous invite à l’introspection et à notre autocritique. Il faut peut-être, comme diraient certains, « raser les murs ». Mais je pense qu’il faut travailler. Travailler dur, dur. Que ce soit au sein des associations, que ce soit dans l’élaboration de nos projets, dans l’indépendance de leurs financements avec des commerces, des business… Il faut être actif et se hisser suffisamment haut pour incarner et représenter les vraies valeurs de l’Islam. En mon sens, cela commence par un travail sur soi-même. Pouvoir avoir un bon comportement et montrer un bon Islam. Ce travail sur soi-même doit être effectué.
Vous êtes en partenariat avec la ligne de vêtements Dawa-wear. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce produit ?
J’ai trouvé les logos extrêmement créatifs. Ils évoquent, du premier coup d’œil, la spiritualité en Islam et l’importance de cette spiritualité. Les créateurs sont jeunes et très sympathiques. C’est une marque qui se veut spirituelle mais accessible ; avec une spiritualité ouverte.
Il faut savoir qu’à la base de Dawa Wear, on trouve « six ten & Co» (Ndr : la marque 610 ). Ce groupe fut monté par des investisseurs Musulmans américains dont le but est de proposer quelque chose de nouveau à la communauté musulmane. Dans l’engagement, la parole ne suffit pas toujours, il faut savoir passer aux actes. Ces investisseurs ont décidé de passer aux actes. Ils ont voulu montrer une façon nouvelle dans l’approche et la manière dont le Musulman se conçoit. Si l’on propose un produit positif et professionnel au Musulman, il s’y reconnaît naturellement, au moins dans l’idée qui porte votre produit. C’est donc l’objectif de 610 qui n’est pas une association, mais une société.
Quelle est précisément la place de Dawa Wear dans le groupe 610 ?
Six ten possède différentes branches, directement liées à l’idée d’apporter aux Musulmanes et aux Musulmans du monde entier des produits qui feront leur fierté. Cette visée va bien au delà de la qualité du produit proposé. Bien entendu le produit doit être de bonne qualité ! Mais, en plus, il faut qu’il soit novateur dans le concept. Il faut que le concept soit apprécié par le Musulman. Dawa wear est ainsi la ligne « Urban wear » de 610. Elle est axée vers la tranche des 14/25 ans. Elle tente de reconnecter la jeunesse musulmane avec les choses qui sont importantes en Islam. Elle ne veut pas s’attarder sur les détails et le superficiel. Elle s’intéresse plutôt à des choses comme la prière rituelle. D’où les logos qui sont à la base de l’initiative. Ils ont été créés par trois jeunes musulmans de l’Est des Etats Unis. Je les ai découverts il y a trois ans. Je leur ai proposé de faire quelque chose ensemble. J’ai fait un tour de table et j’ai trouvé des investisseurs pour pouvoir lancer un projet.
Au 1er avril dernier nous avons reçu une curieuse dépêche annonçant « Tariq à l’Asvel »...
C’était un poisson d’avril. C’était le poisson d’avril de l’année. C’est parti d’un site Internet qui fait ce type de gag chaque année. Cette année c’est tombé sur moi. Mais ce n’était qu’une blague (rire).
« Le livre de Tariq », est-ce une blague aussi ?
Non, le livre n’est pas une blague. J’y travaille. Nous ne pouvons pas beaucoup en parler maintenant. Mais il arrive pour la rentrée prochaine Inchallah.
Propos recueillis par Amara BAMBA