Société

Tariq Ramadan face aux anti-burqa

Rédigé par Amara Bamba | Vendredi 4 Décembre 2009 à 14:19

C’était hier et ce fut grand. Car ce fut le Tariq Ramadan qu’on connaît et qu’on aime lire et écouter. Eloquent, clair, précis et pertinent. Un intellectuel comme on en souhaite plus sur la question musulmane en Europe. Un musulman d’Europe, porteur d’une pensée authentique, d’une vision courageuse, qu’il sait exposer avec rationalité et pédagogie. On peut aimer ou détester, mais le propos vaut qu’on s’y arrête, qu’on l’entende et qu’on le médite.



Face à la commission Gérin, Tariq Ramadan a tenu son rôle. On est loin du Tariq qui se démène comme un chiffonnier face aux accusations de ses détracteurs. Cette fois, il ne s’agit pas de s’étriper sur des questions personnelles ou des questions politiques. Il ne s’agit pas de donner la réplique à Caroline Fourest ni à Sarkozy. Il s’agit de mener un débat réel avec une commission engagée à la préparation des mentalités pour faire adopter la loi antiburqa, dans le prolongement de la loi antifoulard.

L’islam n’est pas monolithique

D’un point de vue théologico-légal, M. Ramadan a rappelé la diversité des interprétations musulmanes sur la question de la burqa comme sur bien d’autres questions. « L’islam comme une référence monolithique n’existe pas, dit-il. Vous avez des interprétations aussi diverses que dans la tradition chrétienne ou dans la tradition juive. » Puis d’ajouter que « cette idée d’avoir l’islam modéré d’un côté et l’islam fondamentaliste de l’autre en dit plus sur l’ignorance de celui qui qualifie les choses ainsi que sur celui qui connaît les réalités et les dynamiques ».

Le ton est donné. Il ne s’agira pas, pour lui, de dresser une manière de vivre sa foi contre une autre manière de vivre sa foi. Il s’agit, comme il le précise, de comprendre les sources et les références des uns et des autres, avant de prétendre apporter une réponse à une vraie question que certaines interprétations peuvent poser.

Une démarche pédagogique

Une fois les diverses motivations sur la burqa brossées, la deuxième idée forte de M. Ramadan est une invitation des politiques à une « démarche pédagogique ». Car, dit-il, « Ne mettez pas les autorités les unes contre les autres. Dans le fait religieux, quand deux autorités se confrontent, elles s’excluent ». Et dans cette invitation au législateur, M. Ramadan insiste sur le partenariat avec les responsables religieux français. « Dans ce débat précis, la pensée qui naît d’une tradition musulmane doit être une dimension qui doit vous intéresser », dit-il.

L’on se souvient qu’à l’ouverture des auditions, au mois de juillet, M. André Gérin, qui préside la commission, avait insisté sur son rôle. À l’image de la commission Stasi − sur l’affaire du voile à l’école −, M. Gérin a précisé que sa mission n’avait pas à discuter de la question religieuse car elle sort du champ politique. Elle devait s’interroger sur une question sociale.

Pour Tariq Ramadan, la question religieuse ne peut être ainsi éludée. Cependant, si le politique doit s’en saisir, il doit le faire en sachant que « vos concitoyens français de confession musulmane sont vos partenaires et non pas simplement vos interlocuteurs extérieurs ». Il explique cette position car il faut comprendre que, « aujourd’hui, l’islam est une religion française que des citoyens français sont de confession musulmane et que la très grande majorité des ces Français de confession musulmane, leaders compris, autorités locales religieuses compris, ici dans ce pays, sont vos partenaires dans cette lutte pour une meilleures compréhension de l’islam ; pour mettre en évidence le fait que la burqa et le niqab ne sont pas des prescriptions islamiques et que nous sommes liés ensemble sur ce travail et qu’une loi qui serait seulement perçue comme stigmatisante ne résoudra pas le problème ».

Comment une telle loi ne serait-elle pas stigmatisante ? M. Ramadan explique que, du point de vue des musulmans, il s’agirait ainsi de prendre prétexte des positions extrêmes de certains groupes pour aborder les vraies questions qui méritent d’être posées sur la présence musulmane en France et en Europe.

Le vrai problème

Le troisième point fort de l’audition est un classique du discours de M. Ramadan. Il met fermement la commission en garde contre l’islamisation tout azimut des problèmes sociaux. « Aujourd’hui, vous avez une partie de la population qui a l’impression que, chaque fois qu’on parle d’elle, au lieu de regarder ce qu’elle vit socialement, on culturalise son appartenance, on islamise son identité et elle vous en veut pour cela. Ils ont l’impression que toute la classe politique parle d’un problème qu’ils ne ressentent pas, eux. Et que, lorsque vous êtes un peu arabe d’origine, quand vous avez un nom musulman affilié, la réalité est que vous n’avez pas le travail, vous n’avez pas l’appartement. »

Ce discours victimaire est certes ordinaire. Mais Tariq Ramadan précise : « J’en veux à tous les populistes qui disent que les sociétés occidentales sont victimes d’une lente colonisation. Cette victimisation, cette attitude de colonisés, est très grave », dit-il avant d’ajouter : « J’en veux aussi aux leaders musulmans qui jouent la victime et disent : "On n’est pas aimés, on nous stigmatise." »

Pour lui, le citoyen suisse, dont les concitoyens viennent d’interdire la construction de nouveaux minarets, il y a un double malaise dans nos sociétés et il faut les entendre tous les deux et agir des deux côtés pour « changer l’attitude victimaire en une attitude de citoyens responsables. »

Son analyse est que « les deux questions ne s’excluent pas. Mais à mal poser la première question vous donnez l’impression de ne même pas considérer l’autre. La seule vraie [question] qui compte : celle de l’application stricte et égalitaire des lois de ce pays pour toutes les citoyennes et tous les citoyens », conclut-il.

Le débat vaut le détour

Dans le débat qui suit l’exposé, l’on apprend que certains membres de la commission se sont opposés à l’invitation de Tariq Ramadan.

M. Éric Raoult (UMP, Seine-Saint-Denis), rapporteur de la commission, ouvre le feu. Il est suivi dans la foulée par M. Jean Glavany (SRC, Hautes-Pyrénées), qui, faisant allusion à l’interdiction des minarets en Suisse, estime « qu’on a compris ces dernières semaines que la lumière venait de Suisse ». Jacques Myard (UMP, Yvelines), radicalement anti-burqa, se lance à son tour sur une partition mille fois entendue. Cette fois, il brandira un livre de fatwas salafistes pour enfin révéler les sources de sa vision rétrograde de l’islam.

Dans l’ensemble, Tariq Ramadan essuie des accusations devenues classiques de double discours, de fondamentalisme, d’inefficacité sur le terrain, de mépris pour la condition des femmes…

M. Ramadan a joué le jeu. Profitant pleinement de son temps de réponse, renvoyant M. Glavany dans les cordes et lançant quelques piques au passage, y compris sur les motivations de la commission. Pour une fois, André Gérin, d’ordinaire calme et cérémonieux, a trépigné d’impatience pour ensuite se trémousser sur son fauteuil en s’éternisant en justifications élémentaires sur l'objet de la commission ; au point d’oublier qu’il est le président de séance, chargé de distribuer la parole.

Au final, une belle audition et une double certitude : Tariq Ramadan est incontournable sur son sujet quand le cadre est approprié ; et une loi anti-burqa est un objectif incontournable aux yeux de la Commission Gérin.

Pour suivre le débat, cliquer ici : Tariq Ramadan face aux anti-burqa