Points de vue

Taysir Allouni, le prisonnier de l'ombre

Rédigé par Djebbar Amine | Lundi 2 Mai 2005 à 00:00

Le 11 mai 2005, Taysir Allouni est convoqué devant la justice espagnole. Le célèbre correspondant d’Al-Jazeera est accusé d’appartenir au mouvement Al Qaïda. C’est le 18 novembre 2004 qu’il fut arrêté sous l'initiative du juge Garzon. De nationalité espagnole, avec des références syriennes, ce journaliste de la célèbre chaîne qatarie compte plusieurs années de service à son actif.



Le 11 mai 2005, Taysir Allouni est convoqué devant la justice espagnole. Le célèbre correspondant d’Al-Jazeera est accusé d’appartenir au mouvement Al Qaïda. C’est le 18 novembre 2004 qu’il fut arrêté sous l'initiative du juge Garzon. De nationalité espagnole, avec des références syriennes, ce journaliste de la célèbre chaîne qatarie compte plusieurs années de service à son actif.

 

 

C'est en 2001 que Taysir Allouni se fait remarquer aux yeux du monde en couvrant les évènements de Kaboul mais surtout en réalisant une interview d'Ussama Ben Laden après les attentats du 11 septembre. Il s'en suivra une vague de soupçons « états-unienne » à son encontre. Après trois mois d'incarcération, son état de santé se dégrade progressivement et entraîne sa mise en liberté surveillée. Mais depuis quelques mois une dynamique de solidarité s’est constituée autour de ses confrères, Al Jazeera mais également parmi de nombreuses associations et des anonymes de par le monde. Il reste néanmoins sous l’escarcelle de la justice espagnole, et Washington surveille l’affaire de loin.

 

 

Un parcours exemplaire

 

Né en 1955 en Syrie, Taysir Allouni suit des études en économie et obtient une Licence. Il arrive en Espagne en 1985 où il poursuit ses études puis travaille comme commercial. Il épouse, deux années plus tard, Fatima al Zahra. Il acquiert la citoyenneté espagnole l’année suivante. Père de cinq enfants, Taysir Allouni travaille depuis 1996 avec l’Institut d’études et de discussion sur la paix de Grenade. Il travaille entre autre comme professeur d’arabe mais aussi pour le centre des impôts de la municipalité de Ceuta (Espagne). En 1995, il rejoint la section arabe de l’agence espagnole EFE et travaille parallèlement en free lance pour le compte d’Al Jazeera. Dès lors, il commence à faire l’objet d’écoutes téléphoniques. 

 

En 1999, il est engagé par la chaîne de télévision qatarie qui l’envoie pour une  mission de deux ans à son bureau de Kaboul. Il est chargé de couvrir la guerre qui oppose les talibans et les forces de l’alliance du Nord. En octobre 2001, il est donc sur place lorsque l’armée américaine entre en action en Afghanistan suite aux évènements du 11 septembre.

 

L’année 2001 : le tournant

 

Arabe et musulman, Taysir Allouni est le seul journaliste « toléré » par les talibans. Il n’en est pas de même pour les Etats-Unis d’Amérique. Les exactions commises par les GI’s dépeignent un portrait scandaleux de l’engagement américain et Taysir Allouni n’hésite pas à le relater dans ses reportages. Ces derniers sont diffusés dans l’ensemble du monde arabe via Al Jazeera.

 

Outre l’éviction du régime taliban, la présence américaine s’explique également par la traque d’Ussama Ben Laden, devenu l’homme le plus recherché du monde et qui aurait été localisé dans la région. T. Allouni réussit à  obtenir ce que nombre de ses pairs rêvent d’avoir : une entrevue avec Ben Laden. Les yeux bandés, il effectue un périple à travers l’Afghanistan et rencontre Ben Laden le 21 octobre 2001. Le précieux entretien effectué en langue arabe sera par la suite traduit en anglais. Peu de temps après cette diffusion, le bureau d’Al Jazeera à Kaboul est « accidentellement » bombardé par les Américains. Taysir Allouni est forcé de rentrer à Doha (Qatar) pour poursuivre son métier de journaliste. En 2003, Al Jazeera l’envoie à Bagdad pour couvrir la guerre du Golfe. Il n’y restera que cinq jours avant d’être expulsé. Les Américains fermeront le bureau de la chaîne qatarie.

 

Les premières persécutions

 

Suspecté de liens terroristes avec Al Qaïda, T. Allouni est arrêté une première fois à son domicile de Grenade, le 5 septembre 2003 sur l’initiative du juge Baltazar Garzon. Il est libéré un mois plus tard sous caution en raison de graves problèmes cardiaques.

Mais évaluant un potentiel risque de fuite, Taysir Allouni est à nouveau mis aux arrêts en novembre 2004, ainsi que huit autres accusés, par la justice espagnole. Le 4 janvier dernier, le ministère public a refusé de libérer le journaliste, qui mettait en avant des raisons de santé. Le procès prévu pour janvier 2005, a été reporté  au mois d’avril et devrait se prolonger au cours de l’année.

 

 Depuis le 16 mars dernier, M. Allouni est en résidence surveillée chez lui près de Grenade. Dans la prison madrilène où il était incarcéré, son état de santé avait alarmé son épouse qui en a accusé les autorités espagnoles.

 

Une chaîne de solidarité s’est constituée autour de Taysir Allouni pour dénoncer une attaque envers les droits de l’Homme et celle de la liberté de la presse. A commencer par son employeur, Al Jazeera, qui a organisé un meeting de soutien le lundi 31 janvier à Madrid et a rassemblé des représentants de la chaîne, des personnalités arabes, des confrères britanniques et des journalistes d’Al Quods.

C’est souvent à demi-mot que de nombreux confrères lui expriment leur soutien. Comme en témoignent les propos de Carlos Hernandez, ancien correspondant de la chaîne Antena 3, « si un journaliste américain ou européen avait réalisé un entretien avec Ben Laden, il aurait probablement eu le prix Pullitzer. » Taysir Allouni est en train de payer le prix d’un journalisme que l’autorité américaine juge trop « en phase » avec la réalité. Toutefois, la ligue arabe des droits de l’Homme ainsi que de nombreuses associations internationales ont appelé à poursuivre le combat et ont exigé sa libération.