Société

Test d'un vaccin en Afrique contre le Covid-19 : des excuses présentées, gare aux fake news

Rédigé par | Samedi 4 Avril 2020 à 14:55

Une courte séquence diffusée sur LCI concernant l'utilité de tester le vaccin BCG en Afrique a suscité un tollé sur les réseaux sociaux, poussant le médecin et le chercheur à présenter leurs excuses pour les propos qu'ils ont tenus. Elle a, dans le même temps, généré des fake news contre lesquelles il faut prêter attention à le pas les diffuser.



L’opportunité de tester le vaccin BCG pour lutter contre le coronavirus a été au cœur d'un échange entre un médecin et un chercheur mercredi 8 avril sur LCI. Une courte séquence extraite de leur discussion provoque depuis plusieurs jours une pluie de réactions indignées sur les réseaux sociaux.

« Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude (portant sur le vaccin BCG contre le Covid-19, ndlr) en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation ? Un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le Sida. Chez les prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et qu’elles ne se protègent pas », a proposé Jean-Paul Mira, chef de la réanimation à l’hôpital Cochin de Paris.

« Vous avez raison, on est d’ailleurs en train de réfléchir à une étude en parallèle en Afrique », a alors répondu Camille Locht, directeur de recherche Inserm à l’institut Pasteur de Lille.

Très vite, plusieurs personnalités et militants ont appelé à signaler la séquence de LCI au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) tandis que d’autres ont annoncé leur intention de porter plainte. « N’en déplaise à nos deux éminents professeurs, l'Afrique n'est pas un vivier de cobayes. Nous attendons de la part de LCI une condamnation sans appel de ces propos inacceptables », a, pour sa part, dénoncé dans un communiqué le PS, dirigé par Olivier Faure, qui a déploré « du racisme ».

Replacer la séquence dans son contexte

La courte séquence (40 secondes), abondamment relayée sur le Web, n'a rien d'une fake news mais elle mérite d’être replacée dans son contexte pour mieux démêler le vrai du faux.

Contrairement à de nombreuses conclusions dressées à la hâte, il ne s’agit pas, pour les deux protagonistes, de tester un nouveau vaccin, inconnu au bataillon, mais un qui est bien connu de tous, à savoir le BCG contre la tuberculose.

« Le vaccin BCG est très bien connu (plus de 3 milliards de personnes vaccinées dans le monde) ; beaucoup de données existent et ses contre-indications (immunodéficience notamment) sont peu nombreuses et bien identifiées. Enfin, il s’agit d’un des vaccins les moins chers au monde », informe l'Inserm.

Par ailleurs, il n'existe pas à ce jour d'essais cliniques pour tester l'efficacité de ce vaccin contre le nouveau coronavirus en Afrique. Si de telles initiatives sont lancées dans des pays africains, elles ne seront ni les seules ni les premières puisque des essais cliniques sont d'ores et déjà conduits dans plusieurs pays européens ainsi qu'en Australie. Une même démarche pourrait prochainement être mise en place en France, espère l'Inserm.

L’échange dans son intégralité (6 minutes), qui peut être visualisé ici, permet de relativiser la gravité de l'échange pris dans sa globalité mais aussi de débunker des affirmations qui sont sources d'infox massivement relayées sur les médias sociaux, en particulier dans les réseaux africains.


L’AP-HP choqué, les excuses « sincères » du médecin

Néanmoins, les propos tenus par Jean-Paul Mira, qui ont été largement pointés du doigt, demeurent bel et bien problématiques, notamment lorsqu'il compare le cas de « l'Afrique » (comme s'il était question d'une entité homogène) à celui des « prostituées » sur qui il faut « essayer des choses » en raison de leur forte exposition aux maladies.

« Faut-il rappeler que le dénuement africain (« pas de masques, pas de traitement »…) n’est pas un fait de nature, mais résulte notamment d’un pillage continu ? Faut-il décrire les sentiments de familles réduites à la condition de rats de laboratoire ? », font aussi part les signataires d’une tribune au Monde, pour qui les propos tenus sont « manifestement racistes » et « une insulte à l’Afrique et à l’humanité ».

Face à l’ampleur prise par la polémique, ce dernier a présenté, vendredi 3 avril, « (ses) excuses les plus sincères, parce que ces propos ne reflètent en rien ce que je suis, ce que je fais au quotidien, depuis maintenant 30 ans ».

De son côté, l’AP-HP, qui a relayé les excuses du médecin, a déclaré avoir été choqué par les propos « qui ne lui ressemblent pas ». « Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, a appelé le Pr Mira qui s’est excusé et a exprimé de profonds regrets. Il reconnaît que ses propos, pour le moins maladroits et pouvant se prêter à des interprétations péjoratives vis-à-vis des pays d’Afrique, peuvent être blessants. Telle n’était ni son intention, ni le fond de sa pensée », précise-t-on dans un communiqué sous forme d’une mise au point.

L’Inserm aussi réagit

Dans un premier temps, l’Inserm où travaille Camille Locht a dénoncé, jeudi 2 avril, une « fake news » née d'« une vidéo tronquée » qui « fait actuellement l’objet d’interprétations erronées ».

« Des essais cliniques visant à tester l’efficacité du vaccin BCG contre le Covid-19 sont en cours ou sur le point d’être lancés dans les pays européens (Pays-Bas, Allemagne, France, Espagne…) et en Australie », tient à indiquer l'Inserm. « S’il y a bien actuellement une réflexion autour d’un déploiement en Afrique, il se ferait en parallèle de ces derniers. »

« L’Afrique ne doit pas être oubliée ni exclue des recherches car la pandémie est globale. Si les essais internationaux étaient concluants, le vaccin BCG pourrait être une grande aide pour protéger les soignants », a ajouté l’institut.

Toutefois, cette prise de parole n’a pas suffi à calmer la colère, poussant l'Inserm à préciser vendredi que « les conditions dans lesquelles cette interview a été menée n'ont pas permis (à Camille Locht) de réagir correctement ». « Il s'en excuse et tient à préciser qu'il n'a tenu aucun propos raciste », assure l'institut.

Mise à jour mardi 7 avril : L’OMS dénonce des « propos racistes » émis par les deux Français et s’insurge contre « la mentalité coloniale ».

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur