Société

Théorie du genre à l'école : l'inquiétude persiste

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Vendredi 31 Janvier 2014 à 17:10

Le débat sur l’enseignement de la « théorie du genre » à l’école a éclaté ces derniers jours ne laissant pas le choix à Vincent Peillon d’intervenir. Malgré la mise au point du ministre de l’Education qui nie l’introduction d’une telle doctrine, des parents d’élèves musulmans restent mobilisés et le Conseil français du culte musulman (CFCM) s’est même saisi de la question. Retour sur une semaine polémique.



Aux lendemains des premières Journées de retrait de l'école (JRE, les vendredi 24 et lundi 26 janvier) suivies par certains parents dans une centaine d'établissements, Vincent Peillon est rapidement monté au créneau pour crier à l’instrumentalisation.

Au cours des questions au gouvernement mardi 28 janvier, le ministre de l’Education nationale a démenti fermement tout enseignement de la « théorie du genre » à l'école. Le programme « ABCD de l'égalité » accusé par ses détracteurs d’être un moyen pour introduire la théorie du genre, a été instaurée dans le but de lutter contre les inégalités entre les filles et les garçons, a-t-il argué, tout en fustigeant une manœuvre de « l'extrême droite négationniste ».

Civitas dans le coup

La personnalité de Farida Belghoul, à l’origine de la campagne JRE, invitant les parents à retirer leurs enfants de l'école une journée par mois pour protester contre l’enseignement de la « théorie du genre », y est beaucoup dans l’accusation portée par le ministre, car l’ancienne militante de la Marche pour l'égalité et contre le racisme en 1983 et initiatrice de Convergence 84 est désormais proche de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral, cofondateur du Parti antisioniste en 2009. Du coup, même si elle est a l’origine de REID, un réseau de lutte contre l’illettrisme, son militantisme affiché contre la théorie du genre pose question.

Dans le même temps, des groupes d’extrême droite comme Civitas s’emparent de ce combat. Le mouvement catholique traditionaliste, qui dit soutenir Farida Belghoul dans « sa démarche courageuse de résistance », a lancé lundi 27 janvier une pétition contre le « totalitarisme » à l’école et organise des conférences pour dénoncer la théorie du genre. Il n’en fallait pas moins pour diaboliser ce combat.

Manifestation contre la théorie du genre

Vincent Peillon.
Face à ce constat, Jean-François Copé, qui disait, dans un premier temps, comprendre l’inquiétude des parents, a finalement condamné l’initiative des JRE en dénonçant mercredi 29 janvier une « manipulation, lancée par des personnes cherchant clairement à affoler les parents d'élèves ».

« Rumeur » est par ailleurs le mot qui revient dans les pouvoirs publics et même au sein de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), l’une des principales associations de parents d’élèves, pour qualifier le fait que la « théorie du genre », autrement dit l’idée que chacun puisse choisir son identité sexuelle, soit enseignée à l’école.

Mais d’autres restent convaincus du contraire. C’est le cas de Christine Boutin, qui soutient la campagne JRE. La présidente d'honneur du Parti chrétien démocrate avait déjà été très impliquée dans la lutte contre le mariage pour tous.

D’autres parents mobilisés contre cette théorie du genre sont d’ailleurs à chercher du côté du mouvement La Manif pour tous. Si, lors de leur prochaine manifestation prévue à Paris, dimanche 2 février, le mot d’ordre principal est de protester contre la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de lesbiennes et la gestation pour autrui (GPA), le collectif Vigi-Gender appelle également les parents à se joindre au rassemblement pour dénoncer la théorie du genre. « Les parents sont très inquiets et je les comprends. Ils cherchent des moyens de se faire entendre », commente Ludovine de la Rochère, la présidente de la Manif pour tous, qui rassemble majoritairement des familles catholiques.

Le CFCM saisi de la question

La communauté musulmane n’est pas en reste. Une bonne part des parents ayant participé aux premières JRE serait de confession musulmane.

Face aux nombreuses inquiétudes qui ont émergé au sein de foyers musulmans, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), arrivé sur le tard, s’est tout de même saisi de la question. A l’issue d’une réunion, jeudi 30 janvier (alors que la mobilisation contre la prétendue « théorie du genre » circule sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois déjà), le CFCM dit avoir pris note du démenti de Vincent Peillon et appelle les parents à « renouer rapidement le dialogue avec les chefs d’établissement pour permettre un retour rapide de leurs enfants à l’école ». L’instance rappelle toutefois être « fondamentalement hostile à l’idée de la théorie du genre relevant davantage d’une idéologie sectaire qui dénie la création par Dieu des êtres humains dans leur genre en tant qu’homme et femme ».

Les institutions juives et catholiques, dont les fidèles disposent d’un réseau d’écoles privés beaucoup plus développés que les musulmans, n’ont pas réagi officiellement à ce débat polémique. Il n'en reste pas moins que la notion de genre interroge plus d'un, et des formations commencent à être dispensées pour tenter de « formuler des repères éthiques et juridiques selon la tradition catholique ».

Les écoles des quartiers populaires visées ?

Après le démenti ferme de Vincent Peillon, le débat est loin d’être clos. Après la manifestation du 2 février, le programme de l’ABCD de l’Egalité devrait « continuer à être combattu », dans les jours qui suivent, au regard de la détermination de certains parents d’élèves.

La réaction du ministre de l'Education, qui a notamment demandé aux chefs d’établissement de convoquer les parents ayant participé aux JRE – manière bien maladroite de stigmatiser, au lieu d'organiser un débat avec l'ensemble des parents pour lever les appréhensions – , a d’ailleurs « renforcé les positions » du collectif Touche pas à nos gosses impliqué dans ce combat. « Je suis convaincu que des réponses n’ont pas été apportées », assène Zouhair Ech Chetouani, l’un des membres de ce collectif, situé à Asnières, dans les Hauts-de-Seine.

Cette lutte menée contre un programme visant à « gommer les différences sexuelles » et à « déconstruire les gamins » ne repose pas sur rien, insiste-t-il. M. Ech Chetouani remarque par ailleurs que l’expérimentation des ABCD de l’Egalité se déroule dans « des écoles de quartiers » et dénonce que rien n'y soit fait contre l’échec scolaire. « Je ressens une vraie urgence », lance le père de famille, qui souhaite « informer » le plus grand nombre de parents d’élèves, notamment ceux qui n’auraient pas les moyens d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées.

Constat implacable et désolant : l’école publique devient un danger, selon certains parents d'élèves. La polémique faite autour de la « théorie du genre » a levé le voile sur le lien de confiance brisé entre un bon nombre de familles et l’institution scolaire.