Ramadan

Un Ramadan sans viande pour un jeûne plus sain et plus éthique ?

Rédigé par Lionel Lemonier et Hanan Ben Rhouma | Mardi 5 Avril 2022 à 12:00

Depuis une dizaine d’années et les affaires de fraude sur la production de viande halal, le végétarisme se développe doucement parmi les croyants musulmans, au point où certains revendiquent le fait d’être plus proches des recommandations du Prophète en matière de consommation. Avec l'arrivée du mois du Ramadan, sensé être synonyme de sobriété, un bon musulman devrait-il aussi se convertir au régime sans viande ?



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Cette année, le premier jour du Ramadan tombe samedi 2 avril. Durant ce mois béni, sans pour autant être sacré dans le calendrier islamique, les croyants musulmans observent le jeûne, l’un des cinq piliers de l’islam, au cours de la journée avant de passer à table entre le coucher du soleil et l'aube. Pour une minorité, le repas sera sans viande car ils se sont convertis au régime végétarien.

Le végétarisme n'est pas un phénomène nouveau mais il profite notamment ces dernières années des conséquences de scandales alimentaires. Le début de la décennie 2010 a été particulièrement secoué par les affaires de fraude et de corruption sur la production de viande, l'une des plus connues étant le scandale de la viande de cheval vendue comme du bœuf halal. Mensonges sur la provenance des animaux, viandes qualifiées de « halal » alors que les animaux n’ont pas été abattus selon le rite musulman, étiquettes mensongères sur des produits élaborés… au point de pousser certains à se détourner de la viande.

Quatre raisons pour réduire sa consommation de viande

D’autres raisons peuvent – et devraient – pousser les consommateurs à se passer de viande. Comme le rappelle l’association américaine FARM qui milite pour une alimentation sans produits d'origine animale et qui est à l’origine de la Journée internationale sans viande (Meatout Day) le 20 mars, « une autre alimentation est possible » pour épargner les animaux, la planète et ses habitants.

Supprimer ou diminuer largement sa consommation de viande a en effet des avantages au niveau, d'abord, de la santé. L’alimentation végétale est très faible en gras saturés ainsi qu’en cholestérol et permet donc de réduire les maladies cardio-vasculaires. Les fibres de l’alimentation végétale protègent contre le cancer du côlon et réduisent les risques d’obésité et de diabète.

Revoir ses habitudes est aussi source de bienfaits pour l’environnement, la consommation de viande étant devenue une des sources principales d'émissions de gaz à effet de serre sur la planète selon l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Les élevages industriels sont la cause d'une déforestation massive et d'une surconsommation d'eau alors même que la pénurie d'eau pourrait toucher 5 milliards d'individus en 2050 selon l'Organisation météorologique mondiale (OMM).

Par ailleurs, les élevages industriels n’offrent pas de conditions décentes de vie, de transport et d’abattage aux animaux. Les vidéos de l’association L214 dénoncent régulièrement cette situation, entraînant une plus grande sensibilisation que par le passé au respect de la vie animale.

Enfin, la maîtrise du budget familial peut faire partie des raisons entraînant une diminution de la consommation de viande. Une étude publiée dans The Lancet (en anglais) estime que le coût d’un régime alimentaire végétarien est de 22 % à 34 % moins élevé que celui d’un régime carné pour le consommateur, en fonction de son lieu d’habitation.

Une sensibilisation musulmane au végétarisme en croissance

Pratique alimentaire encore très minoritaire chez les croyants musulmans, le végétarisme est néanmoins en croissance, y compris dans les pays arabes comme l’indiquait en mai 2019 Nada Elbarshoumi. Cette bloggeuse vivant aux Emirats arabes unis estimait que « les barrières au véganisme dans le monde arabe sont en grande partie culturelles » du fait d’une perception des régimes à base de plantes « comme étant inférieurs d'un point de vue nutritionnel, et l'idée que ne pas manger de viande vous rend intrinsèquement moins "Arabes" ».

Une musulmane, elle-même végétarienne, témoignait aussi sur Lallab que « le végétarisme est tout à fait compatible avec l’islam, puisqu’il n’est pas obligatoire de tuer l’animal », ceci en se référant à une parole du Prophète : « Certes, Allah a prescrit la bienfaisance dans toutes choses. Si vous tuez, tuez bien et si vous égorgez, égorgez bien » les animaux. Et de préciser que sa conversion au véganisme pendant le mois du Ramadan est un moyen de « se rapprocher d’Allah en mangeant plus simplement, en étant sûre de causer moins de mal aux animaux et en évitant les maux de ventre (qu'elle éprouvait) parfois à cause du lait ».

Vers un « végétarisme consenti »

Omero Marongiu-Perria fait partie de ces rares islamologues francophones à s'être emparé de la question depuis plusieurs années, en appelant les musulmans à repenser totalement leur rapport à l'alimentation carnée. L’auteur de l’ouvrage « L’islam et les animaux », lui aussi végétarien, estime que « les tensions, au cœur de la société contemporaine, sur la qualité globale de l'alimentation, amènent progressivement les acteurs musulmans impliqués dans la filière halal à interroger les conditions d'élevage des animaux destinés à la consommation ». Une interrogation qui doit se faire aussi « dans un contexte de réappropriation des sources scripturaires musulmanes qui interrogent les aspects de la vision du monde qui s'est orientée, au cours du temps, dans le champ musulman, vers une "dépersonnalisation" de l'animal ».

Citant le théologien musulman Al-Hafiz Basheer Ahmad Masri, le sociologue prône un « végétarisme consenti » comme une « orientation possible, voire nécessaire, pour le respect de l'équilibre des espèces dans l'accès et l'exploitation des ressources terrestres ».

Des leaders religieux de diverses confessions à travers le monde s'emparent du débat en ce sens. Plusieurs dizaines d'organisations confessionnelles ont ainsi appelé le monde à adopter un « Traité végétalien » afin de « faire évoluer la société vers des régimes alimentaires à base de plantes », une proposition présentée comme « la meilleure approche pour tenter d'éviter une catastrophe climatique ».

Les habitudes carnassières de nombreux ménages musulmans ont la vie dure mais les croyants sont appelés à les revoir dans l'optique d'un meilleur respect de soi et du monde qui nous entoure. Le mois du Ramadan peut représenter cette opportunité à saisir. Quitte à ce que certains se convertissent au végétarisme, sans que leurs sœurs et frères en islam n’aient à s’en inquiéter puisqu’ils peuvent continuer à manger de la viande… pour autant qu’elle soit halal.

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