TUNIS. − Intituler cette colonne « Les récits de Bent Battuta » sans évoquer le premier voyage est impossible.
Comment, en effet, vous parler d’ailleurs, des ailleurs géographiques, d’horizons nouveaux et imaginaires sans vous évoquer la terre de mes ancêtres, de ces horizons perdus de champs d’oliveraies, de terres arides et rouges asséchées en période estivale, pendant laquelle hommes, femmes et animaux sont assommés par un soleil revanchard ?
Aussi loin que je puisse remonter à chaque rencontre, à chaque nouvelle présentation de ma part, j’ai eu droit à ce « fameux » et attendu « D’où viens-tu ? », décliné de temps à autre en « De quelle origine es-tu ? ».
Pas difficile de comprendre pourquoi, aujourd’hui, les identités m’ont fascinée et obsédée.
Je n’ai jamais aimé les rengaines et antiennes qui vous font dire que vous n’êtes ni d’ici ni d’ailleurs. Je me refuse de me décliner en négatif ni d’user et de jouer de conjonctions de coordination de la langue française pour dire ce que je suis.
Mes identités ne sont ni en contradiction ni une juxtaposition mais elles sont davantage un palimpseste.
Aussi loin que je puisse remonter, la capitale tunisienne, l’ancienne Carthage, est inscrite dans ma chair, dans mes souvenirs et en mon être.
Pour tout enfant d’immigré fraichement arrivé dans un pays, ce qui est commun pour des générations de Français polonais, italiens, portugais, algériens, marocains, la terre des ancêtres, des origines est souvent fantasmée, rejetée, chérie… La littérature abonde : ai-je vraiment besoin de vous faire un dessin ?
Je pourrais noircir des pages de souvenirs d’enfance tant le village de mes grands-parents a été un lieu de découvertes, de récréations, de contemplations et de distractions. Ces temps m’ont toujours parus immémoriaux et impassibles. L’exil n’avait touché que mes parents ; près de la majorité de mes oncles et de mes tantes a construit un avenir meilleur pour eux-mêmes et leurs enfants grâce à la démocratisation de l’enseignement voulu par Bourguiba qui fut le père de l’indépendance.
Au lendemain de la Révolution tunisienne, celle qui avait vu la fin du règne de la peur, de l’absence de libertés et de l’arbitraire, je suis retournée en Tunisie. Pour un voyage pas tout à fait comme les autres.
Ce voyage, je l’avais organisé entièrement pour un groupe venu pour des raisons linguistiques, culturelles et mémorielles. Il s’adressait à des hommes et à des femmes français et américains venus découvrir et redécouvrir la Tunisie sous un angle politique et interreligieux.
Sophie n’avait pas besoin de mes indications dans la ville de Tunis, elle en connaissait tous les recoins, racontait des anecdotes d’une Tunisie que je ne pouvais pas connaitre du fait de mon âge.
Née sous le Protectorat français dans l’une des artères principales de Tunis, Sophie avait à cœur de me partager ses mémoires, ses souvenirs d’un pays que nous avions en commun ; des souvenirs de collégienne et de lycéenne dans une Tunisie en transition.
Depuis quelques années, Sophie, à la retraite, divise son temps entre la France et la Tunisie, un peu comme ma mère. La Tunisie qu’elle a connue est certes très différente, ses parents et camarades de classe juifs, chrétiens et musulmans ont pour beaucoup choisi de construire leur vie ailleurs.
Les paroles de Sophie résonnaient avec les mots et les souvenirs de mon grand-père qui avaient insufflé très tôt en moi l’idée que l’identité ne pouvait jamais être unique ni monolithique. Sa participation à la Seconde Guerre mondiale m’en avait convaincue.
L’identité en France n’a pas fini de nous obséder. Nos conflits mémoriels ne sont pas clos. De la place ou l’absence de littérature sur les troupes indigènes dans la libération de la France à la reconnaissance si tardive de la France dans l’internement des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale, en passant par la mise en concurrence de la Shoah et de l’esclavage, nos mémoires qui forgent notre identité paraissent souvent exclusives, voire exclusivistes.
Les révisionnistes politiques qui s’amusent à relire l’Histoire pour ériger l’œuvre coloniale comme porteuse de culture ne parviennent qu’à crisper les identités.
Je souhaite souvent que chacun puisse rencontrer des Sophie ou être élevée avec amour et bienveillance par un tel grand-père qui vous font explorer des mémoires et des temps inconnus pour forger en chacun de nous une mémoire inclusive, une identité apaisée.
****
Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
Comment, en effet, vous parler d’ailleurs, des ailleurs géographiques, d’horizons nouveaux et imaginaires sans vous évoquer la terre de mes ancêtres, de ces horizons perdus de champs d’oliveraies, de terres arides et rouges asséchées en période estivale, pendant laquelle hommes, femmes et animaux sont assommés par un soleil revanchard ?
Aussi loin que je puisse remonter à chaque rencontre, à chaque nouvelle présentation de ma part, j’ai eu droit à ce « fameux » et attendu « D’où viens-tu ? », décliné de temps à autre en « De quelle origine es-tu ? ».
Pas difficile de comprendre pourquoi, aujourd’hui, les identités m’ont fascinée et obsédée.
Je n’ai jamais aimé les rengaines et antiennes qui vous font dire que vous n’êtes ni d’ici ni d’ailleurs. Je me refuse de me décliner en négatif ni d’user et de jouer de conjonctions de coordination de la langue française pour dire ce que je suis.
Mes identités ne sont ni en contradiction ni une juxtaposition mais elles sont davantage un palimpseste.
Aussi loin que je puisse remonter, la capitale tunisienne, l’ancienne Carthage, est inscrite dans ma chair, dans mes souvenirs et en mon être.
Pour tout enfant d’immigré fraichement arrivé dans un pays, ce qui est commun pour des générations de Français polonais, italiens, portugais, algériens, marocains, la terre des ancêtres, des origines est souvent fantasmée, rejetée, chérie… La littérature abonde : ai-je vraiment besoin de vous faire un dessin ?
Je pourrais noircir des pages de souvenirs d’enfance tant le village de mes grands-parents a été un lieu de découvertes, de récréations, de contemplations et de distractions. Ces temps m’ont toujours parus immémoriaux et impassibles. L’exil n’avait touché que mes parents ; près de la majorité de mes oncles et de mes tantes a construit un avenir meilleur pour eux-mêmes et leurs enfants grâce à la démocratisation de l’enseignement voulu par Bourguiba qui fut le père de l’indépendance.
Au lendemain de la Révolution tunisienne, celle qui avait vu la fin du règne de la peur, de l’absence de libertés et de l’arbitraire, je suis retournée en Tunisie. Pour un voyage pas tout à fait comme les autres.
Ce voyage, je l’avais organisé entièrement pour un groupe venu pour des raisons linguistiques, culturelles et mémorielles. Il s’adressait à des hommes et à des femmes français et américains venus découvrir et redécouvrir la Tunisie sous un angle politique et interreligieux.
Sophie n’avait pas besoin de mes indications dans la ville de Tunis, elle en connaissait tous les recoins, racontait des anecdotes d’une Tunisie que je ne pouvais pas connaitre du fait de mon âge.
Née sous le Protectorat français dans l’une des artères principales de Tunis, Sophie avait à cœur de me partager ses mémoires, ses souvenirs d’un pays que nous avions en commun ; des souvenirs de collégienne et de lycéenne dans une Tunisie en transition.
Depuis quelques années, Sophie, à la retraite, divise son temps entre la France et la Tunisie, un peu comme ma mère. La Tunisie qu’elle a connue est certes très différente, ses parents et camarades de classe juifs, chrétiens et musulmans ont pour beaucoup choisi de construire leur vie ailleurs.
Les paroles de Sophie résonnaient avec les mots et les souvenirs de mon grand-père qui avaient insufflé très tôt en moi l’idée que l’identité ne pouvait jamais être unique ni monolithique. Sa participation à la Seconde Guerre mondiale m’en avait convaincue.
L’identité en France n’a pas fini de nous obséder. Nos conflits mémoriels ne sont pas clos. De la place ou l’absence de littérature sur les troupes indigènes dans la libération de la France à la reconnaissance si tardive de la France dans l’internement des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale, en passant par la mise en concurrence de la Shoah et de l’esclavage, nos mémoires qui forgent notre identité paraissent souvent exclusives, voire exclusivistes.
Les révisionnistes politiques qui s’amusent à relire l’Histoire pour ériger l’œuvre coloniale comme porteuse de culture ne parviennent qu’à crisper les identités.
Je souhaite souvent que chacun puisse rencontrer des Sophie ou être élevée avec amour et bienveillance par un tel grand-père qui vous font explorer des mémoires et des temps inconnus pour forger en chacun de nous une mémoire inclusive, une identité apaisée.
****
Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
Lire aussi :
Ce sont les discours de rétractation sur les identités exclusives qui provoquent les guerres
(R)évolution culturelle : inventons une identité plurielle
Notre identité convictionnelle est une richesse pour notre identité nationale
Le passé de la France : un élément clé pour les relations entre musulmans et non-musulmans
La France plurielle réinvente l’identité française
Inverser le regard sur l’immigration, un travail titanesque
De l’identité à l’identitaire
L'identité nationale, vue par Souleymane Bachir Diagne
Ce sont les discours de rétractation sur les identités exclusives qui provoquent les guerres
(R)évolution culturelle : inventons une identité plurielle
Notre identité convictionnelle est une richesse pour notre identité nationale
Le passé de la France : un élément clé pour les relations entre musulmans et non-musulmans
La France plurielle réinvente l’identité française
Inverser le regard sur l’immigration, un travail titanesque
De l’identité à l’identitaire
L'identité nationale, vue par Souleymane Bachir Diagne