Société

Vaccin contre la Covid-19 : face à l'offensive des antivax, le gouvernement mis au défi de la transparence

Rédigé par Myriam Attaf et Hanan Ben Rhouma | Samedi 26 Décembre 2020 à 12:55

Moins d'un an après le début de la pandémie de la Covid-19, source d'une crise sanitaire sans précédent, la mise au point d'un vaccin suscite une vague d'espoir mais aussi de défiance. La France, qui lance sa campagne vaccinale en cette fin d'année 2020, est l'un des pays où l'hésitation vaccinale est très forte. alimentée par les militants antivax les plus virulents. Quelles sont les réponses adaptées face à ce phénomène ?



Voici quelques semaines encore, le vaccin contre la Covid-19 faisait l'objet de questions sans réponses. Depuis, plusieurs traitements sont sur le coup. Après l'Agence européenne des médicaments, la Commission européenne a donné son feu vert, lundi 21 décembre, pour la distribution à travers l’UE du vaccin de Pfizer-BioNTech. La Haute autorité de santé (HAS) a autorisé, jeudi 24 décembre, la distribution de ce traitement, « au regard tant de son efficacité que de son profil de tolérance » afin de « se protéger des formes symptomatiques de la Covid-19 ». L'instance confirme ainsi la stratégie vaccinale définie en France, avec une campagne en trois phases qui débute dimanche 27 décembre dans des EHPAD. Ciblant en priorité « les plus vulnérables et les plus exposées au risque de Covid-19 », la campagne se poursuivra jusqu'à s'étendre à l'ensemble de la population courant 2021.

La mise sur le marché d'un vaccin devrait soulager mais pourtant, elle inquiète. Les conclusions de l'enquête CoviPrev, menée par Santé Publique France et révélée début décembre, mettent en évidence une défiance accrue des Français envers la vaccination : « En novembre 2020, seule la moitié des personnes interrogées (53 %) répondait vouloir certainement ou probablement se faire vacciner contre la Covid-19. Ce résultat est en baisse par rapport au mois de juillet quand 64 % disaient avoir l’intention de le faire. ».

En juillet 2020, parmi les personnes sondées qui ne souhaitaient pas être vaccinées, 67 % estimaient que « les nouveaux vaccins ne sont pas sûrs », 33 % disaient préférer d'autres moyens de prévention comme les gestes barrières, et 18 % déclaraient être « contre la vaccination en général ». Néanmoins, dans ce même groupe, 60 % précisent que « des informations qui prouvent l’efficacité et la sûreté des vaccins » et la protection de leurs proches pourraient les faire changer d'avis.

Des doutes légitimes exacerbées par les antivax

Peur des effets secondaires, manque de recul sur les futurs vaccins... Les questions découlant des craintes suscitées par le vaccin sont légitimes. Les balayer est une erreur. « Même si les théories conspirationnistes sont légion en matière vaccinale, il ne faudrait pas non plus tomber dans la caricature : il peut être légitime de douter d’un vaccin produit rapidement et sur lequel nous n’avons pas de recul », juge en ce sens le professeur Antoine Bristielle, expert associé à la Fondation Jean Jaurès.

Néanmoins, ces inquiétudes à la source de l'hésitation vaccinale sont récupérées et exacerbées par des militants de la mouvance antivax. Adeptes de théories complotistes (en tête celle de « Big Pharma », accusé de collusion d'intérêts avec les Etats pour réaliser du profit sur le dos de la santé des populations), ils n'hésitent ni à manipuler des informations, ni à propager rumeurs et infox pour faire grossir les rangs des vaccino-sceptiques. Dernièrement, une vidéo montrant une infirmière américaine s'évanouir après avoir reçu une dose du vaccin Pfizer a alimenté les thèses des antivax les plus virulents, jusqu'à déclarer la personne morte. Ce qu'elle n'est pas.

Les réseaux sociaux, un terrain de jeu propice aux infox

Les antivax, pour qui l'espace d'expression privilégié est indubitablement les réseaux sociaux, peuvent compter sur des voix influentes. Sur Instagram, une ex-star de la téléréalité suivie par un million d’abonnés s'est faite étendard du mouvement. Dans une vidéo postée le 11 novembre, elle explique que le vaccin inoculerait « des nanoparticules activées par la 5G » et que la Covid-19 serait « une maladie inventée pour lutter contre la surpopulation mondiale ». « Le meilleur conseil que je peux vous donner c'est, surtout, ne vous faites pas vacciner », se laisse-t-elle dire.

La jeune femme est loin d'être la seule à propager ces idées. Des pétitions en ligne mobilisent tandis que, sur Twitter et Facebook, des milliers d’internautes clament leur défiance vaccinale. Sur YouTube où des chaînes anti-vaccins rassemblent des centaines de milliers d'abonnés, une vidéo à succès intitulée « A regarder d’urgence avant la censure : Institut Pasteur et Microsoft ont les brevets du Covid19 » avançait que le vaccin inoculerait le VIH mais aussi des nanoparticules qui permettraient de tracer les personnes vaccinées. Cette vidéo concentrant quantité d'affirmations mensongères a depuis été supprimée de la plateforme.

Face aux antivax, plusieurs collectifs de citoyens tentent d'apaiser les esprits en proposant des contre-discours aux théories du complot, bien que ces derniers, comme les fake news, bénéficient d'une plus forte viralité sur les réseaux sociaux.

Sur Faboook, les Vaxxeuses, un groupe suivi par quelque 17 000 personnes, déconstruit ces théories et relaie un contenu tantôt informatif, tantôt satirique pour décrédibiliser les antivax qui « s'affichent derrière des noms très respectables » mais qui usent d'un « stratagème malhonnête pour attirer dans leurs filets de jeunes parents en recherche d'informations ». « La vaccination est la plus grande avancée médicale. Elle a sauvé des millions de vies. Ne laissez pas les mensonges vous faire douter de ses bénéfices », écrivent les membres du collectif, déterminés à combattre le virus de la peur.

Une défiance ancienne que la crise du Covid-19 a renforcé

Cette défiance envers la vaccination n'est pas nouvelle. Elle a même toujours existé depuis l'invention de ce traitement, explique l'historien Laurent-Henri Vignaud, co-auteur avec Françoise Salvadori de l’ouvrage Antivax : la résistance au vaccin du XVIIIe siècle à nos jours. « Il est même antérieur à la pratique vaccinale, inventée à la fin du 18e siècle par Edward Jenner », avance-il, dans une interview accordée aux Echos Magazine.

« Le problème, quand vous demandez à un Français : "Avez-vous confiance dans les vaccins ?", c’est qu’il entend : "Avez-vous confiance dans le gouvernement et dans l’industrie pharmaceutique ?" Et ce niveau de confiance est faible. Pas seulement pour les vaccins : dans les enquêtes d’opinion mesurant la confiance face à l’avenir, les Français se situent au même rang que les Irakiens ! », déclare l'historien.

Rendre le vaccin obligatoire est, de ce fait, une fausse bonne solution et le gouvernement français l'a bien compris. « Je ne crois pas à la vaccination obligatoire pour ce vaccin », avait déclaré Emmanuel Macron à Brut le 4 décembre. « Il faut être très honnête et très transparent : on ne sait pas tout sur ce vaccin comme on ne sait pas tout sur le virus. (...) Je crois beaucoup plus au travail de conviction par la transparence qu'à l'obligation. »

En finir avec « le registre stigmatisant, voire culpabilisant, privilégié jusqu’ici dans la gestion de la Covid-19 en France »

L'hésitation vaccinale, quelle que soit la forme qu'elle prend, révèle la défiance envers les gouvernants. Or, « la confiance dans les institutions est un déterminant majeur de l’acceptation des politiques publiques en général et des politiques sanitaires en particulier », rappelle Antoine Bristielle, qui estiment que c’est « bien une entreprise de pédagogie de la part des pouvoirs publics, tout comme des scientifiques et des laboratoires pharmaceutiques, qui semble indispensable afin de susciter davantage de confiance concernant l’efficacité et la sûreté du vaccin ».

Il faut « considérer que si les Français sont méfiants, c’est qu’ils ont peut-être de bonnes raisons et que c’est de notre responsabilité – professionnels de santé, chercheurs, politiques – de leur donner confiance et les accompagner », font part les professeurs Linda Cambon, François Alla et Michaël Schwarzinger, auteurs d'une publication dans The Conversation où ils relèvent quatre piliers clés pour une campagne vaccinale réussie.

Le trio préconise de passer par une « communication positive basée sur l'immunité collective » et non individuelle. « En réalité, il serait plus judicieux de mobiliser davantage le bénéfice collectif ou la protection des plus fragiles dans une approche altruiste de la vaccination », conseille-t-on. Car, « si certaines études mettent en évidence l’intérêt d’une communication portant sur la gravité ou le regret en cas d’infection ou de transmission, ce type d’approche peut vite être desservi s’il s’avère que les conséquences en cas de contamination sont en réalité de faible gravité ».

Par ailleurs, il invite les pouvoirs publics à rassurer les professionnels de santé, des pivots importants de la communication sur la vaccination mais qui peuvent, tout autant que les autres, émettre des doutes sur le vaccin du Covid-19, et à les inclure dans la campagne de vaccination. Cette sensibilisation doit aussi passer par une mobilisation citoyenne soutenue qui, de cette façon, encouragera la vaccination. « Il s’agit concrètement de valoriser socialement l’acte de vaccination. C’est un contrepied total avec le registre stigmatisant, voire culpabilisant, privilégié jusqu’ici dans la gestion de la Covid-19 en France. »

De la nécessité de miser sur la transparence et de faire preuve de flexibilité

« Pour prendre en compte les nombreuses incertitudes et limiter leur impact négatif sur le bon déroulement de la campagne, la HAS souligne la nécessité d’une transparence envers la population, indispensable pour construire la confiance de l’ensemble des publics envers les vaccins. Cela implique notamment de rendre publiques les données scientifiques disponibles au sujet de l’efficacité et la sécurité des vaccins, avant mais aussi après leur mise sur le marché », fait part l'instance dès novembre dans un avis. « Transparence, pragmatisme et flexibilité sont les clés d’une campagne (de vaccination) efficace. »

Un avis partagé par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) pour qui, « si le vaccin protège la personne, il peut protéger aussi les autres, mettant en évidence le caractère altruiste et l’utilité sociale de la vaccination ». Dans un communiqué en date du 21 décembre, l'instance suggère de délivrer une « information claire et compréhensible sur le développement et l’évaluation des vaccins dans un contexte d’urgence ».

Invoquant les enjeux éthiques qu'induit la campagne vaccinale, le comité invite les pouvoirs publics à « faire preuve de vigilance dans le processus de recueil du consentement à la vaccination des personnes vulnérables », à prendre en considération les points de vue divers sur la vaccination et « réexaminer constamment les choix au vu des nouvelles connaissances et expériences afin de vérifier que les décisions prises respectent toujours les principes éthiques ».

« L’urgence de répondre à la pandémie de Covid a déclenché une mobilisation scientifique et médicale internationale exceptionnelle qui, en quelques mois, a permis de caractériser le virus (...) et à mieux prendre en charge les patients. (...) Cette vitesse technologique exceptionnelle n’efface pas totalement l’incertitude qui subsiste quant à la sécurité et à l’efficacité des vaccins et contribue en partie à nourrir le doute au sein d’une partie de la population », observe le CCNE. « Ce contexte fait émerger l’urgence de définir un cadre éthique capable de sous-tendre la politique en matière de vaccination. Celle-ci illustre, plus que d’autres champs de la médecine, un conflit éthique entre les intérêts de la société et les intérêts individuels. »

Pour Linda Cambon, François Alla et Michaël Schwarzinger, c'est « un continuum de motivation qu’il va falloir accompagner si l’on veut une couverture vaccinale suffisante pour éradiquer la Covid-19 en France ».

« Le vaccin est une chance que nous devons saisir, saisir dans de bonnes conditions, mais saisir avec vous », a récemment souligné Olivier Véran, pour qui « avant même de nous immuniser contre le coronavirus, nous devons d’abord nous immuniser contre les peurs ». Le ministre de la Santé s'est ainsi engagé « tout au long de la campagne vaccinale à ce que nous fassions preuve de la transparence la plus totale sur l’efficacité du vaccin, l'acceptabilité de la population, l’évolution des recommandations scientifiques et médicales, l’organisation pratique de la campagne, les éventuels effets indésirables, qu’ils soient graves ou bénins ». Face à une crise sanitaire loin d'être réglée avec l'arrivée du vaccin, le gouvernement est mis au défi ; au-delà des discours, sa stratégie et ses actions seront scrutées de toutes parts.

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