Points de vue

Vers la marchandisation de la vérité

Rédigé par Lamine C. | Lundi 6 Janvier 2003 à 00:00

Avec l´ère du numérique et d´internet, le champ des médias a subi une profonde concentration. Des énormes conglomérats industriels venus de l´eau, de l´informatique, de l´électricité, du bâtiment, du téléphone ou de l´armement se sont précipités sur le secteur de l´information pour en prendre le contrôle et édifier de puissants empires. Cette tendance risque-t-elle d´altérer la qualité de l´information ?



Avec l´ère du numérique et d´internet, le champ des médias a subi une profonde concentration. Des énormes conglomérats industriels venus de l´eau, de l´informatique, de l´électricité, du bâtiment, du téléphone ou de l´armement se sont précipités sur le secteur de l´information pour en prendre le contrôle et édifier de puissants empires. Cette tendance risque-t-elle d´altérer la qualité de l´information ?

Un phénomène planétaire
A travers le globe, les groupes industriels géants absorbent les différents formats de médias. Aux Etats-Unis, il est important de rappeler que General Electric, première capitalisation boursière mondiale, est propriétaire du réseau NBC. Microsoft, qui règne sans partage sur le marché des logiciels, veut conquérir celui des jeux vidéos avec sa console X-Box et, par l´intermédiaire de son agence Corbis, régit le champ de la photo de presse. America Online a acquis Nescape, la société Warner Bros, le magasine Time et la chaîne d´information CNN...
En Europe, le premier éditeur mondial Bertelsmann s´est emparé de RTL group pour contrôler en France la station de radio RTL et la chaîne M6. En Italie, M.Silvio Berlusconi détient les trois principales chaînes privées du pays et contrôle, en tant que président du conseil, l´ensemble des chaînes publiques...

Qui n´épargne pas la France...
En France, nous savions déjà que TF1, première chaîne de TV française, est la propriété de Bouygues. Récemment, le regroupement des titres de la presse a favorisé l´entrée de groupes industriels et de l´armement dans le capital de sociétés de presse soumises à de graves difficultés financières. Le démantèlement de Vivendi Universal Publishing (VUP) a incité un changement profond dans le paysage médiatique français.
Le groupe Dassault, administré par Serge Dassault, homme de droite élu maire avec les voix du front national qui possède déjà le Figaro et pléthore de journaux régionaux, a ainsi acquis l´hebdomadaire L´Express, le magazine l´Expansion, et 14 autres titres. Avec sa firme Socpresse, Dassault est le premier groupe de presse français.
Le groupe Lagardère, présidé par M. Jean-Luc Largadère, également homme de droite, premier éditeur de France (Fayard, hachette, stock...) qui dispose de journaux régionaux prestigieux (Nice-Matin, La Provence), ordonne la presse magazine (Elle, Paris-Match, Télé 7 jours...) et contrôle la distribution de journaux avec ses Kiosques Relay vient de racheter le pôle Edition de VUP (Larousse, Robert, Laffont, Bordas...), devenant un géant européen de la communication.

Les risques
A l´heure d´une guerre imminente avec l´Irak, il est inquiétant de voir que ces deux conglomérats qui dominent le paysage médiatique français se sont constitués autour d´activités militaires (avions de chasse, hélicoptères, missiles, fusées...). Il est donc légitime de s´interroger de quelle manière les médias français, accessoirement sous la main de vendeurs de canons, s´opposeront à une vraissemblable intervention militaire, d´autant plus si celle-ci s´averrait injustifiée (c´est-à-dire si aucune preuve formelle que les autorités irakiennes possèdent des armes dites de « destruction massive » n´est révélée).

La première crainte liée à cette concentration médiatique réside donc dans l´ampleur des mécanismes anonymes et invisibles de censure qui vont altérer l´émergeance de la vérité. En effet, il est évident qu´un homme public ou journaliste réfléchira à deux fois avant d´attaquer Lagardère ou Dassault sachant que l´ensemble des médias français est contrôlé par ces deux groupes. La force de frappe est colossale.

Le phénomène de concentration menace la diversité de la presse en lui grevant une contrainte économique. La rentabilité et l´audimat sont privilégiés : la quête vers le succès commercial traumatise les salles de rédaction, maisons d´éditions... Sont placés aux postes de direction des gestionnaires en connexion neuronale avec les fonds de pensions qui exigent à tout prix des dividendes. Rentabilité et vérité font-ils bon ménage ? Certainement, si cette vérité est commercialisable.

Effet indirect de la concurrence, la concentration des médias homogénéise les médias au point de produire un discours collectif, dont uniquement l´ordre des informations change. On recherche le spectaculaire, l´extraordinaire, l´éphémère. On parle de la même chose : faits d´hivers, résultats de foot, péripéties de Nolwenn ou de Jenifer, il faut bien rentabiliser les capitaux investis... Cette forme de censure matérialisée en un discours au contenu fade et convenu, aussi invisible soit-elle ne la rend pas moins efficace.