Société

Vers une « guerre civile » en France ? L'inquiétante tribune des généraux fait bondir

Rédigé par Myriam Attaf et Lina Farelli | Mercredi 28 Avril 2021 à 20:35

Une tribune portée par d'anciens généraux liés à l'extrême droite et soutenue par Marine Le Pen scandalise et inquiète par le ton séditieux qui s'en dégage.



« L’heure est grave, la France est en péril, plusieurs dangers mortels la menacent; » C’est la première phrase d’une inquiétante tribune intitulée « Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants » et relayée par l'hebdomadaire d'extrême droite Valeurs Actuelles mercredi 21 avril. Dans cette lettre ouverte adressée au président de la République, Jean-Pierre-Fabre-Bernadac s’indigne des « silences coupables » du gouvernement face au « délitement » de la société.

Cet ancien commandant de gendarmerie à la retraite proche du Rassemblement national (ex-FN) cite, à l’origine de ce délitement, « un certain antiracisme » qui viserait à « créer sur notre sol un mal-être, voire une haine entre les communautés » ou encore « l’islamisme » et « les hordes de banlieues » qui « entraînent le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre Constitution ». Face au « chaos croissant », les autorités sont enjointes « à appliquer sans faiblesse des lois qui existent déjà ».

Faut-il craindre une sédition ?

« Nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation », déclarent-ils. La gravité de l'initiative tient par le ton séditieux et la menace à peine voilée qui se dégagent de la tribune qui, initialement, a mobilisé une vingtaine d'anciens généraux liés à l'extrême droite ainsi qu'une centaine de hauts gradés et près d'un millier de militaires. Aujourd'hui, le texte, paru d'abord sur le blog de Jean-Pierre-Fabre-Bernadac Place d'Armes, affiche pas moins de 8 575 signatures. Parmi elles, figure celle de Christian Piquemal, radié des cadres de l’armée en 2016 pour « manquements à l'obligation de réserve et de loyauté » après avoir organisé une manifestation anti-migrants la même année à Calais malgré une interdiction préfectorale.

La lettre ouverte est parue 60 jour pour jour après le putsch de généraux opposés à l'indépendance de l'Algérie. Défiant Charles De Gaulle alors au pouvoir en 1961, ils avaient pris le contrôle d'Alger. Si cet épisode s'est conclu par un échec, il n'en a pas moins été un fait marquant que semblent célébrer les signataires de la tribune.

Sa conclusion sonne d'ailleurs comme une mise en garde : « Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes. (...) il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers. »

Une tribune qui « déshonore l’institution militaire »

Sans surprise, Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national (RN), n’a pas manqué d’afficher son soutien aux signataires, invitant les anciens généraux à la rejoindre en vue des élections présidentielles en 2022. Une réaction aux antipodes de la majeure partie de la classe politique car le texte ne cesse de provoquer des remous depuis quelques jours.

Dans une lettre adressée au procureur de Paris, Rémi Heitz, Jean-Luc Mélenchon, le chef de fil de La France Insoumise (LFI) a réclamé des sanctions pénales contre les militaires et Valeurs Actuelles. Il a dénoncé « une atteinte à la forme républicaine de l'Etat » et une démarche qui « donne de l'armée une image totalement déformée » alors qu'une majorité de militaires « sont attachés à leur devoir ».

A l'instar de LFI, le Parti socialiste a dénoncé cette tribune et a appelé le ministère des Armées à « prendre des sanctions exemplaires ». « Nous condamnons les propos séditieux tenus par ces militaires qui laisse planer l'option d'un recours à l'armée pour régler les difficultés que rencontre le pays. Cette tribune, publiée le jour anniversaire du putsh d'Alger, ne laisse hélas, aucuns doute sur les sous-entendus de cette prise de parole publique » fait savoir le bureau du PS mardi 27 avril.

Des voix se sont également élevées en dehors de la classe politique. Notons celle de Latifa Ibn Ziaten, la mère du soldat Imad Ibn Ziaten assassiné en 2012 à Toulouse par Mohamed Merah. « Mon fils Imad, maréchal des Logis chef servait et aimait la France. Mort pour la République, comme beaucoup d’autres militaires morts pour la France. Cette tribune d’anciens généraux déshonore l’institution militaire. Mon soutien à l’armée française, ma deuxième famille », a-t-elle écrit via Twitter.

La ministre des Armées favorable à des sanctions

Il aura fallu plusieurs jours avant de voir le gouvernement réagir publiquement sur cette affaire, ce qui n'a pas manqué d'être critiqué par l'opposition. Florence Parly a fini par s'exprimer dimanche 25 avril pour fustiger « une tribune irresponsable » et « une insulte qui est jetée à la figure de milliers de militaires ». « Pour ce qui concerne les militaires qui ont enfreint le devoir de réserve, bien entendu, des sanctions sont prévues, et j’ai donc demandé, pour ceux qui seraient parmi les signataires signalés, (...) au chef d’état-major d’appliquer les règles qui sont prévues dans le statut des militaires », a-t-elle assuré auprès de France Info mardi 27 avril.

Le Premier ministre, Jean Castex, a aussi fait part de son indignation à l'issue de conseil des ministres ce mercredi 28 avril en pointant du doigt « une initiative contraire à tous nos principes républicains, à l'honneur, au devoir de l'armée ». Pour lui, « ces généraux ne représentent qu'eux-mêmes » et « l'armée n'est pas concernée ». La scandaleuse tribune n'en abîme pas moins l'image de l'institution militaire.

Mise à jour jeudi 29 avril : « La neutralité des armées est essentielle », clame le général François Lecointre. Le chef d'état-major des armées, qui s’est dit « choqué d’y lire un appel à l’armée d’active », « ne reflète en rien l’état d’esprit des armées aujourd’hui », a-t-il déclaré au Parisien., fustigeant « une tentative de manipulation de l’armée inacceptable ».

Les 18 militaires d'active identifiés – dont quatre officiers – parmi les signataires sont promis à « des sanctions disciplinaires militaires », a annoncé François Lecointre. Les sanctions seront « plus fortes pour les plus gradés » car « plus les responsabilités sont élevées, plus l'obligation de neutralité et d'exemplarité est forte ». Les généraux en « deuxième section » signataires, proches de la retraite mais pouvant toujours être rappelés, risquent « la radiation, donc la mise à la retraite d’office ». « C’est une procédure exceptionnelle, que nous lançons immédiatement à la demande de la ministre des Armées », a-t-il indiqué.

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