Depuis quelques années, ma mère, pourtant peu friande de télévision dans mes souvenirs d’enfance et d'adolescence, s’adonne à un nouveau plaisir : regarder des talk-show et autres émissions venus de Tunisie. Ainsi nous retrouvons-nous souvent toutes les deux devant cette petite lucarne.
Depuis la révolution tunisienne, le ton utilisé sur les chaines a beaucoup changé, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est d’avoir vu l’entrée fulgurante des petites gens dont les histoires sont enfin sous la lumière des projecteurs.
Le pire, c’est l’absence de limites. Je garde ce souvenir amer d’un présentateur vedette qui, face à une femme battue par son mari, l’enjoignait de mettre de l’eau dans son vin et de lui pardonner. Quelques semaines après l’émission, cette pauvre femme se retrouvait à l’hôpital, de nouveau battue par son mari, provoquant un tollé chez les spectateurs et journalistes de la presse indignés.
Lors de mon dernier passage auprès de ma mère, comme à l’accoutumée, me voici lovée sur le canapé face à une énième émission. Sur le plateau, une jeune femme visiblement élue nouvelle Miss Tunisie. Projetée devant les spotlights, mal assurée, elle se retrouve face à des questions aussi grotesques que ridicules devant un présentateur l’enjoignant de juger le physique d’autres femmes qui, elles aussi, sont jetées en pâture face à un public bruyant.
Tout au long de ce spectacle apparaît soudain la photographie de Miss France 2017. Je ne saurais l’identifier. Bref, ce que je vois et sais, c’est la couleur de sa peau. Cette Miss est noire. Cela, je le reconnais assez rapidement parce que j’entends les cris et moqueries du public. Face aux ricanements et rires, le malaise de cette nouvelle miss Tunisie crève l’écran. Elle ose timidement une leçon sur les canons de beauté et dire que le noir est « aussi » porteur de beau. Nouvelle photo. Le public et le présentateur passent à autre chose.
Cette scène m’a suivie mentalement des semaines. Elle a fait rejaillir ces nombreuses discussions avec une amie franco-tunisienne, journaliste de profession et noire, qui m’a souvent fait partager ses propres souffrances ; d’autres plus prosaïques d’une cousine, dont la belle-mère venait se plaindre de son teint « trop » halée ; de ces publicités pour des crèmes blanchissantes ; de ces relations avortées que l’on m’avait narrées sur cette voisine noire avec son voisin au teint olive.
Elle a aussi coïncidé avec une nouvelle rupture dans le champ des militants antiracistes au sujet d’une énième impossibilité de penser le combat de l’autre : celle, par exemple, qui est advenue entre les tenants de la lutte contre l’islamophobie et les militants anti-négrophobie farouches opposants de la politique française en Afrique fondée sur des intérêts économiques injustes ou à travers des prismes sécuritaires et migratoires aussi insensés qu’inefficaces.
Comme chaque rupture, cet épisode montre qu’être victime d’une oppression ne prémunit jamais d’être soi-même, à un moment donné, soit silencieux, soit porteur d’une nouvelle oppression.
J’ai souvent vu mes coreligionnaires citer Bilal, premier muezzin dans la civilisation musulmane pour se prémunir de tout racisme. Et effectivement, quel bel exemple ! Mais cela peut-il suffire pour se dédouaner d’une remise en question, ne serait-ce que dans le choix des de certains mots utilisés pour désigner les Noirs dans certains pays du Maghreb ?
A travers mes quelques années d’engagement citoyen en Europe et au Moyen-Orient, j’ai cessé d’être étonnée par les propos de Noirs, Arabes, Juifs, Roms à l’égard d’un autre fantasmé et honni. Être victime soi-même des affres de l’Histoire, de l’oppression ne prémunit jamais d’en être un jour le bourreau ou le complice de ce bourreau.
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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
Depuis la révolution tunisienne, le ton utilisé sur les chaines a beaucoup changé, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est d’avoir vu l’entrée fulgurante des petites gens dont les histoires sont enfin sous la lumière des projecteurs.
Le pire, c’est l’absence de limites. Je garde ce souvenir amer d’un présentateur vedette qui, face à une femme battue par son mari, l’enjoignait de mettre de l’eau dans son vin et de lui pardonner. Quelques semaines après l’émission, cette pauvre femme se retrouvait à l’hôpital, de nouveau battue par son mari, provoquant un tollé chez les spectateurs et journalistes de la presse indignés.
Lors de mon dernier passage auprès de ma mère, comme à l’accoutumée, me voici lovée sur le canapé face à une énième émission. Sur le plateau, une jeune femme visiblement élue nouvelle Miss Tunisie. Projetée devant les spotlights, mal assurée, elle se retrouve face à des questions aussi grotesques que ridicules devant un présentateur l’enjoignant de juger le physique d’autres femmes qui, elles aussi, sont jetées en pâture face à un public bruyant.
Tout au long de ce spectacle apparaît soudain la photographie de Miss France 2017. Je ne saurais l’identifier. Bref, ce que je vois et sais, c’est la couleur de sa peau. Cette Miss est noire. Cela, je le reconnais assez rapidement parce que j’entends les cris et moqueries du public. Face aux ricanements et rires, le malaise de cette nouvelle miss Tunisie crève l’écran. Elle ose timidement une leçon sur les canons de beauté et dire que le noir est « aussi » porteur de beau. Nouvelle photo. Le public et le présentateur passent à autre chose.
Cette scène m’a suivie mentalement des semaines. Elle a fait rejaillir ces nombreuses discussions avec une amie franco-tunisienne, journaliste de profession et noire, qui m’a souvent fait partager ses propres souffrances ; d’autres plus prosaïques d’une cousine, dont la belle-mère venait se plaindre de son teint « trop » halée ; de ces publicités pour des crèmes blanchissantes ; de ces relations avortées que l’on m’avait narrées sur cette voisine noire avec son voisin au teint olive.
Elle a aussi coïncidé avec une nouvelle rupture dans le champ des militants antiracistes au sujet d’une énième impossibilité de penser le combat de l’autre : celle, par exemple, qui est advenue entre les tenants de la lutte contre l’islamophobie et les militants anti-négrophobie farouches opposants de la politique française en Afrique fondée sur des intérêts économiques injustes ou à travers des prismes sécuritaires et migratoires aussi insensés qu’inefficaces.
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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
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