Société

Yasser Louati : « La solution est dans une nouvelle organisation des pouvoirs publics »

#IdéesPourLaFrance

Rédigé par | Lundi 17 Avril 2017 à 09:20

L'état d'urgence, réponse politique donnée aux attentats terroristes qui se sont produits en nombre en France, a marqué durablement le quinquennat de François Hollande. Le point avec Yasser Louati, militant des droits humains et des libertés publiques, engagé également contre l'islamophobie, qui explique en quoi la solution aux problèmes institutionnels actuels se trouve dans une nouvelle République.




Saphirnews : Quel est votre regard du quinquennat de François Hollande ?

Yasser Louati : Ce quinquennat a été celui d’une dérive sécuritaire qui s’est matérialisé par la mise en place de l’état d’urgence. Aujourd’hui, la levée de l’Etat d’urgence tant souhaitée ne serait que symbolique. C’est l’abrogation des lois qui ont été promulguées pendant l’état d’urgence qu’il faut soutenir. Car il y a un piège qui nous est tendu, celui de se contenter de la fin de l’état d’urgence.

Des mesures adoptées sont dangereuses (pour nos libertés) : la réforme du code de procédure pénale, la loi surveillance, (…) et la militarisation de la police qui arrive en bout de chaîne. Alors même que la police est régulièrement accusée de violences, voilà qu’on leur donne des armes plus puissantes et qu’on élargit l’impunité avec la loi sur la légitime défense. Il faut en finir avec tout cela.

La solution se trouve-t-elle dans le système actuel selon vous ?

Yasser Louati : Il faut changer de constitution. Nous sommes sous une monarchie républicaine, trop de pouvoirs sont octroyés au président de la République. La 5e République, proclamée en pleine répression sanglante en Algérie, a hérité de pratiques de l’ère coloniale et n’a cessé d’empiler les pouvoirs à son profit sans aucun équilibre, sans contre-pouvoir en faveur des citoyens. Il faut qu’il y en ait un.

Les élus, après leur arrivée au pouvoir, doivent rendre des comptes. Il faut en finir avec les immunités quelles qu’elles soient et les différents privilèges qui vous garantissent plus de droits que de devoirs. Ce n’est pas parce qu’on est député qu’on est au-dessus des lois. Il faut une meilleure répartition des pouvoirs, un Parlement qui joue son rôle de contrôle et de supervision. On l’a vu : l’état d’urgence a été renouvelé (cinq fois, ndlr) et, à chaque fois, avec une écrasante majorité. Pour qu’on puisse diviser les pouvoirs, il faut mieux superviser le travail du président et du gouvernement.

La solution n’est donc pas dans la 5e République, elle est dans une nouvelle constitution et une nouvelle organisation des pouvoirs publics. Il faut une 6e République pour les réalités d’aujourd’hui et non pas celles qu’on imagine, qui inclut la question raciale car nous avons un lourd héritage colonial.

Quelles sont vos autres préconisations pour mieux lutter contre le racisme ?

Yasser Louati : Concernant le racisme et les discriminations, les lois en France sont bonnes, parmi les meilleures en Europe, mais elles ne sont pas appliquées. Il faut que l’Ecole nationale de la magistrature (EMN) inclut dans leur formation le volet « Discriminations raciales et religieuses ». (…) Il faut aussi donner une vraie autonomie à la justice et de meilleurs moyens pour garantir les droits de chaque citoyen.

Les personnes potentiellement victimes de discriminations doivent s’organiser dans un rapport de force. Or il ne peut s’établir qu’à partir du local, avec des associations de terrain. Aucune association ne peut avoir le monopole d’une lutte et être partout à la fois, être présent au niveau national mais absent à l’échelle locale. Un travail d’éducation auprès des potentielles victimes doit être fait afin de bien leur expliquer le droit et qu’elles puissent se défendre. (…) L’information est malheureusement tellement restreinte que les associations se mettent en position de force pour obliger les victimes à se tourner vers elles ; il faut inverser le mécanisme en rendant accessible toutes les formes de savoirs pour notre défense intellectuelle et juridique. Il s’agit de promouvoir l’empowerment.

La convergence entre les différentes luttes avec divers acteurs est importante et l’épisode de la déchéance de la nationalité l’a prouvé. Elle ne se décrète pas d’un claquement de doigt mais par des rencontres régulières entre acteurs associatifs en axant sur les points communs plutôt que divergents. Les convergences efficaces grâce aux partages d’expériences et aux actions communes qui renforcent les mobilisations.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur