Psycho

Zoubayda : « Je suis bloquée dans une vie que je n’ai pas choisie »

Rédigé par Sabah Babelmi | Mardi 17 Janvier 2017 à 08:55



Bonjour,

Je n’ai que 18 ans et pourtant j’ai l’impression que ma vie est déjà finie. Du moins qu’elle ne va pas commencer comme je le voudrais à cause de mes parents.

Ils m’interdisent des choses qui me semblent réellement anodines : anniversaires, dormir chez une copine, rentrer un peu plus tard, bref ils prennent des décisions que je pense devoir prendre toute seule et cela me rend très triste.

J’ai l’impression de ne pas les connaître et j’ai l’impression qu’ils ne me connaissent pas. J’ai l’impression que parfois ils viennent d’une autre époque et toutes leurs décisions sont pour la plupart du temps justifiées par la religion et pourtant je ne pense pas faire quoi que ce soit qui soit mal. (...)

Le dialogue avec ma mère est plus facile qu’avec mon père (impossible de discuter, sinon il s’énerve). J’ai conscience de faire beaucoup de peine à ma mère mais j’aimerais que mes parents comprennent que, moi aussi, je ne vais pas bien et que s’ils ont peur du regard des autres, alors moi aussi car j’apparais très souvent comme quelqu’un de différent et d’étrange et c’est une vie que je ne veux pas vivre.

Je ne veux pas leur désobéir, et je veux les rendre fiers parce qu’ils le méritent et que je veux leur bonheur avant toute chose, mais j’ai peur pour moi, je suis très angoissée au point où je n’arrive pas à manger même quand j’ai faim, je manque beaucoup de confiance en moi et j’ai très peu d’assurance. (...)

Mes parents pensent que si je suis triste c’est parce qu’ils ne me laissent pas faire ce que j’ai envie de faire alors que le problème n’est pas seulement ça. Je me sens étouffée et j’ai peur de la vie et en plus de tout le reste j’ai l’impression de ne pas avoir leur soutien et j’ai l’impression que je suis bloquée dans une vie que je n’ai pas choisie. (...)

Ils disent tout le temps : « Tout ça parce qu’on te laisse pas faire comme les Français » ou alors « Tu fais tes crises pour qu’on te laisse faire comme tu veux » alors que, pour moi, ce ne sont même pas des choses dont ils devraient s’occuper parce que ce sont des choses banales. Mais, pour eux, ça ne l’est pas car ils justifient tout avec la religion comme quoi il est interdit de faire telle et telle chose et ils me le répètent sans arrêt.

Pourtant, je connais mes limites, je sais ce qui est bon et mauvais pour moi, je garde le bon chemin en tête et malgré tout ils ne font pas confiance et cela me rend encore plus triste.

Quand j’essaie de tout faire pour qu’ils me fassent confiance rien n’y fait. Alors je ne vois même pas l’intérêt de faire quoi que ce soit, vu que, quoi que je fasse, c’est la même chose pour eux.
Zoubayda

Sabah Babelmin, psychothérapeute

Chère Zoubayda,

La première chose qui me frappe dans votre lettre c’est votre maturité, malgré votre jeune âge, et votre très grande solitude. Ensuite, votre détresse et cette (in)capacité à gérer votre vie et ce lien avec des parents qui semblent être trop protecteurs, par amour… par peur du jugement, du regard de l’autre !

Vous évoquez plusieurs choses importantes : le fait que vous ayez l’impression que vous n’avez aucune possibilité de choisir, de décider, que c’est eux qui choisissent, interdisent des choses anodines mais indispensables pour l’épanouissement d’une jeune femme (dormir chez une copine, sortir, etc.), et justifient tout par la religion sans apparemment vous expliquer. Ce qui, me semble t-il, vous parait dénué de sens, car ils ne vous expliquent pas.

Vous essayez de communiquer et « comme cela ne sert à rien », vous transgressez pour attirer leur attention, surtout celle de votre mère, avec laquelle la communication semble plus aisée, votre père s’énerve, et vous l’évitez pour vous protéger de sa colère.

Et j’imagine qu’il peut y avoir beaucoup de violence verbale dans ces moments. Cependant, il me semble primordial de vous rappeler la fonction du père : vous avez besoin de votre père, c’est le père qui pose la loi, le cadre et vous propulse dans le monde, vous permet d’avoir confiance en vous, d’oser entreprendre dans la vie, mais je comprends que vous l’évitiez pour avoir la paix !
Et ensuite vous vous sentez coupable car vous sentez que cela vous fait mal et fait souffrir votre mère.

Le manque de communication vous fait souffrir aussi, vous « n’arrivez pas à manger même quand vous avez faim », vous vous punissez et finissez même par vous résigner car vous avez l’impression que vous battre ne servirait plus à rien.

Vous dites que vous connaissez vos limites. Je sens que vous êtes bien structurée et respectueuse des limites et des règles fixées par vos parents, mais cela vous rend triste car, malgré tous ces efforts, ils ne vous font pas confiance, et cela est très douloureux et pourrait entrainer des problèmes importants dans votre vie affective et professionnelle de femme et d’adulte.

Vous êtes considérée comme une petite fille qui ne comprend rien à la vie. Or ce n’est pas du tout l’impression que vous me donnez à travers votre lettre. Vous aspirez à devenir sujet, ce qui semble être très difficile dans votre environnement familial, mais c’est très sain.

Il semblerait que vos parents portent peut-être un poids, éprouvent des difficultés à vivre sereinement leur religion, leur culture, à jouer leur rôle parental en France, car ils vous disent : c’est « parce qu’on ne te laisse pas faire comme les Français ».

Il peut y avoir un vrai problème d’identité et d’acceptation de la différence de l’autre : l’autre peut sembler dangereux car il est différent de moi et pourrait menacer mon identité, mes valeurs, mes croyances. Est-ce que vous sentez que eux aussi manquent de confiance, ne vivent pas comme ils auraient souhaité ?

Vous êtes jeune et intelligente et faites preuve de beaucoup de tolérance et d’ouverture, et tous les espoirs sont permis. Vous pouvez vous faire aider par un professionnel.

Ne tombez pas dans la résignation, car cela ne serait pas bon pour votre épanouissement et votre vie. Vous paraissez tiraillée entre une loyauté aveugle à vos parents et votre besoin légitime de devenir autonome.

Je peux vous conseiller d’aller chercher un peu d’oxygène et de soutien auprès d’un professionnel, qui pourrait accueillir votre souffrance et vous aider à comprendre les enjeux pour vous, à reprendre confiance en vous, à prendre de la distance aussi par rapport aux injonctions de vos parents et à devenir sujet comme vous semblez le souhaiter : « Choisir votre vie ».

Vos parents vous aiment beaucoup et ils pensent vous protéger comme ils le font, ils font ce qu’ils peuvent, avec leur limites, leurs expériences, leurs souffrances aussi. Mais si vous manquez trop d’oxygène, vous risquez d’aller le chercher ailleurs pour survivre !

La tristesse, la résignation et la culpabilité sont mortifères et vous coupent de la vibration de vie.

Il est temps que vous vous reconnectiez avec la joie, la légèreté et la confiance que devrait avoir une jeune fille de 18 ans. En vous confiant à travers cette lettre, cela prouve que vous êtes en mouvement. Continuez ce mouvement en allant consulter un(e) psychothérapeute.

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Des psychologues et psychanalystes répondent à vos questions. Musulman(e)s du Maghreb ou de France, professionnel(le)s actif(ve)s exerçant en cabinet, ils réfléchissent à votre problématique et tentent de vous éclairer à travers leur expérience professionnelle et leur pratique spirituelle. Ils peuvent vous aider à y voir plus clair en vous-même ou à mieux décrypter le comportement des personnes de votre entourage.
Ils ne sont pas médecins, même si on les désigne parfois comme des « médecins de l’âme », mais leur rôle est de vous aider à trouver en vous-même la meilleure réponse à vos interrogations sur vos relations aux autres, votre conjoint ou conjointe, vos parents, vos frères et sœurs, vos amis, vos collègues de travail, vos voisins...
Alors, n’hésitez pas, interrogez-les, ils tenteront de vous répondre en s’éclairant des plus belles pensées de l’islam.
Contactez-les (anonymat préservé) : psycho@saphirnews.com