On me refuse une formation pour port de signe religieux
Rédigé par Dounia Bouzar le
Jeudi 27 Janvier 2011
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Vous souhaitez effectuer une formation professionnelle de secrétaire juridique auprès d’un organisme public. Vous avez été retenue mais lorsque vous vous présentez à l’accueil pour la première réunion, on vous indique qu’il faut immédiatement ôter votre foulard car le règlement intérieur comporte la mention suivante : « Ne peuvent être admis le port de tenues provocantes, d’une casquette ou de tout autre couvre-chef. »
QUE DIT LA LOI (1) ?
• La directive 2000/78 (CE du 27 novembre 2000), portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, interdit les discriminations fondées sur la religion, y compris des organismes publics, dans l’accès à tous les types et à tous les niveaux de formation professionnelle.
La notion de formation professionnelle est entendue largement en droit communautaire. En effet, elle vise « toute forme d’enseignement qui prépare à une qualification pour une profession, un métier ou un emploi spécifique ou qui confère l’aptitude particulière à leur exercice ». Les dispositions de la directive 2000/78 ont été transposées en droit français dans la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. L’article 2-2 de ladite loi dispose que « toute discrimination directe ou indirecte fondée sur (...) la religion est interdite (...) en matière de formation professionnelle. Ce principe ne fait pas obstacle aux différences de traitement fondées » sur la religion « lorsqu’elle répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ».
• Par ailleurs, d’une part, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dispose que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) la religion (...) ». D’autre part, l’article 9 de cette même CEDH dispose : « Toute personne a droit à (...) liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ». Cette liberté « ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
• Depuis la loi sur les signes religieux à l’école du 15 mars 2004, l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation prévoit que « dans les écoles, les collèges, les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
La circulaire n°2004-084 du 18 mai 2004 précise que ce principe de laïcité « s’applique à l’ensemble des écoles et des établissements scolaires publics. Dans les lycées, la loi s’applique à l’ensemble des élèves, y compris ceux qui sont inscrits dans des formations post- baccalauréat (classes préparatoires aux grandes écoles, sections de technicien supérieur). La loi s’applique à l’intérieur des écoles et des établissements et plus généralement à toutes les activités placées sous la responsabilité des établissements ou des enseignants y compris celles qui se déroulent en dehors de l’enceinte de l’établissement (sortie scolaire, cours d’éducation physique et sportive...) ».
Elle ajoute que l’interdiction des signes religieux ostensibles visée par la loi ne concerne ni les agents publics de l’enseignement, ni les parents d’élèves, ni les candidats qui viennent passer les épreuves d’un examen ou d’un concours dans les locaux d’un établissement public d’enseignement, car ceux-ci « ne deviennent pas de ce seul fait des élèves de l’enseignement public ».
ÉLÉMENTS CLÉS DU DÉBAT
• Les textes ne prévoient donc pas expressément que des adultes suivant une formation professionnelle dispensée dans un lycée public soient soumis à l’interdiction du port de signes religieux ostensibles tels que le foulard. Les travaux préparatoires de la loi sur la laïcité n’évoquent pas non plus cette question.
D’ailleurs, la HALDE a relevé que la loi de 2004 sur la laïcité n’était pas applicable aux stagiaires du GRETA suivant une formation dispensée dans un lycée public, ces derniers devant alors être considérés comme des usagers du service public. S’appuyant sur une jurisprudence établie du Conseil d’Etat, la Haute Autorité a rappelé à plusieurs reprises que les principes de laïcité et de neutralité des services publics n’ont pas vocation à s’appliquer aux usagers du service public.
Dans votre affaire, l’interdiction vise de manière générale les casquettes et tout couvre-chef sans distinction. Elle revient, en pratique, à défavoriser particulièrement les personnes portant certains signes religieux et notamment les femmes musulmanes qui portent le foulard, comme c’est votre cas, ou encore les hommes portant le turban sikh ou la kippa.
• Cependant, la jurisprudence admet, par exception, l’interdiction du port de tout couvre-chef dans les locaux d’enseignement dans des cas strictement définis. Il est ainsi permis d’interdire le port de tout couvre-chef dans le règlement intérieur s’il y a adéquation étroite, dans le temps ou l’espace, entre cette mesure et les nécessités de l’ordre public. Celles-ci peuvent être tirées du respect des règles de sécurité, d’hygiène et de civilité entre les membres de la communauté scolaire. Elles peuvent donc justifier une interdiction dans les classes ou les bâtiments scolaires.
Mais, en tout état de cause, si cette mesure s’étend au-delà des salles de classe ou des bâtiments, elle porte aux yeux des juges une atteinte disproportionnée aux droits des élèves reconnus par les textes internationaux et nationaux et excède l’étendue des pouvoirs dont dispose l’autorité administrative pour assurer le bon ordre dans l’établissement. Dans ce cas, le juge administratif déclare illégales les dispositions contestées du règlement intérieur.
QUE FAIRE ?
• Vous devez vérifier si le règlement intérieur de votre organisme de formation est litigieux, sachant que vous n’êtes pas considéré comme des élèves au sens de la loi de 2004.
• En outre, apparaît-il des circonstances particulières qui pourraient justifier cette interdiction générale et absolue, liées au respect des règles d’hygiène, de sécurité ou d’ordre public ? La direction peut-elle en expliquer la teneur ? Si c’est le cas, il faudra tout de même lui rappeler que l’interdiction générale ne peut s’appliquer qu’aux salles de classe et bâtiments scolaires.
• Si le respect des règles d’hygiène ou de sécurité est lié à la nature même du métier, comme celui de médecin, d’infirmière, d’ingénieur en nucléaire…, il peut apparaître utile à l’école de formation d’habituer les élèves à respecter les normes de droit commun d’hygiène et de sécurité dans l’espace même de la formation, même si la prise en fonction n’est pas encore effective. Dans ce type de cas, l’obligation d’ôter un vêtement recouvrant la tête (2) ne peut être jugé discriminatoire puisqu’il entre dans les aptitudes nécessaires à la mission professionnelle.
• Dans le cas contraire, si l’interdiction n’est pas relative à des circonstances particulières liées au respect des règles d’hygiène, de sécurité ou d’ordre public, vous pouvez ramener à la direction de votre organisme de formation les délibérations de la HALDE, qui a déjà eu l’occasion de se prononcer dans des affaires similaires. Dans votre situation, la discrimination serait indirecte (fondée sur la religion au sens de l’article 3 b de la directive 2000/78 et de l’article 2-2 de la loi n° 2008-496 et des articles 9 et 14 de la CEDH), puisque le port de signes religieux n’est pas expressément et directement interdit par le règlement intérieur illégal, qui vise de manière générale « tous les couvre-chefs ». L’interdiction générale du règlement intérieur a indirectement pour effet de priver les stagiaires de cet organisme de formation du droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans l’enceinte des établissements scolaires.
Notes
1. De nombreuses informations juridiques sont tirées de la Délibération n° 2009-403 du 14 décembre 2009 de la HALDE.
2. De nombreuses femmes de confession juive ou musulmane travaillant dans le secteur médical respectent les normes d’hygiène et leur liberté de conscience en gardant leur « charlotte » aseptisée quotidiennement.
• La directive 2000/78 (CE du 27 novembre 2000), portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, interdit les discriminations fondées sur la religion, y compris des organismes publics, dans l’accès à tous les types et à tous les niveaux de formation professionnelle.
La notion de formation professionnelle est entendue largement en droit communautaire. En effet, elle vise « toute forme d’enseignement qui prépare à une qualification pour une profession, un métier ou un emploi spécifique ou qui confère l’aptitude particulière à leur exercice ». Les dispositions de la directive 2000/78 ont été transposées en droit français dans la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. L’article 2-2 de ladite loi dispose que « toute discrimination directe ou indirecte fondée sur (...) la religion est interdite (...) en matière de formation professionnelle. Ce principe ne fait pas obstacle aux différences de traitement fondées » sur la religion « lorsqu’elle répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ».
• Par ailleurs, d’une part, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dispose que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) la religion (...) ». D’autre part, l’article 9 de cette même CEDH dispose : « Toute personne a droit à (...) liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ». Cette liberté « ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
• Depuis la loi sur les signes religieux à l’école du 15 mars 2004, l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation prévoit que « dans les écoles, les collèges, les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
La circulaire n°2004-084 du 18 mai 2004 précise que ce principe de laïcité « s’applique à l’ensemble des écoles et des établissements scolaires publics. Dans les lycées, la loi s’applique à l’ensemble des élèves, y compris ceux qui sont inscrits dans des formations post- baccalauréat (classes préparatoires aux grandes écoles, sections de technicien supérieur). La loi s’applique à l’intérieur des écoles et des établissements et plus généralement à toutes les activités placées sous la responsabilité des établissements ou des enseignants y compris celles qui se déroulent en dehors de l’enceinte de l’établissement (sortie scolaire, cours d’éducation physique et sportive...) ».
Elle ajoute que l’interdiction des signes religieux ostensibles visée par la loi ne concerne ni les agents publics de l’enseignement, ni les parents d’élèves, ni les candidats qui viennent passer les épreuves d’un examen ou d’un concours dans les locaux d’un établissement public d’enseignement, car ceux-ci « ne deviennent pas de ce seul fait des élèves de l’enseignement public ».
ÉLÉMENTS CLÉS DU DÉBAT
• Les textes ne prévoient donc pas expressément que des adultes suivant une formation professionnelle dispensée dans un lycée public soient soumis à l’interdiction du port de signes religieux ostensibles tels que le foulard. Les travaux préparatoires de la loi sur la laïcité n’évoquent pas non plus cette question.
D’ailleurs, la HALDE a relevé que la loi de 2004 sur la laïcité n’était pas applicable aux stagiaires du GRETA suivant une formation dispensée dans un lycée public, ces derniers devant alors être considérés comme des usagers du service public. S’appuyant sur une jurisprudence établie du Conseil d’Etat, la Haute Autorité a rappelé à plusieurs reprises que les principes de laïcité et de neutralité des services publics n’ont pas vocation à s’appliquer aux usagers du service public.
Dans votre affaire, l’interdiction vise de manière générale les casquettes et tout couvre-chef sans distinction. Elle revient, en pratique, à défavoriser particulièrement les personnes portant certains signes religieux et notamment les femmes musulmanes qui portent le foulard, comme c’est votre cas, ou encore les hommes portant le turban sikh ou la kippa.
• Cependant, la jurisprudence admet, par exception, l’interdiction du port de tout couvre-chef dans les locaux d’enseignement dans des cas strictement définis. Il est ainsi permis d’interdire le port de tout couvre-chef dans le règlement intérieur s’il y a adéquation étroite, dans le temps ou l’espace, entre cette mesure et les nécessités de l’ordre public. Celles-ci peuvent être tirées du respect des règles de sécurité, d’hygiène et de civilité entre les membres de la communauté scolaire. Elles peuvent donc justifier une interdiction dans les classes ou les bâtiments scolaires.
Mais, en tout état de cause, si cette mesure s’étend au-delà des salles de classe ou des bâtiments, elle porte aux yeux des juges une atteinte disproportionnée aux droits des élèves reconnus par les textes internationaux et nationaux et excède l’étendue des pouvoirs dont dispose l’autorité administrative pour assurer le bon ordre dans l’établissement. Dans ce cas, le juge administratif déclare illégales les dispositions contestées du règlement intérieur.
QUE FAIRE ?
• Vous devez vérifier si le règlement intérieur de votre organisme de formation est litigieux, sachant que vous n’êtes pas considéré comme des élèves au sens de la loi de 2004.
• En outre, apparaît-il des circonstances particulières qui pourraient justifier cette interdiction générale et absolue, liées au respect des règles d’hygiène, de sécurité ou d’ordre public ? La direction peut-elle en expliquer la teneur ? Si c’est le cas, il faudra tout de même lui rappeler que l’interdiction générale ne peut s’appliquer qu’aux salles de classe et bâtiments scolaires.
• Si le respect des règles d’hygiène ou de sécurité est lié à la nature même du métier, comme celui de médecin, d’infirmière, d’ingénieur en nucléaire…, il peut apparaître utile à l’école de formation d’habituer les élèves à respecter les normes de droit commun d’hygiène et de sécurité dans l’espace même de la formation, même si la prise en fonction n’est pas encore effective. Dans ce type de cas, l’obligation d’ôter un vêtement recouvrant la tête (2) ne peut être jugé discriminatoire puisqu’il entre dans les aptitudes nécessaires à la mission professionnelle.
• Dans le cas contraire, si l’interdiction n’est pas relative à des circonstances particulières liées au respect des règles d’hygiène, de sécurité ou d’ordre public, vous pouvez ramener à la direction de votre organisme de formation les délibérations de la HALDE, qui a déjà eu l’occasion de se prononcer dans des affaires similaires. Dans votre situation, la discrimination serait indirecte (fondée sur la religion au sens de l’article 3 b de la directive 2000/78 et de l’article 2-2 de la loi n° 2008-496 et des articles 9 et 14 de la CEDH), puisque le port de signes religieux n’est pas expressément et directement interdit par le règlement intérieur illégal, qui vise de manière générale « tous les couvre-chefs ». L’interdiction générale du règlement intérieur a indirectement pour effet de priver les stagiaires de cet organisme de formation du droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans l’enceinte des établissements scolaires.
Notes
1. De nombreuses informations juridiques sont tirées de la Délibération n° 2009-403 du 14 décembre 2009 de la HALDE.
2. De nombreuses femmes de confession juive ou musulmane travaillant dans le secteur médical respectent les normes d’hygiène et leur liberté de conscience en gardant leur « charlotte » aseptisée quotidiennement.
Ma foi, le droit et moi, c'est quoi ?
Dounia Bouzar
Vous avez vécu une situation de discrimination liée à votre religion dite « minoritaire » (protestante, bouddhiste, juive, sikh, musulmane…), et souhaitez poser une question sur vos droits et devoirs ? N’hésitez pas à proposer votre cas.
Ancienne éducatrice, docteur en anthropologie, expert européen sur les discriminations, Dounia Bouzar est l’auteure de plusieurs ouvrages liés à des enquêtes de terrain s’intéressant aux musulmans.
Dernière parution : Laïcité, mode d’emploi (Éd. Eyrolles, 2010), explicitant les repères légaux, historiques et psychologiques qui permettent de gérer la diversité religieuse et de mettre en œuvre le principe de laïcité dans les services publics et les entreprises.
Pour Saphirnews, Dounia Bouzar reprend ces situations tirées de son ouvrage, mais ici du point de vue de l’usager ou du salarié.
Alors, n’hésitez pas à la contacter, elle répondra à vos questions (anonymat préservé) :
Ancienne éducatrice, docteur en anthropologie, expert européen sur les discriminations, Dounia Bouzar est l’auteure de plusieurs ouvrages liés à des enquêtes de terrain s’intéressant aux musulmans.
Dernière parution : Laïcité, mode d’emploi (Éd. Eyrolles, 2010), explicitant les repères légaux, historiques et psychologiques qui permettent de gérer la diversité religieuse et de mettre en œuvre le principe de laïcité dans les services publics et les entreprises.
Pour Saphirnews, Dounia Bouzar reprend ces situations tirées de son ouvrage, mais ici du point de vue de l’usager ou du salarié.
Alors, n’hésitez pas à la contacter, elle répondra à vos questions (anonymat préservé) :
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