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Arts & Scènes

Etienne Nasreddine Dinet : une peinture mystique qui reflète la lumière muhammadienne

Rédigé par | Vendredi 2 Août 2024 à 11:00

           

Etienne Nasreddine Dinet (1861-1929) n’est pas seulement le peintre admirable des tribus berbères du Sud algérien, de leur vie simple et joyeuse, de la grande beauté des corps et de celle innocente et pure des visages jeunes et vieux. En embrassant l’islam au début du 20e siècle, il devient un peintre mystique inspiré par son Prophète Muhammad dont la présence invisible irradie de sa lumière une œuvre unique d’une saisissante beauté, témoignage de sa foi d’une absolue sincérité.



Etienne Dinet, « Es-soujoud, la prosternation, prière au lever du jour », 1900
Etienne Dinet, « Es-soujoud, la prosternation, prière au lever du jour », 1900
Etienne Dinet est mis à l’honneur par l’Institut du monde arabe, offrant ainsi l’occasion de parler du grand peintre français musulman qui s’est choisi pour prénom Nasreddine. Dans la biographie que sa sœur Jeanne publie après la mort d’Etienne Dinet, celle-ci note, dès son jeune âge, la prédisposition du peintre à l’isolement et à la méditation solitaire, à l’instar du Prophète Muhammad qui « aimait les grands espaces vides où il aimait à flâner tout seul », comme il l’écrira en 1918, dans sa biographie, Muhammad, l’Envoyé de Dieu (Al-Bouraq, 2009), bien des années plus tard.

C’est à Bou-Sâada, aux portes du désert, que s’affirme à la fois sa vocation de peintre, et sa vocation mystique d’européen ancré dans la vie simple des Berbères ibadites. Dans ce pays nouveau, loin de son Loiret natal, la beauté du monde qui l’entoure lui donne un élan spirituel de peintre inspiré dont la vision unifiée transfigure la réalité.

Un regard subjectif, amoureux de l’islam et de son Prophète

Devenu musulman au début du siècle dernier, avec une nouvelle palette inondée de pure lumière et dans la douceur des tons pastel, il peint un islam intériorisé, fait de beauté, de simplicité et de sainte fraternité. Sa vision passe par l’expérience mystique du cœur et sa peinture devient intérieure, animée d’un souffle céleste, nous reliant ainsi, avec délicatesse et subtilité, à la source même de la Lumière. Son regard est celui d’un voyant qui perçoit avec l’œil du cœur les signes divins « aux horizons et en eux-mêmes », comme il est annoncé dans la sourate La prosternation (Coran, 41, 53).

La spécificité humano-divine de cette peinture, baignée par l’esprit prophétique, est particulièrement saisissante dans une toile exposée à l’IMA, intitulée « Le lendemain du Ramadan » qui révèle la Réalité cachée au cœur du monde.

Des jeûneurs transfigurés

Dans ce tableau (à droite), la lumière théophanique envahit tout le cadre, saturant les silhouettes en rangs serrés, drapées de blanc laiteux, les visages rehaussés d’éclats lumineux. A la fin du Ramadan, les jeûneurs sont devenus si purs qu’ils ont envahi toute la surface de la toile, pour ne laisser au-dessus d’eux qu’une légère bande nuageuse qui absorbe dans sa blancheur la ligne d’horizon marin.

La terre devenue résiduelle, en bas à droite du tableau, est si tremblante de lumière qu’elle s’estompe vers le bord du cadre, confondant avec elle les dernières silhouettes des croyants. Ces jeûneurs recueillis et transfigurés sont-ils encore des hommes ou en train de devenir des anges ?

Le symbolisme du soujoud mis en lumière

L’œuvre de grand format la plus saisissante dans cette exposition est certainement celle de 1900 qui représente la prière de l’aube sur une terrasse à Bou-Sâada, intitulée « Es-soujoud, la prosternation, prière au lever du jour » (en haut de l'article). Qu’Etienne Dinet ait choisi, dans cette peinture, le soujoud, troisième mouvement de la prière rituelle musulmane, après le takbir et le roukou est significatif de sa quête d’une perfection (ihsan) dans son cheminement sur les pas du Prophète.

Ce que nous révèle ce rang de cinq orants prosternés face contre terre, dont les visages sont presque invisibilisés, c’est leur attitude de soumission totale à la volonté divine, leur reconnaissance du néant dont ils ont été tirés. Il les peint dans cette attitude recueillie, tout contre le sol ombré de mauve, qui reflète la splendeur du ciel embrasé où scintillent encore cinq petites étoiles « qui, nulle part au monde, ne scintillent comme elles scintillent au-dessus des déserts ».*

Dans la grande paix du jour nouveau, sous la ville encore endormie dont les maisons roses et blanches épousent la courbe de la colline, ces croyants prosternés symbolisent le but de la quête mystique, l’extinction du moi humain et l’immersion dans l’océan divin sans rivages.

Des silhouettes émouvantes magnifiées

Etienne Nasreddine Dinet : une peinture mystique qui reflète la lumière muhammadienne
Pour magnifier ces silhouettes émouvantes plongées dans l’adoration du Dieu unique, le peintre a choisi l’angle le plus noble et le plus respectueux de ce moment sacré, afin de nous faire entrer dans leur intimité. Vus de profil, les corps sont repliés comme les innombrables plis des burnous grèges et blancs qui les recouvrent. Seul se détache au deuxième plan, le manteau écarlate de l’un d’eux, qui s’harmonise avec les nuages empourprés qui semblent les protéger de l’ardeur de l’astre naissant. Ceci fait penser au signe miraculeux relaté dans l’ouvrage Muhammad, l’Envoyé de Dieu : « Au moment où le soleil, s’élevant au-dessus des voyageurs, les menaçait de ses traits enflammés, de légers nuages semblables aux plumes d’un oiseau, se formaient dans l’azur céleste... se déployant pour protéger Muhammad sous leur ombre. »

Il faudrait mentionner encore bien des peintures admirables, comme cet « imam présidant la prière », « le meddah aveugle chantant l’épopée du Prophète », « la nuit du mouloud », et d’autres encore, qui toutes transportent le regardeur dans une réalité subtile que le talent du peintre a réussi à suggérer.

L’exposition à l’IMA, prolongée jusqu’au 15 septembre, offre une rare occasion de plonger dans l’univers pictural et mystique si inspirant de cet artiste français amoureux du Sud algérien, de l’islam et de son Prophète.

*Etienne Dinet, Slimane Ben Ibrahim, Muhammad, l’Envoyé de Dieu, éd. Al-Bouraq, 2009

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Clara Murner
Clara Murner est doctorante en langue et littérature arabes à l'Université de Strasbourg, au sein... En savoir plus sur cet auteur



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