Étrange que d’écrire sur le dernier film d’Amos Gitaï Ana Arabia, qui sort en salles ce mercredi 6 août, alors que la bande de Gaza vient de subir 29 jours d’opération « Bordure protectrice », une agression israélienne qui a impliqué 176 500 soldats israéliens et 20 000 combattants du Hamas, et eu pour conséquence au moins 1 814 Palestiniens tués (dont plus de 1 300 civils sur 1 527 personnes identifiées) et 268 000 Palestiniens déplacés tandis que dans le camp d'en face, on dénombre 67 Israéliens tués (dont 64 soldats)…
Mais le processus artistique et créatif a cette vertu que les résolutions politiciennes et cyniques ont perdu : sillonner l’intimité, rendre compte de souvenirs, puiser dans l’expérience personnelle et familiale pour y rechercher l’universel et donner écho à ce qui nous reste de notre humanité, dans la croyance, certes fragile, de réussir à tendre vers plus d’amour et plus de paix.
Amos Gitaï, ayant plus de 80 films à son actif, alternant documentaires et fictions, est sans doute le réalisateur israélien le plus connu. Son premier film, House (1980), tourné en noir et blanc, est une œuvre majeure. À travers l’histoire d’une maison de Jérusalem-Ouest – après le départ de son propriétaire (un médecin palestinien), la maison est réquisitionnée par le gouvernement israélien, louée à un couple de juifs algériens, puis rachetée par un professeur d’université israélien – Amos Gitaï aborde en creux l’expulsion en 1948 de la population palestinienne et pointe l’inique loi de 1948 dite « Absentee properties » (loi des Absents), qui stipule que dès lors que les habitants se sont « absentés » en 1948, leurs maisons ou leurs terrains devenaient « propriétés de l’État ». House fut censuré par la télévision israélienne, mais il marqua aussi la décision d’Amos Gitaï, qui est docteur en architecture vernaculaire, de devenir cinéaste.
Ana Arabia se déroule aussi au sein d’une propriété, un dédale de petites maisons et d’appartements accolés, séparés par une cour intérieur et de miniruelles, située dans une enclave pareille à un bidonville à la frontière entre Jaffa et Bat Yam, à côté de Tel-Aviv. Ana Arabia (« Je suis Arabe ») repose aussi sur une histoire vraie. Amos Gitaï s’est inspiré de celle d’une femme habitant à Umm el-Fahm, un village dans le nord d’Israël. Ayant un déficit en calcium, elle alla voir son médecin, qui diagnostique qu’elle avait probablement été mal nourrie pendant son enfance. Cette femme, recouverte d’un keffieh, avoua alors qu’elle était née à Auschwitz.
Cette femme juive, convertie à l’islam, mariée à un musulman, dont on dit qu’elle a eu cinq enfants et vingt-cinq petits-enfants, devient le personnage central du film Ana Arabia, mais on ne la verra jamais, elle est décédée. Et c’est sur la trace du personnage de Siam Hassan, une juive polonaise, émigrée de Pologne qui tombe amoureuse à 15 ans de Yussuf, un Arabe d’Israël, et à travers les récits que feront d’elle ses proches (son mari, ses enfants, ses voisins) auprès de Yaël, une jeune journaliste israélienne, que nous irons à sa rencontre. Et, par-delà, à la rencontre d’une galerie de personnages qui nous font part de leur propre vie, de leurs espoirs et désillusions dans un monde où l’on sait que la paix et la justice ne règnent pas.
Ce qu’Amos Gitaï réussit, c’est de nous plonger en plein dans le quotidien d’une famille arabe d’Israël. En prenant le parti (ambitieux) de tourner un film entier de 81 minutes en une seule séquence, sans absolument aucune coupure, il place le spectateur au côté de Yaël. Quand la jeune journaliste entre lentement sous le porche du bâtiment, ce sont nous aussi qui caressons les branches du vieil arbre de l’entrée. Quand elle déambule dans les miniruelles et cours intérieures, ce sont nous aussi qui découvrons cet univers de bric et de broc. Quand elle se laisse guider par les témoignages de Yussuf, le mari de Siam Hassan, de sa fille Miriam, de sa belle-fille Sarah, de son fils Walid et de ses cinq amis, ce sont nous aussi qui écoutons, humbles et silencieux, les bribes de récits que chacun veut bien nous confier. « Ici, il ne reste plus que le rêve », dira l’ami de Yussuf, qui aime sa vie simple de ferrailleur. Et c’est peu à peu tout un pan de l’histoire palestinienne qui se raconte. « D’où venez-vous ? », répète inlassablement Yaël. « D’ici ! », affirme, imperturbable, Yussuf. « Nos familles sont là depuis 150, 300 ans ! Et on veut nous expulser ! »
C’est la métaphore de la mixité israélo-palestinienne, judéo-musulmane, mal acceptée par la société, qui nous est ici filée. Le grand plan-séquence continu met ainsi en lien des bribes de récits de vie faits de douleurs et de résignations, entremêlées de plénitude intérieure. Il s’achève par un extraordinaire panoramique au-dessus de la maison de Yussuf, qui apparaît alors dans toute sa dure réalité : un ilot de bidonville entouré de hauts immeubles modernes, une vue aérienne saisissante de la disjonction (intellectuelle, matérielle, politique) de l’État d’Israël, qui instaure un non-dit d’apartheid, entre le « eux » et « nous », dont on ne sait si la situation restera sous forme de statu quo ou si l’ilot (de résistance ?) finira par être noyé.
Mais le processus artistique et créatif a cette vertu que les résolutions politiciennes et cyniques ont perdu : sillonner l’intimité, rendre compte de souvenirs, puiser dans l’expérience personnelle et familiale pour y rechercher l’universel et donner écho à ce qui nous reste de notre humanité, dans la croyance, certes fragile, de réussir à tendre vers plus d’amour et plus de paix.
Amos Gitaï, ayant plus de 80 films à son actif, alternant documentaires et fictions, est sans doute le réalisateur israélien le plus connu. Son premier film, House (1980), tourné en noir et blanc, est une œuvre majeure. À travers l’histoire d’une maison de Jérusalem-Ouest – après le départ de son propriétaire (un médecin palestinien), la maison est réquisitionnée par le gouvernement israélien, louée à un couple de juifs algériens, puis rachetée par un professeur d’université israélien – Amos Gitaï aborde en creux l’expulsion en 1948 de la population palestinienne et pointe l’inique loi de 1948 dite « Absentee properties » (loi des Absents), qui stipule que dès lors que les habitants se sont « absentés » en 1948, leurs maisons ou leurs terrains devenaient « propriétés de l’État ». House fut censuré par la télévision israélienne, mais il marqua aussi la décision d’Amos Gitaï, qui est docteur en architecture vernaculaire, de devenir cinéaste.
Ana Arabia se déroule aussi au sein d’une propriété, un dédale de petites maisons et d’appartements accolés, séparés par une cour intérieur et de miniruelles, située dans une enclave pareille à un bidonville à la frontière entre Jaffa et Bat Yam, à côté de Tel-Aviv. Ana Arabia (« Je suis Arabe ») repose aussi sur une histoire vraie. Amos Gitaï s’est inspiré de celle d’une femme habitant à Umm el-Fahm, un village dans le nord d’Israël. Ayant un déficit en calcium, elle alla voir son médecin, qui diagnostique qu’elle avait probablement été mal nourrie pendant son enfance. Cette femme, recouverte d’un keffieh, avoua alors qu’elle était née à Auschwitz.
Cette femme juive, convertie à l’islam, mariée à un musulman, dont on dit qu’elle a eu cinq enfants et vingt-cinq petits-enfants, devient le personnage central du film Ana Arabia, mais on ne la verra jamais, elle est décédée. Et c’est sur la trace du personnage de Siam Hassan, une juive polonaise, émigrée de Pologne qui tombe amoureuse à 15 ans de Yussuf, un Arabe d’Israël, et à travers les récits que feront d’elle ses proches (son mari, ses enfants, ses voisins) auprès de Yaël, une jeune journaliste israélienne, que nous irons à sa rencontre. Et, par-delà, à la rencontre d’une galerie de personnages qui nous font part de leur propre vie, de leurs espoirs et désillusions dans un monde où l’on sait que la paix et la justice ne règnent pas.
Ce qu’Amos Gitaï réussit, c’est de nous plonger en plein dans le quotidien d’une famille arabe d’Israël. En prenant le parti (ambitieux) de tourner un film entier de 81 minutes en une seule séquence, sans absolument aucune coupure, il place le spectateur au côté de Yaël. Quand la jeune journaliste entre lentement sous le porche du bâtiment, ce sont nous aussi qui caressons les branches du vieil arbre de l’entrée. Quand elle déambule dans les miniruelles et cours intérieures, ce sont nous aussi qui découvrons cet univers de bric et de broc. Quand elle se laisse guider par les témoignages de Yussuf, le mari de Siam Hassan, de sa fille Miriam, de sa belle-fille Sarah, de son fils Walid et de ses cinq amis, ce sont nous aussi qui écoutons, humbles et silencieux, les bribes de récits que chacun veut bien nous confier. « Ici, il ne reste plus que le rêve », dira l’ami de Yussuf, qui aime sa vie simple de ferrailleur. Et c’est peu à peu tout un pan de l’histoire palestinienne qui se raconte. « D’où venez-vous ? », répète inlassablement Yaël. « D’ici ! », affirme, imperturbable, Yussuf. « Nos familles sont là depuis 150, 300 ans ! Et on veut nous expulser ! »
C’est la métaphore de la mixité israélo-palestinienne, judéo-musulmane, mal acceptée par la société, qui nous est ici filée. Le grand plan-séquence continu met ainsi en lien des bribes de récits de vie faits de douleurs et de résignations, entremêlées de plénitude intérieure. Il s’achève par un extraordinaire panoramique au-dessus de la maison de Yussuf, qui apparaît alors dans toute sa dure réalité : un ilot de bidonville entouré de hauts immeubles modernes, une vue aérienne saisissante de la disjonction (intellectuelle, matérielle, politique) de l’État d’Israël, qui instaure un non-dit d’apartheid, entre le « eux » et « nous », dont on ne sait si la situation restera sous forme de statu quo ou si l’ilot (de résistance ?) finira par être noyé.
Ana Arabia, d'Amos Gitaï (France, Israël, 2014, 1 h 24)
Avec Yuval Scharf, Yussuf Abu-Warda, Sarah Adler...
En salles le 6 août 2014.
Avec Yuval Scharf, Yussuf Abu-Warda, Sarah Adler...
En salles le 6 août 2014.
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