The Capture, œuvre de Nate Ripp, illustre la Nuit de cristal, le pogrom perpétré par les Nazis contre les Juifs, qui se déroula dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Près de 200 synagogues et lieux de culte furent détruits, 7 500 commerces tenus par des Juifs saccagés ; une centaine de Juifs furent assassinés et près de 30 000 furent déportés en camp de concentration.
VIENNE. − Malgré ses nombreux et riches musées, son architecture imposante, la capitale autrichienne n’a jamais vraiment trouvé grâce à mes yeux. Je ne m’y suis jamais vraiment sentie à l’aise…
Elle fait néanmoins partie depuis quelques années de mes passages obligés européens, principalement parce qu’elle est le siège de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et autres organismes internationaux.
Kristallnacht. C’est à cette occasion que je m’y suis rendue la première fois. Kristallnacht, la « Nuit de cristal », c’est une formule poétique utilisée par les nazis pour évoquer le pire, à savoir une nuit pendant laquelle magasins, propriétés des citoyens allemands et autrichiens juifs ont été saccagés. Au sens littéral du terme. Un déchainement organisé du mal. Je refuse de penser qu’il s’agissait d’un moment de folie. Hannah Arendt, philosophe du siècle passé, a montré que la haine, le mal sont insidieusement présents dans la normalité. Chez Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
Un peu comme cette idée qu’il n’y a pas de dérapage raciste. Ce n’est jamais un dérapage. Je ne supporte plus les journalistes et les politiques qui nous vendent du « dérapage » après les phrases et discours de nos candidats. Quand un homme politique désormais de premier plan dit que la France est « à prendre comme une femme » ou que la colonisation n’est après tout qu’« un partage de culture » (celui de la barbarie probablement), je ne supporte plus qu’on minimise ses propos en les qualifiant de « dérapages ». Ils sont le reflet d’une pensée articulée. Sexiste et raciste.
Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, comme disait l’autre.
Mais revenons-en à Vienne. Lors de mon voyage après des visites officielles à la rencontre des communautés musulmanes, du département d’islamologie de l’Université de Vienne, nous avions rencontré le grand rabbin de Bruxelles et les enseignants des établissements juifs. Avant la Shoah, on estimait la population juive à 300 000 âmes, principalement dans la capitale autrichienne. Elles ont disparu après l’Holocauste. Les juifs sont moins de 10 % aujourd’hui. On comprend aisément que parmi ceux qui sont restés la mémoire soit vive. C’est autour de la mémoire que beaucoup de discussions tournent.
Lors d’une discussion entre le grand rabbin et l’imam de Vienne, le premier questionne le suivant sur la transmission de cette mémoire chez les jeunes écoliers d’origine turque. J’apprendrai que c’est une des questions et préoccupations des représentants juifs présents à ces rencontres à la veille de la commémoration de la Kristallnacht.
Depuis quelques années, un débat fait rage en France et en Europe. Celui de l’antisémitisme supposé des nouvelles populations européennes de confession musulmane. Les Turcs à Vienne, les Maghrébins dans d’autres contrées européennes.
Ici et là surgissent des sondages et études pour clamer que le vieil antisémitisme, celui de la Shoah, est éteint, est chose dépassée ; et que ce qui préoccupe désormais, ce sont les nouveaux barbares… Les Merah et Coulibaly y sont pour quelque chose.
Habile femme politique, Marine Le Pen emboitant le pas à Geert Wilders, la tête d’affiche de l’extrême droite néerlandaise, ne cesse de clamer son innocence et de redorer l’image du parti de son père, l’homme du « détail de l’Histoire ». Elle met en avant les racines judéo-chrétiennes de la France et de l’Europe, superbe escroquerie historique du dernier demi-siècle de l’Europe qui, après avoir massacré pendant des siècles les communautés juives qui y vivaient, se met à revendiquer son héritage juif. On n’est plus à une petite entorse avec l’Histoire pour faire oublier le passé raciste, antisémite, colonial et impérialiste de l’Europe. Et le pire, c’est que ça marche…
Le même principe est utilisé par nos politiques premiers défenseurs des femmes voilées au nom de la Liberté et premiers soutiens de leurs collègues parlementaires accusés de viol ou d’agressions sexuelles. Ne cherchez aucune logique à cela. Il n’y en a pas, si ce n’est d’ériger certains comme coupables. Par essence.
Il y a quelques jours, un ami journaliste new-yorkais m’a envoyé les clichés des jeunes soutiens de Donald Trump faisant le salut nazi en hommage à Trump qui, lui, a fait comme si rien ne s’était passé. Prétendre qu’on ne voit rien. Prétendre que cela n’a pas existé. Voilà ce qui souvent permet l’horreur.
Il y a quelques années, la télévision fédérale allemande a réalisé un documentaire sur une petite bourgade allemande dans laquelle un camp de travail forcé avait été construit pendant la Seconde Guerre mondiale. Les journalistes avenants ont frappé aux portes des habitants qui avaient vécu toute leur vie là-bas. Après quelques questions anodines et avoir acquis la confiance de leur interlocuteurs, ils les ont questionnés sur 1933. Les uns ont alors été pris de trou noir, quand d’autres claquaient la porte.
Le pire n’est jamais une fatalité, il est possible parce que l’on fait semblant de ne pas vouloir le voir, de ne pas vouloir le reconnaitre.
Les combats d’hier comme d’aujourd’hui sont des combats de vigilance. Ne jamais laisser passer des paroles racistes ou sexistes, même quand elles ne nous concernent pas directement. « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous », disait Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952). Des décennies plus tard, la formule n’a pas pris une ride.
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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
Elle fait néanmoins partie depuis quelques années de mes passages obligés européens, principalement parce qu’elle est le siège de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et autres organismes internationaux.
Kristallnacht. C’est à cette occasion que je m’y suis rendue la première fois. Kristallnacht, la « Nuit de cristal », c’est une formule poétique utilisée par les nazis pour évoquer le pire, à savoir une nuit pendant laquelle magasins, propriétés des citoyens allemands et autrichiens juifs ont été saccagés. Au sens littéral du terme. Un déchainement organisé du mal. Je refuse de penser qu’il s’agissait d’un moment de folie. Hannah Arendt, philosophe du siècle passé, a montré que la haine, le mal sont insidieusement présents dans la normalité. Chez Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
Un peu comme cette idée qu’il n’y a pas de dérapage raciste. Ce n’est jamais un dérapage. Je ne supporte plus les journalistes et les politiques qui nous vendent du « dérapage » après les phrases et discours de nos candidats. Quand un homme politique désormais de premier plan dit que la France est « à prendre comme une femme » ou que la colonisation n’est après tout qu’« un partage de culture » (celui de la barbarie probablement), je ne supporte plus qu’on minimise ses propos en les qualifiant de « dérapages ». Ils sont le reflet d’une pensée articulée. Sexiste et raciste.
Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, comme disait l’autre.
Mais revenons-en à Vienne. Lors de mon voyage après des visites officielles à la rencontre des communautés musulmanes, du département d’islamologie de l’Université de Vienne, nous avions rencontré le grand rabbin de Bruxelles et les enseignants des établissements juifs. Avant la Shoah, on estimait la population juive à 300 000 âmes, principalement dans la capitale autrichienne. Elles ont disparu après l’Holocauste. Les juifs sont moins de 10 % aujourd’hui. On comprend aisément que parmi ceux qui sont restés la mémoire soit vive. C’est autour de la mémoire que beaucoup de discussions tournent.
Lors d’une discussion entre le grand rabbin et l’imam de Vienne, le premier questionne le suivant sur la transmission de cette mémoire chez les jeunes écoliers d’origine turque. J’apprendrai que c’est une des questions et préoccupations des représentants juifs présents à ces rencontres à la veille de la commémoration de la Kristallnacht.
Depuis quelques années, un débat fait rage en France et en Europe. Celui de l’antisémitisme supposé des nouvelles populations européennes de confession musulmane. Les Turcs à Vienne, les Maghrébins dans d’autres contrées européennes.
Ici et là surgissent des sondages et études pour clamer que le vieil antisémitisme, celui de la Shoah, est éteint, est chose dépassée ; et que ce qui préoccupe désormais, ce sont les nouveaux barbares… Les Merah et Coulibaly y sont pour quelque chose.
Habile femme politique, Marine Le Pen emboitant le pas à Geert Wilders, la tête d’affiche de l’extrême droite néerlandaise, ne cesse de clamer son innocence et de redorer l’image du parti de son père, l’homme du « détail de l’Histoire ». Elle met en avant les racines judéo-chrétiennes de la France et de l’Europe, superbe escroquerie historique du dernier demi-siècle de l’Europe qui, après avoir massacré pendant des siècles les communautés juives qui y vivaient, se met à revendiquer son héritage juif. On n’est plus à une petite entorse avec l’Histoire pour faire oublier le passé raciste, antisémite, colonial et impérialiste de l’Europe. Et le pire, c’est que ça marche…
Le même principe est utilisé par nos politiques premiers défenseurs des femmes voilées au nom de la Liberté et premiers soutiens de leurs collègues parlementaires accusés de viol ou d’agressions sexuelles. Ne cherchez aucune logique à cela. Il n’y en a pas, si ce n’est d’ériger certains comme coupables. Par essence.
Il y a quelques jours, un ami journaliste new-yorkais m’a envoyé les clichés des jeunes soutiens de Donald Trump faisant le salut nazi en hommage à Trump qui, lui, a fait comme si rien ne s’était passé. Prétendre qu’on ne voit rien. Prétendre que cela n’a pas existé. Voilà ce qui souvent permet l’horreur.
Il y a quelques années, la télévision fédérale allemande a réalisé un documentaire sur une petite bourgade allemande dans laquelle un camp de travail forcé avait été construit pendant la Seconde Guerre mondiale. Les journalistes avenants ont frappé aux portes des habitants qui avaient vécu toute leur vie là-bas. Après quelques questions anodines et avoir acquis la confiance de leur interlocuteurs, ils les ont questionnés sur 1933. Les uns ont alors été pris de trou noir, quand d’autres claquaient la porte.
Le pire n’est jamais une fatalité, il est possible parce que l’on fait semblant de ne pas vouloir le voir, de ne pas vouloir le reconnaitre.
Les combats d’hier comme d’aujourd’hui sont des combats de vigilance. Ne jamais laisser passer des paroles racistes ou sexistes, même quand elles ne nous concernent pas directement. « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous », disait Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952). Des décennies plus tard, la formule n’a pas pris une ride.
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