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Ramadan

Début du Ramadan 2014 : que vont faire les mosquées de France ?

Rédigé par Maria Magassa-Konaté et H. Ben Rhouma | Jeudi 26 Juin 2014 à 06:00

           

Les musulmans des quatre coins de la France s’apprêtent à démarrer le mois de jeûne. Encore sous le choc de la cacophonie de l’an dernier au début du Ramadan, les cadres religieux et associatifs veulent éviter un scénario à l'identique. Appelés à se responsabiliser, que choisissent-ils de suivre ?



La Grande Mosquée de Paris.
La Grande Mosquée de Paris.
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) organise la Nuit du doute vendredi 27 juin. Si, pour la plupart des mosquées de l’Hexagone interrogées, les calculs astronomiques sont une solution incontournable pour l’avenir, les lieux de culte musulman sont nombreux aujourd'hui à se ranger du côté de l’instance.

Mais leurs raisons sont diverses. Certains partagent l’idée qu'il faut se reposer sur une constatation visuelle de la Lune pour prendre une décision alors que d’autres, qui ont toute leur confiance en les calculs astronomiques, vont suivre le CFCM simplement pour aller dans le sens de « l’unité ». D’est en ouest et du nord au sud, focus sur ces positions.

Kamel Kabtane, le recteur de la Grande Mosquée de Lyon.
Kamel Kabtane, le recteur de la Grande Mosquée de Lyon.

« Une bonne idée qui est imposée devient une mauvaise idée »

A la Grande mosquée de Lyon (Rhône), on s’apprête à organiser une Nuit du doute vendredi 27 juin. Son recteur Kamel Kabtane n’est pourtant « pas réticent » aux calculs. Mais une « bonne idée qui est imposée devient une mauvaise idée », juge-t-il en faisant référence à l’an dernier. Il porte un regard sévère sur le revirement du CFCM, qui appelait à rompre le jeûne le 9 juillet pour commencer le 10.

Cette année, il note que « la Lune sera visible au Chili » le 27 juin en se tenant aux prévisions scientifiques. A ses yeux, il serait plus pertinent de se baser sur un calendrier bi-zonal comme le préconise l’astrophysicien Nidhal Guessoum. Suivant ce principe, la vision de la Lune a un seul endroit sur Terre n’a plus une approche universelle : le monde est découpé en deux grandes régions avec une division au milieu de l’Atlantique. C’est « beaucoup plus logique et moins conflictuel », estime-t-il.

Plus que de « déterminer les règles » des calculs qui seront utilisés à l’avenir, il est nécessaire d’en expliquer le fonctionnement à une « population qui n’est pas encore prête », insiste-t-il. Mais encore faut-il qu’il y ait une « instance (représentative du culte musulman, ndlr), qui soit respectée », tacle le recteur de Lyon. Pour l’heure, place à la Nuit du doute dans sa mosquée qui réunira d’autres lieux de culte de sa région.

La Grande Mosquée de Strasbourg.
La Grande Mosquée de Strasbourg.

Suivre le CFCM pour « préserver l’unité »

Dans la même région, du côté de la mosquée Mohammed-VI de Saint-Etienne, la position est « clair et net, on suit le CFCM », nous dit le recteur Larbi Marchiche. La mosquée affiliée à l’Union des mosquées de France (UMF) écoute les directives de la nouvelle fédération présidée par Mohammed Moussaoui. D’après M. Marchiche, « les gens ne sont pas encore prêts » aux calculs. « Il faut un peu de temps », juge-t-il.

Abderrahim El Heloui, le président de la Grande Mosquée de Strasbourg (Bas-Rhin), dit aussi être « d’accord avec les propositions du CFCM ». « On prend les calculs en compte mais nous n’annoncerons pas une date » en avance, indique-t-il en expliquant vouloir « préserver l’unité ».

La mosquée de Strasbourg entend donc suivre le CFCM. « La structure en place est imparfaite. Nous avons de profonds désaccords avec son bilan. Mais il vaut mieux une structure imparfaite qu’aucune structure », juge M. El Heloui. A Strasbourg, le 27 juin, ils se réuniront avec d’autres mosquées du Bas-Rhin. « Ce que je retiens culturellement, c’est que le suspens avec la Nuit du doute est très intéressant car il maintient la religion vivante », argumente-t-il.

Toutefois, Abderrahim El Heloui estime qu’à l’avenir, les calculs sont une « solution plausible et raisonnable » mais qu’il « faut un travail de pédagogie ». Comme Kamel Kabtane, il faut d’abord « trancher » sur le territoire géographique à prendre en compte concernant la vision lunaire en France. « Je suis pour la science mais une utilisation intelligente de la science », conclut-il.

Une divergence qu'il faut savoir gérer

Comme les autres, Salah Merabti, le président de la communauté musulmane d’Indre et Loire et responsable de la Grande Mosquée de Tours ne veut pas revivre la « zizanie » de 2013. Il déplore que le Ramadan ait commencé avec « des chamailleries inutiles ». Cette année, il fait savoir que la Grande Mosquée de Tours, qui fait partie de la fédération de la Grande Mosquée de Paris, va suivre l'avis du CFCM.

L’homme rappelle qu’une divergence existe déjà sur les calendriers de prières avec l’angle de 12° adopté par la GMP et l’angle de 18°, y compris entre les fidèles au sein de son lieu de culte. Il sait aussi qu'à Tours, des fidèles suivront les calculs astronomiques pour le Ramadan comme dicté par l’UOIF. « On ne leur interdit pas. On ne peut pas obliger les gens », commente M. Merabti.

Des mosquées convaincues par le choix du calcul mais...

A Marseille, une trentaine d'imams se sont réunis à trois reprises en mai et en juin « afin de se concerter sur le début du mois sacré de Ramadan », apprend-t-on d'un communiqué. Ils « ont souligné le caractère précis du calcul astronomique dans la détermination de la nouvelle lune et donc du début du mois lunaire du Ramadan » et n'est « pas contraire à la constatation oculaire (...). C'est pourquoi les imams de Marseille s'engagent à informer les fidèles et à leur faire prendre conscience du caractère salutaire de cette option », écrivent-ils.

Toutefois, afin de « permettre à la communauté musulmane dans son ensemble de débuter le jeûne du Ramadan le même jour et de lui épargner la confusion, la division et la discorde en ce mois béni, les Imams de Marseille ont pris la résolution de s’aligner sur la décision » du CFCM.

Eviter « la cacophonie », c’est la seule raison pour laquelle une telle décision a été prise, abonde Haroun Derbal, imam à la mosquée Islâh à Marseille (Bouches du Rhône), qui ne cache pas sa forte adhésion aux calculs. La vision oculaire de la Lune était utilisée « par défaut, à l’époque du Prophète », insiste-t-il. Elle « n’est pas la finalité mais un moyen », martèle encore l’imam, qui explique qu’il n’y a qu’« une chance sur 1 000 » avec les calculs pour qu’il y ait une erreur.

Avec le choix du CFCM, il estime que l’on « revient en arrière ». La « masse ne peut pas se transformer en spécialiste de la religion », lance-t-il, en référence à Dalil Boubakeur, qui avait justifié le volte-face en 2013 par une pression des fidèles. Pour que ces derniers comprennent le bien fondé des calculs, lui n’hésite pas à faire des prêches du vendredi sur ce thème. Des formations animées par des astrophysiciens auprès d’imams ainsi que des séminaires et conférences sont également prévues dans l’optique de faire œuvre de pédagogie.

Des mosquées dans l'incertitude

A la veille du Ramadan, au Centre islamique de Villeneuve d’Ascq (CIV) dans le Nord, Mohammed El Mokthari, le secrétaire général du lieu de culte, fait savoir que la « décision n’est pas encore arrêtée » concernant la détermination du début du Ramadan. Ce qui est certain, c’est que « la solution qui arrive à unir le plus grand nombre de personnes » sera prise.*

Sans affiliation, la mosquée est notamment entourée de lieux de cultes proches de l’UOIF comme la mosquée de Lille-Sud dirigée par Amar Lasfar, le président de la fédération, qui suivront les calculs astronomiques. « Nous ne voulons pas faire cavalier seul », insiste M. El Mokthari, qui précise qu’un processus de discussions avec les mosquées de la région est en cours. C'est d'ailleurs dans cette démarche de concertation que l'imam du CIV Ahmed Miktar s'inscrit. Dans une vidéo datée du 24 juin, il appelle les musulmans au respect de la divergence des avis et à se fier à l'imam de leur mosquée car il est « un garant ».

« il nous est interdit de nous diviser concernant le mois du Ramadan dans le même pays et la même région », déclare-t-il. A Nantes (et pas que), le risque d'avoir deux dates de début est cependant grand : la mosquée Assalam et, logiquement, la mosquée turque de Bellevue se positionnent en faveur des calculs tandis qu'Arrahma écoutera le CFCM.**

Khalil Merroun, le recteur de la Grande Mosquée d'Evry.
Khalil Merroun, le recteur de la Grande Mosquée d'Evry.

L'observation lunaire, « la position de l'islam »

A Evry, en Essonne, avec Khalil Merroun, l'ambiance est autre. Le recteur de la mosquée indique qu’une Nuit du doute sera organisée comme c’est le cas depuis l’ouverture du lieu de culte en 1994. Ce n’est pas une surprise car l’homme s’était montré très virulent contre le CFCM après sa décision du 9 mai 2013. « L’islam ne s’oppose pas à la science, au contraire », dit-il pourtant. Mais son attachement à l’observation lunaire est palpable : « La vision prime. » « Il ne faut pas favoriser le calcul pour le calcul », poursuit le recteur, estimant que Dalil Boubakeur a fini par adopter « sa position ».

« Pas question de suivre inconsciemment un pays », argue Khalil Merroun. Ce n’est donc pas le royaume saoudien que sa mosquée veut suivre pour prendre une décision contrairement au CFCM qui « restent dans leur bureau ». « Des observatoires existent en France », indique-t-il en faisant référence au tout nouveau Observatoire lunaire des musulmans de France (OLMF) qui va « être consulté ».

Des mosquées du département comme Les Ulis et Arpajon prendront part à cette Nuit du doute. « Ce n’est pas ma position mais celle de l’islam », résume Khalil Merroun.

La résistance s'organise

Même son de cloche pour M'hammed Henniche, de l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM93). Pour lui, « le débat était clos l’an passé » car une majorité ont choisi la date du 10 juillet et non du 9, preuve que les musulmans « rejettent les calculs ». « Il y avait un abus d’autorité du CFCM et un mépris incroyable de la base en se faisant passer pour un chef. »

S’il se dit « satisfait » du choix actuel de l’instance, il fustige l’attitude de l’UOIF qui ne suit pas « l’avis traditionnel classique ». Avec d’autres associations rassemblées autour du Conseil des imams de France soutenu par Dhaou Meskine, elle organise une Nuit du doute à la mosquée de Montreuil pour assurer le « respect de la Tradition Prophétique » et « le consensus des savants de la Oumma ». Tout en encourageant l’initiative de l’OLMF, il déclare que la décision, « sans être influencée par l’avis du CFCM », sera motivée par l’annonce du premier pays musulman qui aura vu la nouvelle lune « sauf la Turquie ».

A l’inverse de cette position, d’autres mosquées, comme en Basse-Normandie, dans les Alpes-Maritimes et dans le Sud-Ouest de la France, ont choisi de s’appuyer sur les calculs selon lesquels le Ramadan débute samedi 28 juin.

Cet avis théologique est de mieux en mieux compris dans les mosquées. Mais la résistance demeure forte, une majorité restant à ce jour pour le maintien d'une Nuit du doute. Le débat, loin d'être clos, ne devra pas faire perdre de vue qu'il est plus que temps pour chacun de se préparer à accueillir du mieux possible le mois de jeûne.

* Mise à jour jeudi 26 juin : 10 mosquées du Nord, dont celle de Villeneuve d'Ascq, ont opté pour le principe du calcul. En savoir plus ici.
** Mise à jour vendredi 27 juin : La mosquée Arrahma a choisi d'annoncer le début du Ramadan le 28 juin avec plusieurs lieux de culte de Nantes et de sa région après s'être réunis à la mosquée Assalam. Au total, neuf mosquées prennent part à cette décision.






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