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Egalité des chances : les beaux jours de l’élitisme social

Rédigé par elhamrijamel@hotmail.fr | Mardi 23 Décembre 2008 à 00:00

           


Le Président Nicolas Sarkozy a prononcé le 17 décembre dernier un discours important sur les enjeux de l’égalité des chances. Patrick Savidan, Président de l’Observatoire des inégalités et auteur de Repenser l’égalité des chances en dresse le bilan.
Tout un symbole. C’est dans les murs de la prestigieuse Ecole Polytechnique, que le Président de la République s’est attaché à vanter les mérites du principe d’égalité des chances, en rappelant notamment, porté par un lyrisme appliqué, à quel point ce principe est consubstantiel à l’idéal républicain (son discours). C’est une bonne chose.

Au-delà, la chance de Nicolas Sarkozy semble avoir été de voir son champ d’intervention judicieusement circonscrit par les recommandations du comité de réflexion sur le préambule de la Constitution présidé par Mme Simone Veil. Sur les questions relatives à l’égalité des chances, ce comité a notamment souligné les conditions dans lesquelles peuvent d’ores et déjà être engagées, en France, des mesures dérogatoires ou préférentielles du type de celles qui correspondent à ce que l’on appelle la "discrimination positive" ou mieux : l’action positive. Il a par ailleurs affirmé, en s’appuyant sur le commentaire officiel de la décision du Conseil constitutionnel du 15 novembre 2007 [1], qu’il était tout à fait possible en l’état actuel du droit, de mener des études susceptibles de nous livrer ce que nous avons besoin de savoir en matière de discriminations "ethnoculturelles".

Sur ce point, le rapport rappelle tout d’abord, s’agissant des statistiques ethniques, que "le comité, pas plus que l’immense majorité des scientifiques, ne comprendrait qu’elles soient interdites, tant il est vrai que la lutte contre les discriminations suppose de pouvoir les mesurer." Il indique ensuite que cette mesure sera possible parce qu’il n’est pas interdit en France de recueillir, outre le nom, l’origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française, des données concernant le "ressenti d’appartenance". Si ces recommandations sont suivies d’effets, on devrait pouvoir faire progresser la connaissance des discriminations sans avoir à en passer par une définition à prétention objective de l’identité ethnoculturelle. Dans le contexte présent, c’est une démarche qui est à la fois prudente et progressiste.

Le fait même de ne pas s’être prononcé en faveur de l’inscription dans le préambule de la Constitution d’un objectif de promotion de la diversité parle plutôt en faveur du travail réalisé. La diversité n’est pas en effet une fin en soi ; cela peut être en revanche un bon indicateur. Le caractère divers d’un groupe quelconque peut en effet être interprété comme le signe qu’aucune catégorie de la population ne subit de discriminations. A l’inverse, l’absence de diversité pourra faire naître un soupçon de discrimination qui devra être levé. Plus fondamentalement encore ces recommandations font surtout une avancée capitale en replaçant dans leur contexte social les handicaps liés à l’identité. Elles dégagent ainsi les conditions intellectuelles et politiques pour un traitement plus englobant des injustices dans notre société. Là aussi, c’est une bonne chose.

Bon diagnostic, mesures insuffisantes

Certes, on pourra trouver irritant le propos faussement naïf qu’adopte le Président de la République. Il s’enthousiasme sur le miracle de la république, en négligeant les côtés sombres de son histoire. Comme dans quasiment tous les Etats-nations, l’institution de la nation française ne s’est pourtant pas faite dans la douceur. L’histoire de ces "petites patries" telles que la Bretagne ou le Pays Basque, assimilées à marche forcée, peut le rappeler utilement. Pour autant, il faut reconnaître que, dans l’ordre du diagnostic, il pose bien le problème lorsqu’il affirme que "c’est par le critère social qu’il faut prendre le problème parce que les inégalités sociales englobent toutes les autres" ou lorsqu’il souligne que "si l’on regarde comment se distribuent les inégalités, il apparaît clairement qu’en réduisant toutes les fractures sociales on réduira du même coup toutes les fractures ethniques, religieuses et culturelles."

Pour autant, la démarche soulève des réserves. L’arsenal des mesures proposées confirme tout d’abord que l’on ne sait décidément penser l’égalité des chances que dans le cadre d’une politique centrée sur les plus démunis. Il faut s’en préoccuper, c’est une évidence. Mais une politique de justice sociale doit concerner le pays tout entier et pas seulement quelques individus appartenant aux catégories les plus défavorisées. Car que leur propose-t-on au fond ? De les intégrer à une société qui reste, dans ses rapports sociaux d’ensemble, foncièrement injuste. Ces mesures visent à améliorer des situations individuelles, et non pas la situation en général. Elles visent à donner plus d’opportunités à quelques-uns, tout en renonçant à se préoccuper des autres. C’est la même logique que celle qui avait conduit à la suppression de la carte scolaire.

Si le discours a pour principale vertu de remettre en avant la question sociale, force est néanmoins de constater ensuite que les mesures proposées n’en relèvent pas directement. Tout l’argument de la juriste Gwenaëlle Calvès, sur lequel s’appuie fortement le Comité Veil, consiste à dire que le social peut opérer comme un "équivalent fonctionnel" des critères ethnoculturels et qu’il convient donc de chercher à traiter le problème des discriminations en faisant un effort soutenu dans le domaine social. Or le Président fait comme si les discriminations étaient le seul problème à résoudre (en oubliant d’ailleurs au passage de penser à la situation des femmes et à celle des personnes en situation de handicap). D’où l’accent mis sur le CV anonyme, d’où cette manière de traiter la question de la représentation des minorités dans les médias. Bref, à ce niveau très général, déjà, le compte n’y est pas.

On reste ici prisonnier d’un schéma intellectuel restrictif : il ne suffit pas de s’assurer que les classes préparatoires de France et de Navarre comptent bien leur 30% de boursiers pour changer fondamentalement la donne. On changera celle-ci lorsque l’on aura donné à l’ensemble des jeunes, en France, et notamment à ceux qui appartiennent aux véritables classes moyennes, une chance d’accéder à des études supérieures de qualité. Or, de ce point de vue, le "plan réussir en licence" de Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur, n’y suffira pas. La réforme des lycées qui est envisagée n’y contribuera pas non plus, la compression des postes et les suppressions de Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) pas davantage. Les universités françaises accueillent actuellement 1 300 000 étudiants. Quatre fois plus qu’en 1960 et 20 fois plus qu’en 1930. Le paradoxe veut qu’ils ne pèsent proportionnellement guère lourd face aux 220 000 étudiants se formant dans des Ecoles, dont 70 000 dans des classes préparatoires [2]. C’est à l’aune de tels rapports qu’il faut mesurer la limite des ambitions qui viennent d’être affichées en matière de justice sociale et d’égalité des chances. L’élitisme, même lorsqu’on le pare du beau nom de République, reste un élitisme. Et l’élite, ce n’est pas la France.

Bref, un discours politique ne doit pas se contenter de toucher juste dans l’ordre du diagnostic, il faut aussi qu’il soit suivi d’effets significatifs et qu’il ne se trompe pas d’outils, ni d’échelles. Dans un passé récent, Jacques Chirac ne s’était pas privé de s’indigner lui aussi face à la fracture sociale ; il avait même promis de la réduire. Il savait également parler avec émotion de la république et de l’égalité des chances. Le discours qu’il avait prononcé le 17 décembre 2003 en atteste. La lecture que l’on peut en faire aujourd’hui montre cependant l’absence de chemin parcouru depuis. Est-ce cette même histoire qui recommence ?

L’égalité des chances est un principe qu’il faut manier avec la plus grande des précautions. Ce n’est pas seulement un idéal, c’est d’emblée un horizon d’attente [3]. Ses échecs et ses insuffisances sont une machine à produire des frustrations et du ressentiment, parfois de la révolte. La responsabilité des gouvernants est aussi de ne pas l’oublier.

http://www.inegalites.fr/spip.php?article986

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