' Je suis allé en France pour la première fois dans les années cinquante, alors que j'étais encore ingénieur. J'étais en vacances et j'ai visité Paris, la Côte d'Azur et Marseille. On dit que ce nom vient d'un mot arabe : Marsa Elia, qui veut dire le port d'Élie. Mais mon premier contact avec le monde politique en France a été avec le général de Gaulle, en 1969, par l'intermédiaire des chevaliers de Malte ', répond-il à une question d'Amnon Kapeliouk.
Yasser Arafat, qui a toujours professé une immense admiration pour ' le général ', défait le col de sa chemise pour montrer une petite médaille qu'il porte toujours, accrochée à une chaîne en or, autour de son cou. C'est une petite croix de Lorraine dans un cercle. ' C'est de Gaulle qui me l'a envoyée à ma demande, accompagnée de l'appel du 18 juin ', précise-t-il. ' Elle ne me quitte jamais, comme la médaille de Jérusalem. '
' Par la suite, se souvient-t-il encore, j'ai rencontré François Mitterrand en Égypte. Cela s'est passé au journal Al Ahram. C'est le rédacteur en chef de ce quotidien, Mouhamad Hassanein Haïkal, qui avait organisé cette rencontre. C'était bien avant qu'il ne soit président, mais je l'ai revu souvent. '
Yasser Arafat a également toujours entretenu d'excellentes relations avec le PCF et accordé à plusieurs reprises des interviews à l'Humanité.
' C'est un journal que je connais bien et que j'apprécie, dit-il. Il joue un rôle international important. J'ai tous les jours la traduction d'articles de l'Humanité dans ma revue de presse. J'ai rencontré souvent ses journalistes, notamment à Beyrouth. Mais je me souviens que vous êtes aussi venue à Tunis et je me rappelle m'être adressé une fois à la Fête de l'Humanité. '
C'était, effectivement, quelques mois après le retour d'exil de Yasser Arafat, alors que l'Autorité palestinienne issue des accords d'Oslo - signés en septembre 1993 sous les auspices de Bill Clinton - était en train de s'installer à Gaza.
Je rappelle au président palestinien que la première fois que j'ai cherché à le rencontrer, c'était à Beyrouth, en juin 1982, alors que la capitale libanaise était assiégée. Déjà, comme aujourd'hui, j'étais venue avec Amnon Kapeliouk et un autre confère du journal Haaretz. Nous suivions, atterrés, les chars israéliens qui envahissaient le Liban, dévastant les camps de réfugiés palestiniens et y semant la mort. Ariel Sharon, alors ministre de la Défense de Menahem Begin, bombardait tous les immeubles où il pensait pouvoir l'atteindre.
Yasser Arafat opine et commente, non sans un certain sourire : ' Il a essayé de me tuer treize fois pendant le siège de Beyrouth. C'est lui-même qui l'a reconnu. Mais il avait déjà essayé beaucoup d'autres fois avant cela et il a continué après. Jusqu'à maintenant. '
C'est qu'une nouvelle fois, à la veille de la Pâque juive, Ariel Sharon vient de récidiver et de menacer Arafat de mort. ' Je ne conseille à aucune compagnie d'assurer Arafat sur la vie ', a-t-il claironné dans toute la presse, affirmant ' Arafat n'est pas à l'abri d'un assassinat '. Se débarrasser d'Arafat est devenu pour Ariel Sharon une sorte d'obsession. N'était-ce l'opposition internationale à ce meurtre, répétée par toutes les capitales, même Washington, il serait peut-être passé à l'acte. Il attend la première occasion - peut-être le prochain attentat.
Le président palestinien accueille pourtant ces menaces d'assassinat ' avec dédain et mépris '. ' Peu importe ma vie, dit-il, seul compte le peuple palestinien et l'avenir de ses enfants, de ses femmes, de ses étudiants. Avec l'assassinat de Cheikh Yassine (2), Israël a franchi toutes les lignes rouges. '
Pourtant, malgré l'enfermement qui lui est imposé, malgré cette menace permanente - contre laquelle les institutions internationales ne font rien - malgré l'échec d'Oslo, malgré tout ce qui s'est écroulé autour de lui, Yasser Arafat semble envisager l'avenir avec une certaine sérénité.
' Il faudra bien que la paix finisse par s'installer tôt ou tard sur cette terre. C'est la Terre sainte, et il est nécessaire pour la paix du monde qu'il y ait la paix sur la Terre sainte, la terre des trois religions. Nous en avons tous besoin, Israéliens et Palestiniens. Et on voit bien aujourd'hui que le monde entier en a besoin. '
Comment parvenir à la paix alors qu'aucun des accords passés jusqu'ici n'a été appliqué ?
' Il n'y a qu'une chose à faire, c'est appliquer la 'feuille de route', dit Yasser Arafat. Elle a été approuvée par tout le monde : par l'ONU, par les États-Unis, par la Russie et par l'Union européenne. Il faut appliquer la Ìfeuille de routeÍ et le plan de paix saoudien. Le ÌQuartetÍ s'y est référé à plusieurs reprises et les deux sont complémentaires. Tout le monde est d'accord avec cela. Seul Sharon n'est pas intéressé. Il faut que le ÌQuartetÍ exerce sur lui une grande pression pour l'amener à remplir l'engagement qu'il a pris d'accepter la création d'un État palestinien. Et si les Américains ne le font pas, c'est à l'Europe de le faire. '
L'idée avancée par certains dirigeants européens d'agir en coopération plus étroite avec la Ligue arabe, voire même d'intégrer la Ligue arabe dans le ÌQuartetÍ, est très bien accueillie par le président palestinien : ' C'est une très bonne idée. Bien entendu nous sommes d'accord. Parce que, sur le terrain, rien ne peut être fait sans l'assentiment des pays arabes voisins. Le plan arabe de paix (3), qui a été proposé par l'Arabie saoudite à Beyrouth, a été accepté par les 21 pays de la Ligue arabe. Et nous sommes le 22e. Même la Libye a fini par l'accepter. Il y aura un sommet arabe d'ici un mois, après le retour de Washington du président Moubarak et du roi Abdallah. '
Quand on demande à Yasser Arafat quelle est la décision la plus importante qu'il ait jamais eue à prendre dans sa vie, la réponse vient, sans la moindre hésitation : ' Cela a été de signer, en 1993, Ìla paix des bravesÍ avec mon partenaire, mon ami Yitzhak Rabin. C'était une décision importante non seulement pour le peuple israélien et le peuple palestinien, mais pour toute la région et pour le monde entier car c'est le seul moyen de mettre fin au conflit. '
Pense-t-il qu'après tant de morts et de souffrances - ' plus de quatre mille morts en tout, Palestiniens et Israéliens, et plus de 70 000 blessés et estropiés depuis trois ans d'Intifada ' -, il soit encore possible d'établir des relations de bon voisinage, peut-être même d'amitié entre les peuples de l'État d'Israël et de l'État de Palestine ? Est-ce qu'on pourra pardonner, oublier tout le sang versé ? Oublier la peur de l'autre ?
' Bien sûr, c'est possible. Nous aurons des relations d'amitié comme j'en ai eu dans le passé avec Yitzhak Rabin ', dit Yasser Arafat.
Mais Rabin n'est plus là, et il y a Sharon...
Source : L'humanité