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Houria Bouteldja, une « indigène » de la République

Rédigé par | Vendredi 6 Mai 2005 à 00:00

           

Houria appelle à manifester ce dimanche 8 mai 2005 à Paris. Déjà investie dans le collectif Les Blédardes, Houria Bouteldja, 31 ans, est aussi à l’initiative de l’appel des « Indigènes de la République ». Les assises de l’anticolonialisme auxquelles elle avait pris une part active ont été reportées à la fin juin 2005. Mais elle poursuit son combat contre ce qu’elle nomme le « continuum colonial ». Entretien avec une « indigène » engagée qui veut donner la parole aux victimes des discriminations.



 


SaphirNet.info : D’où vient l’idée de cet appel que vous lancez ?


 


Houria Bouteldja : Elle vient d’une atmosphère particulière qui est celle de l’après  11 septembre, de la campagne présidentielle entièrement axée sur la sécurité. Ce qui a désigné les populations vivant dans les « banlieues » comme étant la source de cette insécurité. Puis aussi du débat islamophobe sur l’affaire du voile. Il y a eu cette affaire du RER D où une jeune fille a accusé des Arabes et des Noirs d’avoir été xénophobes. Ce qui était totalement faux. Mais ces accusations ont été abondamment relayées par les médias. Et lorsqu’on a interrogé cette jeune fille pour savoir pourquoi elle avait précisément menti sur les Arabes et les Noirs, elle a répondu : « c’est toujours eux qu’on accuse à la télé. » On a là l’exemple du produit de l’idéologie ambiante qui accuse les Arabes, les Noirs, les populations de la banlieue d’une manière générale.


 


D’après ce que vous dites, ces sont les médias qu’il faudrait amener à changer leur traitement de l’information.


 


Houria Bouteldja : Non, pas exactement. Les médias font certes partie des cibles de notre appel. Mais il y a quand même un système issu de l’histoire coloniale et de l’histoire de l’esclavage. Ce sont des éléments qui structurent ce qui existe et qui font dire des choses inacceptables à des hommes politiques sur les Noirs et des Arabes. Cette histoire détermine encore aujourd’hui certains rapports sociaux. Le fonctionnement des institutions, le fonctionnement de la politique, le fonctionnement de l’administration font partie de tout un système qui dépasse le seul cadre des médias. Et notre appel s’adresse à l’ensemble de ce système de valeurs de la République. Il y a des valeurs positives et des valeurs négatives. L’esclavage et la colonisation sont des valeurs négatives.


 


Sur le terrain comment ressentez-vous ce que vous dénoncez ?


 


Houria Boutelja : Ce sont des discriminations au quotidien. C’est le racisme à l’embauche. C’est le discours racisant et essentialisant dans les médias. Ces sont aussi des lois ethniques comme la loi sur les insignes religieux qui n’est faite que pour les filles musulmanes. C’est aussi la loi du 23 février dernier qui demande aux enseignements d’enseigner une histoire positive de la colonisation…


 


Est-ce donc un appel contre certaines lois précises ? Parce qu’on se demande par exemple, si vous avez une lettre à écrire, l’adresseriez vous au Parlement ou au gouvernement ?


 


Houria Bouteldja : Ce serait une lettre à tout le monde. Une lettre à l’ensemble de la société française parce que notre appel n’est pas destiné à une catégorie de personnes. Il ne s’adresse pas à une catégorie de politiques. Il s’adresse à tout le monde.


 


Dans « le mal être arabe », Dominique Vidal et Karim Bourtel fournissent des éléments pour comprendre votre mouvement. Et on se demande finalement : quel est le profil d’un « indigène de la République »?


 


Houria Bouteldja : Il n’y a pas un profile spécifique de l’indigène. Mais ce qui caractérise l’indigène, c’est son affiliation historique. On ne peut pas le définir par sa religion. On ne peut pas le définir par sa nationalité d’origine. Nous nous définissons par notre affiliation à la République. C’est ainsi que nous pouvons travailler avec des Africains, des Antillais, des Maghrébins et des anticolonialistes français. Ce qui nous rassemble c’est notre rapport à l’histoire de la République : le rapport de l’esclavage et de la colonisation qui perdure aujourd’hui.


 


C’est un peu dur de dire que l’esclavage continue aujourd’hui.


 


Houria Bouteldja : Nous disons qu’il y a un continuum colonial. Nous ne vivons pas légalement une situation d’esclavage. Mais vous serez d’accord avec moi pour dire que la situation des Noirs aux Etats-Unis est déterminée par l’histoire de l’esclavage, sinon aujourd’hui, quatre cents ans plus tard, les Noirs ne seraient pas au plus bas de la société. C’est que le système américain a compris l’esclavage dans ses institutions. Et s’en débarrasser ne se fait pas du jour au lendemain. Car ce sont forcément des images et des représentations.


 


Vous voyez un parallèle entre les deux systèmes ?


 


Houria Bouteldja : Il y a un air de famille. En France, nous avons la nationalité française, nous avons des droits, ça c’est évident. Mais en revanche, nous ne sommes pas traités de la même manière.


 


Ce dimanche, comment se prépare la manif ?


 


Houria Bouteldja : Je ne m’avance pas trop pour le moment parce que nous sommes partis d’un petit groupe. Il n’y a pas de grande association derrière nous. Mais nous avons eu de très bons échos à notre appel. Nous avons suscité pas mal de débats à Toulouse, à Lille, à Lyon, à Marseille même en Belgique. Mais pour cette marche de dimanche, je serais incapable de vous avancer un nombre de personnes que nous attendons.


 


Comment expliquez-vous que de grosses associations comme le Mrap n’aient pas signé votre appel ?


 


Houria Bouteldja : Le Mrap n’a pas signé l’appel, mais il a publié un communiqué de soutien à notre appel.


 


A quoi peut-on s’attendre dans l’après-manif ?


 


Houria Bouteldja : Suite à la manif, nous tiendrons les « assises de l’anticolonialisme » qui étaient prévues le 16 avril dernier. Mais la salle nous a été retirée au dernier moment. Nous les avons donc reportées en fin juin. Nous prendrons les dispositions pour éviter ce qui s’est déjà produit. Et, durant ces assises,  nous comptons faire la démonstration de notre continuum colonial. Nous envisagerons les diverses perspectives de notre combat. Et il nous importe de marquer notre rupture avec le paternalisme traditionnel des associations antiracistes afin que les victimes des discriminations se prennent en charge elles-mêmes.


 


Il y a ce débat sur ce qu’on nomme le « racisme anti-Blancs » en France. Cela a l’effet d’interroger sur la participation à votre mouvement. 


 


Houria Bouteldja : Ce débat sur le « racisme anti-Blancs » est une grosse imposture. Il est vrai qu’il y a des attitudes racistes qui traversent certains membres de la communauté maghrébine. Mais le problème est qu’on veut le traiter sur le même plan que le racisme anti-Noirs et anti-Arabes ambiant. Or ce dernier est un système idéologique fondé sur l’histoire de l’esclavage et du colonialisme tandis que les attitudes racistes qui traversent les communautés africaines et maghrébines ne sont pas fondées sur une idéologie. Ce sont des racismes qui ne produisent pas de discrimination envers les Blancs par exemple. On ne peut donc pas les placer sur le même plan. C’est là qu’il y a imposture.


 


Propos recueillis par Amara BAMBA



Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de... En savoir plus sur cet auteur


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