« Si ça continue comme ça, je vais faire mon sacrifice au pays» fulmine le sexagénaire musulman, originaire d’Afrique Noire, installé en France depuis plus de trente ans. Dans le pays de son enfance, la « Tabaski » est la plus populaire des fêtes musulmanes. L’Imam de Meaux, M. Hadj Hadj tient des propos similaires aux fidèles de sa mosquée : « Ce n’est pas un boycott, explique-t-il, mais un conseil : en cas de doute sur le respect du rite lors de l’abattage, un musulman peut faire don du prix de son mouton à des pauvres ou à une association islamique ». L’Aïd El Kébir, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, pose problème aux musulmans de l’Hexagone.
En Souvenir d’Abraham
La fête islamique dite « du mouton » est une fête traditionnelle musulmane fondée sur la tradition biblique du Sacrifice d’Abraham. Si elle ne constitue pas une obligation comparable à la Salat ou au pèlerinage à la Mecque, elle demeure une pratique religieuse vivement recommandée par le Prophète de l’Islam. Dotée d’un symbole fort cette fête a été structurée dans un rituel clair et précis que le Prophète a observé durant sa vie de même que ses compagnons et toute la communauté musulmane.
Plus que la fête du sacrifice du mouton, l’Aïd el Kébir est la fête du souvenir. Souvenir d’Abraham, le Père des croyants. Souvenir d’un exemple de foi et d’obéissance à la foi en Dieu. Le Coran informe qu’Abraham reçut l’intuition d’un ordre divin l’enjoignant à sacrifier son fils unique, Ismaël. Bravant le doute qui accompagne toute intuition de ce type, le Saint Prophète exposa son inspiration à son fils qui accepta la décision dès lors qu’elle venait de Dieu. Au moment de s’exécuter, Dieu dans Sa Miséricorde, se manifesta à Son serviteur en retenant sa main et en substituant un bélier au fils.
Cette histoire que rapportent les écritures juives, chrétiennes et musulmanes est riche du double symbole de la fidélité à Dieu et de la fidélité au père. Ainsi l’Aïd El Adha témoigne-t-elle de la confiance d’un père en Dieu et de la confiance d’un enfant en son père.
Une Fête Internationale
La célébration a lieu une fois l’an, 70 jours après la fin du mois de Ramadhan. Elle coïncide avec la fin du pèlerinage à la Mecque qui comporte en lui-même de nombreux rites commémoratifs. Ce jour là, le musulman renouvelle le geste d’Abraham, de préférence avec un bélier sinon un autre animal autorisé par le rite (ovin, caprin, camélidé ou bovin). L’animal ne doit par porter d’infirmité. Il ne doit être ni trop jeune ni trop vieux. Il ne doit être ni malade ni gravement amaigri. La tradition recommande un animal mâle si possible. Ce mercredi 12 février correspondant au 10 Dhol Qidah, à la Mecque, en France comme dans tous les pays du monde entier, les musulmans répéteront ce geste à la fin de raviver le souvenir du Père du Monothéisme.
La communauté musulmane française forte de ses cinq millions d’adeptes doit cependant se conformer aux dispositions du Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et des Affaires Rurales. Dans une circulaire conjointe adressée aux préfets en date du 13 novembre 2002, le Ministre de l’Agriculture M. Hervé Gaymard et le Ministre de l’Intérieur M. Nicolas Sarkozy, donnent leurs consignes permettant de « concilier l’attachement des musulmans à l’accomplissement de ce rite avec les dispositions réglementaires en matière de santé publique, de protection animale et de respect de l’environnement ».
La Fête du 'Mouton 'Sans Mouton
La loi stipule que l’abattage ne soit pratiqué que dans certains lieux agréés par le Ministère de l’Agriculture, et par des personnes bénéficiant d’une habilitation. Ces dispositions ordinaires, valables pour tous, se sont avérées inaptes à satisfaire la demande de milliers de fidèles les jours de l’Aïd El Kébir. Au point que le ministère avait pris l’habitude, malgré les protestations des 'amis des bêtes', de publier une liste de « sites dérogatoires » en cette période. Des dispositions qui, présentées comme une faveur n’ont jamais pu véritablement résorber le flux des milliers de fidèles désireux de reproduire personnellement le geste d’Abraham. Les moins prévoyants et les plus téméraires des musulmans se sont parfois aventurés ou dans son jardin privé, ou dans un parc public, le 'système D' était encore à l’ordre du jour. D’où, cette histoire mille fois racontée du musulman français qui reproduit le geste d’Abraham dans sa salle de bain, au-dessus de la baignoire ! Il ne fait de doute que seuls le désespoir et le manque d’infrastructures peuvent motiver de telles initiatives.
En 2002, prenant prétexte de l’épidémie de fièvre aphteuse, les pouvoirs ont fermé les sites dérogatoires. De nombreuses familles musulmanes furent privées de fête. A cette occasion, certains élus se sont découverts des vocations d’Imam en invitant les croyants à faire don du prix de leur mouton à un pauvre, comme le permet la tradition. Le 2 février 2003, en écrivant dans un communiqué de presse que « les sites anciennement dénommés dérogatoires sont désormais interdits », le Ministre de l’Agriculture et le Ministre de l’Intérieur reconduisent explicitement cette mesure qui pénalise de nombreuses agglomérations ne disposant pas d’abattoir. La nouvelle a secoué les associations islamiques.
'L’Etat se Moque de Nous'
En apprenant la fermeture des sites dérogatoires, M. Khalil Merroun, recteur de la mosquée d'Evry-Courcouronnes s’était insurgé l’an dernier : « L'Etat se moque de nous depuis des années avec des sites dérogatoires sans se pencher sur le vrai problème des abattoirs officiels. Ce principe d'interdiction totale nous plonge vingt ans en arrière avec toutes les dérives que cela peut engendrer ».
Dans l’Oise, une dizaine d’associations milite depuis une semaine pour le « boycott ». Avec une prévision de 80 à 120 000 têtes de bêtes à abattre, à des prix allant de 122 à 244 € (sans compter les frais d’abattage et les frais de transport), ce boycott s’il devait se généraliser, ne laisserait pas longtemps tous les porte-monnaie indifférents.
D’autres associations sont mobilisées depuis de longues années contre la pratique d’abattage durant l’Aïd El Kébir. En faisant constater par des huissiers, en témoignant de scènes d’abattage images vidéos à l’appui, en portant plainte officiellement contre l’Etat français (devant la Commission Européenne), la Protection Mondiale des Animaux de Ferme (PMAF), la SPA et quelques lobbies de la « protection des animaux » ont largement motivé la décision des politiques.
A quelques jours de cette première occasion de culte à caractère national, le silence du tout nouveau Conseil Français du Culte Musulman pèse bien lourd.