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Points de vue

La révolution Chomskyienne

Rédigé par Fékih Ryadh | Lundi 2 Décembre 2002 à 00:00

           

Qui est cet homme qui ose s'opposer, de l'intérieur, à la première hyper-puissance mondiale ? Quid de ses motivations ? Et de son audience ?



Qui est cet homme qui ose s'opposer, de l'intérieur, à la première hyper-puissance mondiale ? Quid de ses motivations ? Et de son audience ?


Avram Noam Chomsky a commencé sa carrière universitaire comme un brillant linguiste. Il a étudié les analyses syntaxiques de ses collègues structuralistes, dans le dessein de faire apparaître les fondements logiques et mathématiques du langage. Cette étude a abouti à un ouvrage de référence, publié en 1957, ''Structures syntaxiques'', qui marque le début de ce qui sera appelé la 'révolution chomskyienne' en linguistique. L'auteur y formule pour la première fois les lois d'une grammaire générative et transformationnelle, qui se fonde sur une théorie globale du langage, en rupture, sur de nombreux points, avec les conceptions de la linguistique structurale. Cette approche a été approfondie dans ''Aspects de la théorie syntaxique'' (1965), qui a fourni les bases théoriques de ce qu'il appelle sa 'théorie standard étendue'. L'œuvre linguistique de Chomsky, remarquable de clarté, a exercé une influence déterminante, qui dépasse le cadre de la linguistique pour atteindre la philosophie, la psychologie et plus généralement l'ensemble des sciences humaines.

 

Un intellectuel engagé

L'universitaire juif américain, qui enseigne aujourd'hui au Massachusetts Institute of Technology, est plus connu, cependant, du grand public pour ses interventions sur le terrain politique. Ses prises de position ouvertement anti-américaines, anti-israéliennes et anti-impérialistes lui ont valu l'admiration d'un grand nombre de lecteurs à travers le monde, mais aussi l'inimitié des élites intellectuelles et politiques, aussi bien américaines qu'européennes, qui lui reprochent notamment son ''extrémisme'' et son ''anti-sémitisme'' : deux accusations qu'il a souvent eu l'occasion de réfuter dans ses interventions publiques et ses contributions dans les médias.

 

Né à Philadelphie, en 1928, dans une famille de la petite bourgeoisie juive, Chomsky a fréquenté, pendant son adolescence, les milieux anarchistes de New York dont il a reçu l'influence déterminante. Au cours des années 60, il s'est fait d'abord remarquer par son opposition à la Guerre du Vietnam. Il a poursuivi, depuis, avec vigilance, une forte et imposante critique de la politique étrangère américaine. Ses écrits politiques les plus célèbres sont L'Amérique et ses nouveaux mandarin (1969), Economie politique des droits de l'homme (1981), Langage et politique (1989), L'an 501. La conquête continue (1995), Les dessous de la politique de l'Oncle Sam (1996), Les responsabilités des intellectuels (1998), Le nouvel humanisme militaire (2000), De la guerre comme politique étrangère des Etats-Unis (2000), et le tout dernier, 11/9, autopsie des terrorismes, dont la traduction française est parue aux éditions Le Serpent à plumes.

 

Un nouveau totalitarisme

Dans ses ouvrages, publiés pour la plupart par de petits éditeurs, Chomsky analyse la politique américaine contemporaine, mais surtout l'idéologie et le rôle des intellectuels et des médias dans les démocraties occidentales. Selon lui, le développement moderne du capitalisme voit l'ensemble des systèmes politiques, économiques et idéologiques progressivement envahis et pris en charge par ces 'vastes institutions de tyrannie privée' dont les entreprises, les corporations transnationales, les banques, les systèmes monétaires et financiers fournissent les modèles les plus achevés et les plus inquiétants. Construites de manière hiérarchique, échappant progressivement à tout contrôle démocratique, ces institutions sont nées, selon lui, du même sol que le fascisme ou le bolchevisme, ces autres manifestations contemporaines du totalitarisme. Elles étendent partout leurs tentacules et se livrent à une propagande intensive.


Fidèle à l'idéal anarchiste de sa jeunesse, l'écrivain s'emploie à traquer ces structures de domination, à analyser leurs modes d'action, à démontrer leur illégitimité et à inviter à les combattre. L'anarchisme serait alors, selon lui, cette tendance, présente dans toute l'histoire de la pensée et de l'action humaine, qui cherche à identifier ces structures coercitives, autoritaires et hiérarchiques pour les examiner et mettre à l'épreuve leur légitimité.


Par son travail critique, extrêmement riche et abondant, Chomsky est l'un des observateurs du monde contemporain les plus précieux et les mieux informés. Des menées impérialistes des Etats-Unis aux ententes de libre-échange en passant par l'action des corporations transnationales, le rôle des organismes comme le FMI ou la Banque Mondiale, les véritables desseins de la globalisation ou l'injustice infligée au peuple palestinien, aucune dimension de la vie politique et économique mondiale des quarante dernières années n'a échappé à son regard critique.

 

L'auteur de 11/9, autopsie des terrorismes s'est intéressé de très près également au rôle des médias dans la ''fabrication'' des consentements dans les sociétés démocratiques. Selon lui, les médias parviennent à réaliser leur dessein en exerçant un contrôle sur les esprits par des moyens non-violents. Il a examiné également les formes contemporaines de la propagande et s'est efforcé de mettre à jour les mécanismes de contrôle de la pensée qui s'y exercent et d'indiquer les possibilités de les contrer, notamment dans son ouvrage Media Control, paru en 1997, traduit en français sous le titre Propaganda (éditions du Félin/Danger public, Paris 2002).

Pour une autre mondialisation
Invité, le 31 janvier dernier, à participer à un séminaire intitulé 'Un monde sans guerre est possible', organisé en marge du sommet anti-mondialisation de Porto Alegre, au Brésil, Chomsky a déclaré, au cours d'une conférence de presse, qu'il n'est pas ' contre la mondialisation ', mais qu'il se veut, au contraire, le partisan d'une ' vraie mondialisation ', celle de la justice sociale. ' Les multinationales sont les vraies ''antimondialisation'' ', a-t-il lancé en souriant à la centaine de journalistes présents. Fidèle à lui-même, il a aussi pourfendu ces ' institutions illégitimes qui détiennent les pouvoirs économiques ', avant de vitupérer aussi bien l'Administration Bush que celle de Clinton. Pour lui, nous serions engagés dans ' une guerre des classes à l'échelle internationale '. Une guerre qui serait ' idéologique '. Il a aussi dénoncé l'exploitation des attentats du 11 Septembre : ' Les pouvoirs qui dirigent le monde se servent de cet évènement atroce pour imposer encore davantage leur agenda, alors que les peuples du monde n'ont qu'à accepter leurs choix. Ils appellent cela ''leadership dans un monde fragile''. Il ne faut pas se laisser intimider. Il faut continuer la lutte contre l'OMC, contre la campagne antiterroriste américaine et contre la militarisation de l'espace par Bush. '

Ainsi sont les Américains, tels que les décrit Chomsky :


- Ils bombardent le Vietnam du Sud pour défendre le Vietnam du Sud contre quelqu'un, en l'occurrence les Sud-Vietnamiens, étant donné qu'il n'y avait là personne d'autre. C'est ce que les intellectuels de Kennedy ont nommé la défense du Vietnam du Sud contre une ' agression intérieure '. Cette même théorie a été ressortie pour justifier les bombardements du Laos en 1968, du Cambodge en 1969, de l'Irak en 1991, du Kosovo en 2000, de l'Afghanistan en 2001.


- Ils préfèrent passer sous silence les crimes perpétrés avec leur complicité, crimes qu'ils pourraient pourtant chercher à arrêter, notamment au Nicaragua, au Chili ou en Argentine (pour n'en citer que quelques-uns ), à l'époque où ces pays étaient gouvernés par des dictatures militaires alliées des Etats-Unis, et adopter d'héroïques postures face aux crimes commis par leurs ennemis, Saddam Husseïn par exemple.


- Ils prétendent vouloir faire régner l'ordre dans le monde, mais n'hésitent pas à porter un coup au système de sécurité international fondé sur la charte des Nations Unies, notamment en rejetant les décisions de la Cour internationale de justice et en opposant leur véto aux résolutions du Conseil de Sécurité à chaque fois que cela leur semble nécessaire pour la sauvegarde de leurs intérêts.

 
-Ils réduisent de manière drastique leur aide extérieure, au point de disparaître pratiquement de la liste des donateurs en faveur des pays pauvres, et se croient (sincèrement) adulés pour leur altruisme sans précédent historique.


Madeleine Albright, encore elle, résume cette imperturbable confiance que les Etats-Unis ont en leur mission quasi-divine, en une phrase touchante de naïveté (ou révoltante de cynisme) : ' The United States is good ' (Les Etats-Unis sont bons. Nous essayons de faire partout de notre mieux '. Amen !





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