La France est à nouveau mise à l’index à Abidjan. Des dignitaires proches du pouvoir et des dirigeants des Forces nouvelles accusent Paris d’agir avec partialité dans le conflit ivoirien. Tout commence dans la nuit de dimanche à lundi. Dans le village de Gohitafla, situé dans la zone tampon qui sépare le pays entre Nord et Sud, les positions des forces françaises sont attaquées. Les assaillants sont des membres des Forces Nouvelles qui tiennent la moitié Nord du pays depuis la révolte armée du 19 septembre 2002.
Tout le monde accuse la France
Les ex-rebelles des Forces nouvelles (FN) rejettent toute responsabilité dans l’attaque de la nuit de dimanche à lundi. Selon le Colonel Bakayoko des Forces Nouvelles, ' l'attaque de Gohitafla a été commise par des éléments irréguliers venus de Konahiri. ' Le lundi, quelques centaines de manifestants se sont rassemblés devant l’ambassade de France à Abidjan. Ils ont accusé la France de soutenir les Forces Nouvelles. Le vendredi, l’épouse du Président ivoirien, qui préside aussi le groupe parlementaire du Front populaire ivoirien (parti au pouvoir), avait accusé la France d’être ' complice des rebelles '.
Dans l’après-midi de lundi, les forces loyalistes ont attaqué le cortège du sergent-chef Chérif Ousmane lors d’un raid héliporté. Dans un communiqué de presse publié hier, les Forces nouvelles accusent les soldats français d’avoir servis d’éclaireurs aux forces loyalistes. Le communiqué cite le sergent-chef Ousmane : ' C’est après avoir fini de donner des consignes aux commandants des secteurs que j’ai vu arriver deux hélicoptères français survolant nos positions. Je leur ai même fait un signe de la main pour leur signaler notre présence. Environ une minute après leur passage, un MI-24 est arrivé et a aussitôt commencé à bombarder '. Le communiqué rappelle d'autres occasions où les Forces nouvelles ont essuyé des attaques des forces loyalistes à la suite d’opérations menées par les Forces de maintient de la paix dans leurs secteurs.
Accusé par les deux partis, la France n’a pas le rôle le plus facile dans la recherche de solution de la crise ivoirienne. Les manifestants de lundi ont mis le feu à des amas de pneus. Les gendarmes français, postés sur le toit de l’ambassade ont tiré des grenades lacrymogènes. Quelques manifestant s’en sont pris aux conducteurs de voitures d’immatriculations étrangères. Ces agressions n'ont pas fait de blessés. Par mesure de sécurité, les écoles françaises ont été fermées toute la journée de mardi. Même précaution du côté de l’Ambassade des Etats Unis où le Président ivoirien est actuellement en visite officielle depuis dimanche. Plusieurs dizaines de véhicules de la Mission des Nations unies en Côte d'Ivoire ont été saccagés par la foule.
' L’ivoirité ' est le vrai mal des ivoiriens
Longtemps considérée comme un exemple de décolonisation réussie, la Côte d`Ivoire est entrée dans une ère d’instabilité depuis le décès du président Félix Houphouet Boigny en décembre 1993. La présidence de M. Konan Bédié, successeur de M. Houphouet est marquée par une série d’échecs généralisés. Une rude récession économique conjuguée avec l’insécurité sociale et l’immaturité politique de cette jeune démocratie ont permis l’émergence et le développement du concept de ' l’ivoirité '. Un large pan de la population ivoirienne, originaire du Nord du pays, de confession musulmane, devint alors l’objet de discrimination ouverte. Contre ces populations du Nord de la Côte d’Ivoire, les ' Dioula ', toutes sortes d’exactions et d’humiliation furent alors admises : Refus de nationalité, destructions de papiers d’identités, rafles musclées, licenciements, expropriation, assassinats… Le tout dans l’impunité totale. ' Jamais un Dioula, un Musulman, ne gouvernera ce pays ' a-t-on pu entendre de responsables politiques. C’est dans ce contexte que M. Gbagbo Laurent accède au pouvoir. Pourtant militant socialiste de longue date, mais M. Gbagbo surfera sur le principe de l’ivoirité afin d’éliminer M. Abdoulaye Ouattara, originaire du Nord, aux élections présidentielles. La raison évoquée est la ' nationalité douteuse '. M. Ouattara avait déjà été Premier ministre de Côte d’Ivoire.
La paix de Marcoussi reste impossible
Le soulèvement du 19 septembre 2002, par son ampleur, son déroulement n’a rien d’un soulèvement populaire. Cette nuit-là, des hommes armées font irruption dans certains lieux symboliques d’Abidjan. Des lieux qui, selon eux, sont ' des lieux où des gens du Nord ont été torturés, violés, tués. ' Ils font feu et ils se retirent sans être inquiétés. Ils éliminent aussi de manière très ciblée des ministres qu’ils considèrent à l’origine de ces exactions contre les ' Dioula '. Puis certains se fondent dans la population pendant que d’autres se dirigent vers la ville de Bouaké d’où ils annoncent leur rébellion contre le pouvoir de M. Gbagbo Laurent et la politique de ' l’ivoirité '.
La France a réussi à parrainer les efforts des protagonistes pour sortir de la crise. Les armes ont laissé le devant de la scène à la discussion politique depuis la signature des accords de Marcoussi en janvier 2003. Le Front populaire ivoirien au pouvoir a signé les accords mais, la semaine qui suivit cette signature, le parti du président Gbagbo n’a cessé de remettre en cause d’abord ' l’esprit ' puis explicitement certaines clauses de l’accord jugées contraires à la constitution ivoirienne. Mais l’opposition ivoirienne, dans sa majorité, les Forces Nouvelles, la France ainsi que les organisations internationales africaines et mondiales, continuent de d’exiger l’application des accords de Marcoussi comme préalable indispensable au retour de la paix en Côte d’Ivoire. Dans le cadre de l’opération Licorne, 4 500 soldats français sont présents sur le sol ivoirien. Au mois de juillet, ils seront rejoints par 6000 soldats de l'ONU.