Le professeur Mohammed Arkoun, né en 1928 à Taourirt-Mimoun, petit village près de Tizi-Ouzou, en Algérie, islamologue de renom, grand spécialiste de l’histoire de la pensée musulmane, est décédé.
C’est une grande perte. Intellectuel hors pair, figure de proue d’un courant, controversé, celui du rationalisme en islam. Franco-Algérien, il recherchait en permanence à rapprocher les cultures et les mondes. Son souci était la modernisation de la tradition islamique et la réforme des systèmes de pensée.
Nous dialoguions souvent sur les sujets philosophiques sensibles liés à la civilisation musulmane. Notre souci commun était de rationnaliser les approches et d’éveiller les consciences. Par-delà le fond éthique et scientifique commun, celui de l’honnêteté et du respect du droit à la différence, des nuances naturelles étaient parfois perceptibles dans nos approches respectives. Il mettait surtout l’accent sur les outils des sciences humaines et sociales, comme l’anthropologie appliquée, conçus en Occident, pour, disait-il, objectivement déconstruire les faits islamiques. Je lui précisais que je m’attachais à l’articulation entre authenticité et progrès. Chacun à sa manière, et à partir de nos convictions propres, on avait tous deux le souci de mettre en valeur l’humanisme musulman, d’humaniser nos sociétés et les rapports entre les mondes.
Il était profondément déçu de l’évolution du monde arabe, mais ne désespérait pas de le voir s’inscrire dans le progrès s’il révolutionnait le système éducatif. À l’occasion des colloques organisés à travers le monde, on se croisait, et je ne cessais de lui dire que les citoyens musulmans continuaient à croire à la ligne médiane, ni occidentalisation ni extrémisme. Il m’entendait bien, mais considérait que la situation historique de ces sociétés s’était compliquée faute de libertés.
En tant qu’agrégé en langue arabe, après avoir étudié la littérature arabe, le droit, la philosophie à l’Université d’Alger dans les années 1950, il fut professeur émérite d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne. Il a enseigné l’islamologie appliquée, sous l’angle scientifico-historiciste. C’est une discipline qu’il a développée, durant quarante ans, et expliqué dans une vingtaine d’ouvrages, dont le plus récent et instructif est L’Humanisme en islam, republié à Alger, en 2008, aux éditions Barzakh. Ses ouvrages les plus connus sont La Pensée arabe (1975), Lectures du Coran (1982), Penser l’islam aujourd’hui (1993).
Il a sillonné le monde, invité par les plus grandes universités. Les concepts qu’il a développés sont nombreux, les plus décisifs sont deux en particulier : celui de l’impensé dans la culture islamique, c’est-à-dire, selon lui, ce que les institutions, les élites et les masses refusent souvent d’affronter, et le concept du corpus officiel clos, car il critiquait la fermeture précoce des portes de l’ijtihâd.
Mohammed Arkoun ne fut pas écouté par les forces dominantes en Occident, travaillées par l’ethnocentrisme et l’islamophobie. Pourtant, il était foncièrement séculier, intégrait le savoir occidental et critiquait la religion instrumentalisée et la croyance vécue comme idéologie.
En Orient, il était réfuté par tous les tenants de la tradition et les conservateurs, mais aussi par ceux qui jugeaient qu’il parlait de « l’extérieur de l’islam », alors que l’islam s’adresse à toute l’humanité.
Son souci était la scientificité, refusant d’entrer dans le débat relatif au mystère et à l’au-delà. Un immense quiproquo symbolisait son rapport difficile à l’intelligentsia arabe. Sont restés célèbres les joutes oratoires qu’il avait avec feu l’imam Mohammed Ghazali lors des séminaires de la pensée islamique en Algérie, organisés par le regretté Mouloud Kacim.
Mohammed Arkoun cherchait à développer une école de pensée qui étudie l’histoire du phénomène coranique mise en œuvre par différentes cultures. Il considérait que l’événement historique de la révélation qui se fixe dans un corpus méritait des recherches approfondies, afin de cerner le variable et l’invariable des normes. Il comparait les trois monothéismes dans leurs réalités sociales et productions intellectuelles pour tenter de produire de l’universel.
Contrairement à nombre d’intellectuels d’origine musulmane qui vivent en Europe et qui restent dans le superficiel et l’air du temps, Mohammed Arkoun était un grand savant rigoureux. Il se voulait un réformateur moderniste, un intellectuel indépendant, qui pense l’humanisme islamique en visant notre temps. Il a pratiqué avec passion une critique de la tradition et une critique des cultures de notre époque. Son œuvre a influencé nombre d’auteurs modernistes, notamment au Maghreb.
Malgré des divergences et des polémiques nombreuses, Arkoun restera une référence instructive pour comprendre comment le rapport Islam-Occident évolue dans la trame des combats idéologiques et intellectuels. Adieu l’ami !
* Mustapha Cherif est philosophe, professeur des universités et auteur d’ouvrages sur le vivre-ensemble et le dialogue des cultures.
C’est une grande perte. Intellectuel hors pair, figure de proue d’un courant, controversé, celui du rationalisme en islam. Franco-Algérien, il recherchait en permanence à rapprocher les cultures et les mondes. Son souci était la modernisation de la tradition islamique et la réforme des systèmes de pensée.
Nous dialoguions souvent sur les sujets philosophiques sensibles liés à la civilisation musulmane. Notre souci commun était de rationnaliser les approches et d’éveiller les consciences. Par-delà le fond éthique et scientifique commun, celui de l’honnêteté et du respect du droit à la différence, des nuances naturelles étaient parfois perceptibles dans nos approches respectives. Il mettait surtout l’accent sur les outils des sciences humaines et sociales, comme l’anthropologie appliquée, conçus en Occident, pour, disait-il, objectivement déconstruire les faits islamiques. Je lui précisais que je m’attachais à l’articulation entre authenticité et progrès. Chacun à sa manière, et à partir de nos convictions propres, on avait tous deux le souci de mettre en valeur l’humanisme musulman, d’humaniser nos sociétés et les rapports entre les mondes.
Il était profondément déçu de l’évolution du monde arabe, mais ne désespérait pas de le voir s’inscrire dans le progrès s’il révolutionnait le système éducatif. À l’occasion des colloques organisés à travers le monde, on se croisait, et je ne cessais de lui dire que les citoyens musulmans continuaient à croire à la ligne médiane, ni occidentalisation ni extrémisme. Il m’entendait bien, mais considérait que la situation historique de ces sociétés s’était compliquée faute de libertés.
En tant qu’agrégé en langue arabe, après avoir étudié la littérature arabe, le droit, la philosophie à l’Université d’Alger dans les années 1950, il fut professeur émérite d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne. Il a enseigné l’islamologie appliquée, sous l’angle scientifico-historiciste. C’est une discipline qu’il a développée, durant quarante ans, et expliqué dans une vingtaine d’ouvrages, dont le plus récent et instructif est L’Humanisme en islam, republié à Alger, en 2008, aux éditions Barzakh. Ses ouvrages les plus connus sont La Pensée arabe (1975), Lectures du Coran (1982), Penser l’islam aujourd’hui (1993).
Il a sillonné le monde, invité par les plus grandes universités. Les concepts qu’il a développés sont nombreux, les plus décisifs sont deux en particulier : celui de l’impensé dans la culture islamique, c’est-à-dire, selon lui, ce que les institutions, les élites et les masses refusent souvent d’affronter, et le concept du corpus officiel clos, car il critiquait la fermeture précoce des portes de l’ijtihâd.
Mohammed Arkoun ne fut pas écouté par les forces dominantes en Occident, travaillées par l’ethnocentrisme et l’islamophobie. Pourtant, il était foncièrement séculier, intégrait le savoir occidental et critiquait la religion instrumentalisée et la croyance vécue comme idéologie.
En Orient, il était réfuté par tous les tenants de la tradition et les conservateurs, mais aussi par ceux qui jugeaient qu’il parlait de « l’extérieur de l’islam », alors que l’islam s’adresse à toute l’humanité.
Son souci était la scientificité, refusant d’entrer dans le débat relatif au mystère et à l’au-delà. Un immense quiproquo symbolisait son rapport difficile à l’intelligentsia arabe. Sont restés célèbres les joutes oratoires qu’il avait avec feu l’imam Mohammed Ghazali lors des séminaires de la pensée islamique en Algérie, organisés par le regretté Mouloud Kacim.
Mohammed Arkoun cherchait à développer une école de pensée qui étudie l’histoire du phénomène coranique mise en œuvre par différentes cultures. Il considérait que l’événement historique de la révélation qui se fixe dans un corpus méritait des recherches approfondies, afin de cerner le variable et l’invariable des normes. Il comparait les trois monothéismes dans leurs réalités sociales et productions intellectuelles pour tenter de produire de l’universel.
Contrairement à nombre d’intellectuels d’origine musulmane qui vivent en Europe et qui restent dans le superficiel et l’air du temps, Mohammed Arkoun était un grand savant rigoureux. Il se voulait un réformateur moderniste, un intellectuel indépendant, qui pense l’humanisme islamique en visant notre temps. Il a pratiqué avec passion une critique de la tradition et une critique des cultures de notre époque. Son œuvre a influencé nombre d’auteurs modernistes, notamment au Maghreb.
Malgré des divergences et des polémiques nombreuses, Arkoun restera une référence instructive pour comprendre comment le rapport Islam-Occident évolue dans la trame des combats idéologiques et intellectuels. Adieu l’ami !
* Mustapha Cherif est philosophe, professeur des universités et auteur d’ouvrages sur le vivre-ensemble et le dialogue des cultures.