Au moins 17 personnes ont été tuées ce week-end dans des affrontements armés en Côte d'Ivoire. Ce bilan donné dimanche par Phillipe Mangou, chef de l'armée ivoirienne, résume une série d'actes de violence non encore expliqués à Agboville (à 56 Km d'Abidjan), à Ayama (banlieue d'Abidjan) et dans d'autres régions. A trois mois des élections présidentielles, opposition armée et parti au gouvernement se rejettent la responsabilité de cette entorse au processus de paix lancé par l'Onu sous la présidence du président sud-africain Tabo M'beki. Mais des voix proches du pouvoir accusent les forces françaises de l'opération Licorne.
Le « ministre de la rue » et le chef des rebelles
La ville d'Agboville a progressivement retrouvé son activité normale hier. Après un weekend de violences, quelques magasins ont pu rouvrir. Des chars de la force internationale de paix ont pris position dans la ville où des éléments armées, non encore identifiés, ont attaqué le commissariat tuant deux personnes. Cette attaque fut menée après que cinq gendarmes aient perdu la vie dans une attaque contre le commissariat de la localité d'Ayama, dans la banlieue d'Abidjan. Au moment où belligérants du conflit ivoirien ont trouvé un accord autour d'un processus de paix, chacun rejette la responsabilité des violences de ce weekend sur son adversaire. Selon ces accords de paix issus de discussion organisées par le Nations unies et dirigées par le président sud-africain Tabo Mbéki, les élections présidentielles doivent se tenir et le rebelles doivent déposer les armes.
Selon Charles Blé Goudé, leader du mouvement des Jeunes Patriotes et organisateur des manifestations antifrançaises du mois de novembre 2005, les attaques d'Ayama et d'Agboville sont de la responsabilité des forces rebelles. Dès dimanche soir, M. Blé Goudé s'en est pris aux forces françaises de l'opération Licorne: « Nous leur demandons de rester dans leurs casernes. S'ils sortent avec un seul véhicule de leurs casernes, les leaders des patriotes se désengagent de tout ce qui pourrait leur arriver », a déclaré le leader qualifié de « ministre de la rue » par ses adversaires. Il a ensuite demandé à ses partisants de « réactiver tous les groupes d'autodéfense de toutes les villes du pays pour empêcher la Licorne de circuler. »
De son côté, Guillaume Soro un des chefs politiques de la rebellion armée, dément toute implication de son mouvement dans les actes concernés. Il en met la responsabilité sur ses adversaires qu'il accuse de ne pas vouloir faire aboutir le processus de paix : « Je pense que ces événements sont une comédie mal ficelée », dit-il avant d'expliquer qu'il s'agit de « faire diversion auprès de la communauté internationale ...Nous ne voyons en rien le fondement stratégique d'aller attaquer les villes d'Agboville ou d'Anyama. » Auteur de « Pourquoi je suis devenu un rebelle » (Hachette Littérature, avril 2005), M. Soro fut d'abord un proche de Laurent Gbogbo contre lequel il dû prendre les armes. Son livre expose son cheminent et explique les raisons qui motivent sa lutte contre Gbagbo Laurent.
Les présidentielles ne sont pas menacées
Conformément aux accords de paix signés au mois d'avril à Prétoria (Afrique du Sud), les rebelles doivent déposer leurs armes et se faire enregistrer à partir du 31 juillet 2005. Ces accords autorisent désormais la candidature de Abdramane Ouattara aux élections présidentielles prévues le 30 octobre prochain. Selon un magistrat ivoirien proche du dossier et travaillant pour le compte des Nations unies « la constitution des listes électorale est la phase la plus délicate. Les listes électorales doivent être affichées trois mois avant la date des élections. Et les évènements de ce weekend, même s'ils ne mencaent pas le processus engagé, sont de nature à créer un effet psychologique néfaste auprès de la population. » De l'avis de M. Alain Lobognon, porte-parole des Forces Nouvelles, « Le processus de paix se poursuit, en ce qui concerne les Forces nouvelles. »
Pour les rebelles qui ont pris les armes le 19 septembre 2002 contre le pouvoir de Gbagbo Laurent, les élections démocratiques sont la voie de sortie de la crise. Laurent Gbagbo est parvenu à la tête de l'Etat ivoirien dans des consditions qui ont été très contestées puisque les adversaires sérieux dont M. Ouattara avaient été écartés sur la base du principe de « l'ivoirité ». Cette idéologie fut développée sous le pouvoir de l'ex-président Konan Bédié. Sa mise en oeuvre lui avait coûté son poste. Car 'l'ivoirité » ressemble à une version locale de la « préférence nationale » développée par l'extrême droite française. Cette idéologie a profondément affecté la cohésion nationale à laquelle la Côte d'Ivoire doit son évolution économique. Or, malgré son ancrage socialiste, le Front populaire ivoirien de M. Gbagbo a joué avec « l'ivoirité » pour parvenir au pouvoir. Ce choix a nourri la revolte en son sein. Les sondages ne lui accordent aucune chance de victoire en cas d'élections libres. Evoquer des raions de sécurité et déclarer l'état d'urgence est un argument dont le Président ivoiren peut user pour éviter les élections. Une démarches machiavélique que ses adversaires n'hésitent pas à évoquer pour expliquer les violences de ce weekend.