Halal, casher, végétarisme : la dame de la cantine a forcé mon enfant à manger de la viande
Rédigé par Dounia Bouzar le
Mardi 30 Novembre 2010
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Cela fait plusieurs fois que votre enfant rentre de l’école élémentaire tourmenté. En discutant avec lui, vous finissez par apprendre que la dame de la cantine lui demande régulièrement de goûter la viande proposée au menu. Cela perturbe profondément votre enfant qui a l’habitude de ne manger que de la viande halal ou casher.
QUE DIT LA LOI ?
Selon le droit international et la Convention européenne des droits de l’homme, le droit à la religion ne peut être limité que si une loi est votée par un État qui prouve que sa manifestation entrave l’ordre public et la liberté d’autrui. Concernant l’alimentation, aucune loi n’a été votée, donc le principe de liberté religieuse prime.
À une condition : que la pratique religieuse n’entrave pas les objectifs recherchés par les cadres légal et constitutionnel (et, notamment, pour ce qui nous intéresse, le principe de non-segmentation des citoyens en fonction de leur religion, de leur philosophie, de leur genre, etc.).
C’est là qu’il peut y avoir débat : un « retour d’expériences » se construit progressivement dans le milieu scolaire. Dans le contexte actuel, certaines écoles qui ont introduit de la nourriture ritualisée (viande casher ou halal) au sein des restaurants scolaires témoignent que cela a provoqué une certaine « segmentation » des élèves. Les enfants se séparent selon ce qu’ils mangent : une sorte de rapport de force existe parfois entre ceux qui se moquent de leurs camarades ne consommant ni porc (ni viande) et ces derniers qui, à leurs tour, rejettent ceux qui mangent « impur »… Personne ne respecte la liberté de conscience de l’autre.
Comment faire respecter la liberté de conscience fondamentale de votre enfant sans entraver le vivre-ensemble de l’école ?
MISE EN SITUATION
Vous obtenez un rendez-vous avec l’élu municipal chargé de la restauration scolaire, pour expliquer votre situation. La communication n’est pas facile, car l’élu vous répond immédiatement qu’il ne « cèdera pas à la surenchère » : « Maintenant que tous les services proposent un substitut pour remplacer le porc, voilà qu’une autre demande surgit, cela n’en finira donc jamais ! »
Calmement, vous lui rappelez que cette demande est effectivement nouvelle pour deux principales raisons :
• la génération de vos parents estimait être de passage et mettait parfois certains rituels entre parenthèses, le temps de leur immigration. Ils pensaient devoir être discrets afin de respecter « leurs hôtes », puisqu’ils n’étaient pas chez eux. Au contraire, vous estimez être ici chez vous et ne voyez pas pourquoi le droit ne s’appliquerait pas à toutes les religions de la même façon puisque vous êtes des citoyens comme les autres ;
• certains savants religieux disaient auparavant que les musulmans pouvaient manger la viande des « gens du Livre », autrement dit celle des juifs et des chrétiens, puisqu’il s’agit du même Dieu. Aujourd’hui, estimant que les abattoirs industriels ne sont plus tenus par des chrétiens pratiquants et que les abatteurs ne s’adressent plus à Dieu lorsqu’ils tuent les animaux, de nombreux savants prônent le refus de la viande non ritualisée.
Vous demandez alors le minimum : qu’au moins on n’oblige pas votre enfant à manger de la viande non ritualisée !
L’élu vous répond qu’« inciter les enfants à manger fait partie des missions du personnel », car un refus alimentaire peut révéler une dépression, un mal-être, une anorexie, une situation familiale douloureuse, etc. On doit donc traiter tous les enfants de la même façon : « Pas de communautarisme ici. »
ÉLÉMENTS DU DÉBAT
Du fait de son Histoire et de son système juridique laïque, on aurait pu s’attendre à ce que la France reconnaisse qu’un certain nombre de normes dites « neutres » sont en fait directement issues de l’Histoire chrétienne, et sont aujourd’hui devenues, sans qu’on le veuille, indirectement discriminatoires pour ceux qui ont d’autres références.
Cette reconnaissance n’a pas eu lieu et une partie des citoyens français n’a pas toujours conscience du poids de la religion chrétienne sur la construction des normes. Ils ont le sentiment que la « culture occidentale » a cessé d’être façonnée par le religieux, et que seul l’islam continue à être imperméable à la sécularisation.
Appréhender toute revendication sur la pratique musulmane comme du communautarisme repose sur le fait que l’islam est vécu comme une référence étrangère. C’est justement cela dont souffrent les musulmans nés en France, qui se considèrent ici chez eux.
On assiste à un véritable dialogue de sourds-muets. D’un côté, les décideurs politiques ont le sentiment que les musulmans « islamisent la France », en imposant leurs traditions et, de l’autre côté, prédomine le constat de ne pas être traités à égalité, au regard de la liberté de culte garantie par la République à tous ses citoyens.
Notons que la plupart des citoyens juifs pratiquants se sont finalement organisés en écoles privées. C’est pour cette raison que le débat de fond est ouvert pour la première fois par des musulmans qui souhaitent à la fois être en accord avec leur conscience et rester mélangés aux autres. Insistons sur ce point : ceux-là mêmes qui demandent des compromis refusent justement l’idée de s’organiser « entre eux ».
QUE FAIRE ?
Il s’agit de désamorcer le rapport de force, mais comment ? Repasser par la loi peut être efficace, en rappelant que la liberté de conscience fait partie des droits fondamentaux de l’être humain, au même titre que le droit à l’intégrité corporelle. Et insister sur le fait que, pour vous aussi, c’est important que votre enfant se mélange avec ceux qui ont une autre vision du monde.
Et d’ailleurs, il y a peut-être une solution de compromis qui contenterait tout le monde : en plus du repas traditionnel classique, la cantine pourrait proposer un repas sans viande. Cela permet de satisfaire les revendications de certains mouvements « écolos » (qui demandent des repas végétariens), des juifs et des musulmans pratiquants, des enfants qui ne pourraient absorber de viande pour cause de cholestérol…
Cette proposition de repas végétariens (avec poisson, œufs, fromages ou équivalent) permettrait à tous ceux qui ne mangent pas de viande de s’inscrire à la cantine pour prendre leur repas avec leurs camarades, sans qu’il soit question de religion à un moment ou à un autre.
Ce compromis correspond à la volonté de chercher « le plus petit dénominateur commun » entre les enfants. Il a l’avantage de permettre à tous de partager le même repas, de manger ensemble à la même table et de ne pas introduire de référence religieuse dans l’espace public, tout en respectant les différences de chacun.
QUE DIT LA LOI ?
Selon le droit international et la Convention européenne des droits de l’homme, le droit à la religion ne peut être limité que si une loi est votée par un État qui prouve que sa manifestation entrave l’ordre public et la liberté d’autrui. Concernant l’alimentation, aucune loi n’a été votée, donc le principe de liberté religieuse prime.
À une condition : que la pratique religieuse n’entrave pas les objectifs recherchés par les cadres légal et constitutionnel (et, notamment, pour ce qui nous intéresse, le principe de non-segmentation des citoyens en fonction de leur religion, de leur philosophie, de leur genre, etc.).
C’est là qu’il peut y avoir débat : un « retour d’expériences » se construit progressivement dans le milieu scolaire. Dans le contexte actuel, certaines écoles qui ont introduit de la nourriture ritualisée (viande casher ou halal) au sein des restaurants scolaires témoignent que cela a provoqué une certaine « segmentation » des élèves. Les enfants se séparent selon ce qu’ils mangent : une sorte de rapport de force existe parfois entre ceux qui se moquent de leurs camarades ne consommant ni porc (ni viande) et ces derniers qui, à leurs tour, rejettent ceux qui mangent « impur »… Personne ne respecte la liberté de conscience de l’autre.
Comment faire respecter la liberté de conscience fondamentale de votre enfant sans entraver le vivre-ensemble de l’école ?
MISE EN SITUATION
Vous obtenez un rendez-vous avec l’élu municipal chargé de la restauration scolaire, pour expliquer votre situation. La communication n’est pas facile, car l’élu vous répond immédiatement qu’il ne « cèdera pas à la surenchère » : « Maintenant que tous les services proposent un substitut pour remplacer le porc, voilà qu’une autre demande surgit, cela n’en finira donc jamais ! »
Calmement, vous lui rappelez que cette demande est effectivement nouvelle pour deux principales raisons :
• la génération de vos parents estimait être de passage et mettait parfois certains rituels entre parenthèses, le temps de leur immigration. Ils pensaient devoir être discrets afin de respecter « leurs hôtes », puisqu’ils n’étaient pas chez eux. Au contraire, vous estimez être ici chez vous et ne voyez pas pourquoi le droit ne s’appliquerait pas à toutes les religions de la même façon puisque vous êtes des citoyens comme les autres ;
• certains savants religieux disaient auparavant que les musulmans pouvaient manger la viande des « gens du Livre », autrement dit celle des juifs et des chrétiens, puisqu’il s’agit du même Dieu. Aujourd’hui, estimant que les abattoirs industriels ne sont plus tenus par des chrétiens pratiquants et que les abatteurs ne s’adressent plus à Dieu lorsqu’ils tuent les animaux, de nombreux savants prônent le refus de la viande non ritualisée.
Vous demandez alors le minimum : qu’au moins on n’oblige pas votre enfant à manger de la viande non ritualisée !
L’élu vous répond qu’« inciter les enfants à manger fait partie des missions du personnel », car un refus alimentaire peut révéler une dépression, un mal-être, une anorexie, une situation familiale douloureuse, etc. On doit donc traiter tous les enfants de la même façon : « Pas de communautarisme ici. »
ÉLÉMENTS DU DÉBAT
Du fait de son Histoire et de son système juridique laïque, on aurait pu s’attendre à ce que la France reconnaisse qu’un certain nombre de normes dites « neutres » sont en fait directement issues de l’Histoire chrétienne, et sont aujourd’hui devenues, sans qu’on le veuille, indirectement discriminatoires pour ceux qui ont d’autres références.
Cette reconnaissance n’a pas eu lieu et une partie des citoyens français n’a pas toujours conscience du poids de la religion chrétienne sur la construction des normes. Ils ont le sentiment que la « culture occidentale » a cessé d’être façonnée par le religieux, et que seul l’islam continue à être imperméable à la sécularisation.
Appréhender toute revendication sur la pratique musulmane comme du communautarisme repose sur le fait que l’islam est vécu comme une référence étrangère. C’est justement cela dont souffrent les musulmans nés en France, qui se considèrent ici chez eux.
On assiste à un véritable dialogue de sourds-muets. D’un côté, les décideurs politiques ont le sentiment que les musulmans « islamisent la France », en imposant leurs traditions et, de l’autre côté, prédomine le constat de ne pas être traités à égalité, au regard de la liberté de culte garantie par la République à tous ses citoyens.
Notons que la plupart des citoyens juifs pratiquants se sont finalement organisés en écoles privées. C’est pour cette raison que le débat de fond est ouvert pour la première fois par des musulmans qui souhaitent à la fois être en accord avec leur conscience et rester mélangés aux autres. Insistons sur ce point : ceux-là mêmes qui demandent des compromis refusent justement l’idée de s’organiser « entre eux ».
QUE FAIRE ?
Il s’agit de désamorcer le rapport de force, mais comment ? Repasser par la loi peut être efficace, en rappelant que la liberté de conscience fait partie des droits fondamentaux de l’être humain, au même titre que le droit à l’intégrité corporelle. Et insister sur le fait que, pour vous aussi, c’est important que votre enfant se mélange avec ceux qui ont une autre vision du monde.
Et d’ailleurs, il y a peut-être une solution de compromis qui contenterait tout le monde : en plus du repas traditionnel classique, la cantine pourrait proposer un repas sans viande. Cela permet de satisfaire les revendications de certains mouvements « écolos » (qui demandent des repas végétariens), des juifs et des musulmans pratiquants, des enfants qui ne pourraient absorber de viande pour cause de cholestérol…
Cette proposition de repas végétariens (avec poisson, œufs, fromages ou équivalent) permettrait à tous ceux qui ne mangent pas de viande de s’inscrire à la cantine pour prendre leur repas avec leurs camarades, sans qu’il soit question de religion à un moment ou à un autre.
Ce compromis correspond à la volonté de chercher « le plus petit dénominateur commun » entre les enfants. Il a l’avantage de permettre à tous de partager le même repas, de manger ensemble à la même table et de ne pas introduire de référence religieuse dans l’espace public, tout en respectant les différences de chacun.
Ma foi, le droit et moi, c'est quoi ?
Dounia Bouzar
Vous avez vécu une situation de discrimination liée à votre religion dite « minoritaire » (protestante, bouddhiste, juive, sikh, musulmane…), et souhaitez poser une question sur vos droits et devoirs ? N’hésitez pas à proposer votre cas.
Ancienne éducatrice, docteur en anthropologie, expert européen sur les discriminations, Dounia Bouzar est l’auteure de plusieurs ouvrages liés à des enquêtes de terrain s’intéressant aux musulmans.
Dernière parution : Laïcité, mode d’emploi (Éd. Eyrolles, 2010), explicitant les repères légaux, historiques et psychologiques qui permettent de gérer la diversité religieuse et de mettre en œuvre le principe de laïcité dans les services publics et les entreprises.
Pour Saphirnews, Dounia Bouzar reprend ces situations tirées de son ouvrage, mais ici du point de vue de l’usager ou du salarié.
Alors, n’hésitez pas à la contacter, elle répondra à vos questions (anonymat préservé) :
Ancienne éducatrice, docteur en anthropologie, expert européen sur les discriminations, Dounia Bouzar est l’auteure de plusieurs ouvrages liés à des enquêtes de terrain s’intéressant aux musulmans.
Dernière parution : Laïcité, mode d’emploi (Éd. Eyrolles, 2010), explicitant les repères légaux, historiques et psychologiques qui permettent de gérer la diversité religieuse et de mettre en œuvre le principe de laïcité dans les services publics et les entreprises.
Pour Saphirnews, Dounia Bouzar reprend ces situations tirées de son ouvrage, mais ici du point de vue de l’usager ou du salarié.
Alors, n’hésitez pas à la contacter, elle répondra à vos questions (anonymat préservé) :
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