Islamophobie comparée
Islamophobie comparée
Les murs de l’islamiquement correct se fissurent-ils ? Joachim Véliocas se lance dans l’islamophobie comparée.
Islamophobie européenne, islamophobie turque: deux mesures journalistiques
Il est communément admis dans la presse que l'islamophobie, à savoir la peur de l'islamisation, est un sentiment raciste et xénophobe, apanage de l'«extrême droite». Encore très récemment, François Bayrou a assimilé l'islamophobie au racisme dans une entrevue (1) avec le site Oumma.com, relais des frères Ramadan et de la librairie islamiste Tawid... Voici que la manifestation du 29 avril (suivant celle du 14 à Ankara) qui a rassemblé au moins 200 000 turcs dans les rues d’Istanbul, scandant des slogans invoquant la défense de la laïcité et fustigeant la charia, vient de mettre un peu de sable dans les mécaniques huilées du terrorisme intellectuel.
La presse de gauche est gênée et se creuse la tête pour présenter la situation turque de manière à ne pas à la fois «stigmatiser» l'islam et écorner l'image d'une mobilisation laïque populaire historique, à laquelle nulle conscience de gauche «made in 1905» ne saurait rester insensible... exercice difficile. Ainsi, un article (2) de Libération du 30 avril met entre guillemet la dénomination «islamiste» d'Abdullah Gul, le candidat de l'AKP à la présidence, comme pour conjurer le mot maléfique, forcément exagéré. Mais quelques lignes plus bas, les fameux guillemets, dont l'emploi est une manie pathologique au Monde et à Libération, disparaissent subitement pour qualifier pourtant la même réalité islamiste de l'AKP. Au Monde, on qualifie dans un article du même jour l'AKP de parti «islamo-conservateur», pour en faire de manière subliminale le pendant des partis conservateurs chrétiens européens... tout en qualifiant Erdogan d'«ancien militant islamiste» et l'ancien parti (le Refah Partisi) de Necmettin Erbakan (évincé par l'armée en 1997) dont est issu l'AKP de «pro-islamiste». On ne voit pas bien comment Abdullah Gul a pu passer du statut d'islamiste quand il était porte-parole du Refah Partisi, au statut «light» d'islamo-conservateur cinq ans plus tard. Si être conservateur c’est «comprendre la police» (propos tenus par Gul) lorsqu’elle lynche des femmes qui manifestaient un 8 mars 2004 devant les caméras du monde entier, alors on se demande jusqu’où iraient des islamistes ! On comprend mieux l'attitude du Monde quand on sait que la création de la nouvelle dénomination du camp islamiste en «démocrate-conservateur» a été forgée à des fins tactiques au lendemain de la victoire de novembre 2002 par... Abdullah Gul !
Aussi, on notera l'évolution du quotidien du soir qui en novembre 2002 qualifiait les membres de l'AKP d'islamistes modérés sans guillemets (3), pour en arriver à mars 2007 où les guillemets (4) entourent précautionneusement l'expression antinomique et passagèrement ridicule d'«islamistes modérés». Les journalistes du Monde ont entre temps lu les livres d'Alexandre del Valle, qui dénonça le premier cette incongruité sémantique, voilà qui va dans le bon sens.
Décidément, le métier de journaliste est difficile. Comment faire croire que les mosquées et organisations musulmanes françaises sont modérées alors que tous les partis islamiques étrangers soutenus par les mosquées et confréries de ces pays, du PJD et JB marocains à l'AKP turc en passant par l'Ikwan Égyptienne au Hezbollah libanais, sont islamistes, de manière communément admise ?
Les murs de l'islamiquement correct se fissurent. Comment ?! Il existerait des turcs islamophobes se revendiquant d'un Mustapha Kemal qui affirmait «L'islam, cette théologie absurde d'un bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies» ? Ceux-ci ne pouvant être ni racistes ni xénophobes car eux-mêmes turcs, cela voudrait dire que les islamophobes européens seraient éventuellement ni xénophobes ni racistes? Voilà qui ouvre des perspectives de débats intéressants pour les mois à venir... n'est-ce pas Monsieur Bayrou?
Joachim Véliocas Notes :