Les immigrés et leurs enfants issus de l’immigration sont confrontés à une situation difficile. Vivant dans son écrasante majorité dans des cités ghettos désertées par les infrastructures sociales, culturelles et de loisirs, elle est la première victime du racisme et de la discrimination, du chômage et de la mal-vie.
La frénésie sécuritaire qui s’est emparée de la classe politique en France à l’approche des élections présidentielles, conjuguée à une campagne médiatique sans précédent, distillant les amalgames les plus sournois entre l’immigration, l’islam, la violence et le terrorisme, a amplifié au sein de la société le sentiment d’insécurité et alimenté les discours d’exclusion et de rejet au point de faire basculer une partie de l’opinion française dans le giron de l’extrême droite raciste et xénophobe.
L’islam, deuxième religion de France par le nombre de ses pratiquants, reste confiné dans des lieux de culte inadaptés (sous-sols des cités où hangars et garages dans les villes) à cause de l’incompréhension et de l’hostilité d’un grand nombre de municipalités. Celles-ci s’opposent par des manœuvres dilatoires à l’édification de véritables mosquées dans leur localité où réside pourtant une importante communauté musulmane. Et quand des mosquées dignes de ce nom se construise elles sont rapidement transformées en SCI et deviennent la propriété personelle de “nouveaux marchands du Temple ” .
En fait comme toutes les autres grandes religions, l’islam a besoin de lieux de culte adaptés et dignes, et d’une instance représentative incontestée. Or, sur ces questions importantes, l’islam est dans une situation inégale par rapport aux autres religions.
Il faut une représentation démocratique de l’ensemble de la communauté musulmane, qui tienne compte de sa diversité et du poids de chacune de ses composantes ; le CFCM n’étant que l’expression administrative d’une nostalgie des « bureaux arabes ».
Pour que cette représentation soit crédible et incontestée, les pouvoirs publics doivent assurer l’expression libre et sereine de la majorité, dans le cadre d’un débat transparent, pour que les musulmans se dotent d’un organisme apte à diffuser le message authentique de l’islam, celui de la paix et de la fraternité entre les hommes, dans le respect des lois républicaines.
A l’image de la France, les Etats de l’Union européenne s’appliquent à modifier leur législation sur l’immigration ou à en définir une. Si leurs politiques s’accordent sur le chapitre sécuritaire, il n’en va pas de même quant aux modalités de l’intégration et du séjour des populations issues de l’émigration. Ils militent tous pour une politique migratoire restrictive.
Il y a un fossé qui se creuse de plus en plus entre les représentants de l’Etat et les acteurs crédibles du mouvement associatif. Si l’on veut en finir avec cette situation préjudiciable il est temps d’engager un débat de fond avec les représentants du mouvement associatif.
A l’échelle européenne, les politiques menées à l’égard de l’immigration sont marquées par de nombreuses incohérences. En France, à titre d’exemple, l’action publique qu’alimente un discours prônant l’intégration fondée sur l’égalité des citoyens au sein de la République, et donc devant la loi, se trouve en réalité souvent contredite par un arsenal répressif dont l’arbitraire est vécu par notre communauté avec un grand sentiment d’injustice.
Le modèle anglo-saxon qui compose avec les communautés ethniques ou religieuses, le modèle français « d’intégration », laic, est censé ne considérer que les individus indépendamment de leurs origines. Les pouvoirs publics ne peuvent indéfiniment continuer à appliquer une politique discriminatoire dans son volet répressif et ignorer la dimension identitaire dans les modalités de l’intégration de ces populations. C’est ici que se révèlent les contradictions de la politique qui a été menée ces vingt cinq dernières années, prétendument d’intégration républicaine, mais qui en réalité ne laisse qu’une seule alternative : l’assimilation forcée pour celui qui est différent ou la marginalisation avec son cortège de dérives et de désespoir.
C’est précisément ce que refusent les jeunes issus de l’émigration dont la grande majorité tend de plus en plus à adopter les normes qui régulent le comportement au sein de la société. Afin d’accéder aux marches supérieures de la hiérarchie sociale, ils investissent tous les secteurs de la vie économique et sociale. Alors que les politiques publiques réduisent bien souvent leur culture d’origine à un aspect archaïque et folklorique, les nombreux voyages vers les pays d’origine des parents chaque année et l’apprentissage de la langue des parents à l’école, en extra-scolaire ou dans les mosquées, témoignent s’il en est de leur volonté de ne pas se couper de leurs liens ancestraux. Les interrogations sur l’intégration ne doivent cependant pas occulter quelques réussites spectaculaires. Elles sont d’autant plus méritoires que leurs auteurs ont dû puiser dans leurs dernières ressources la force de caractère pour franchir les innombrables obstacles sur lesquels ils auraient dû normalement trébucher. Les médias se font d’ailleurs régulièrement l’écho de l’ascension des jeunes issus de l’émigration parmi l’élite sportive mondiale, et dans les milieux artistiques et littéraires. Ils n’hésitent pas à affirmer publiquement l’attachement à leur racines et à leur identité, et rendre hommage à l’éducation et aux valeurs transmises par leurs parents et auxquelles ils attribuent souvent la vertu de leur avoir ouvert les portes du succès.
Plus largement, l’ensemble de ces phénomènes devraient interpeller les gouvernements européens pour sortir de l’impasse dans laquelle est en train de les mener la frénésie sécuritaire et répressive ambiante, consécutive à une situation internationale perçue comme menaçante, et dont les amalgames injustes entre immigration, insécurité et terrorisme, entretenus auprès de l’opinion publique, ne favorisent pas une voie harmonieuse à l’intégration des populations issues de l’émigration. Compte tenu du poids de plus en plus important des populations issues de l’émigration dans tous les secteurs économiques, l’impatience de l’opinion publique, face aux atermoiements politiques et à la fluctuation des mesures prises par les pouvoirs publics à l’endroit de ces populations, peut conduire à un vote protestataire.
L’immigration, désirée économiquement dans certains secteurs, est politiquement, socialement et culturellement mal acceptée, recluse dans les zones sensibles.
En France, en même temps qu’on multiplie les barrières qui maintiennent les populations issues de l’émigration dans un équilibre psychologique et social précaire, livrées à l’insécurité dont elles sont la cible privilégiée, à la périphérie de la citoyenneté, on reproche à ces mêmes populations de ne pas s’impliquer suffisamment dans le processus d’intégration. On est alors outré d’entendre La Marseillaise sifflée au Stade de France par des jeunes, pour la plupart nés et ayant grandi en France, qui prennent le parti de l’équipe algérienne contre l’équipe championne du monde en titre. Au lieu de chercher à percer dans leur réalité quotidienne les raisons qui ont poussé ces jeunes à s’identifier au faible pour s’opposer à l’hégémonie du puissant, on préfère entretenir l’idée au sein de l’opinion qu’ils refusent de s’intégrer à la société. Cette réaction révèle en fait l’aveu d’un échec, celui de la politique d’assimilation. Mais à travers l’Union européenne, selon la conception que chaque Etat se forme de la communauté nationale, le déploiement des politiques d’intégration s’opère de manière différente et divergente. Ces orientations contrastées, qui tendent de plus en plus à apporter une réponse répressive aux problèmes posés, ont d’importantes répercutions sur le droit de la nationalité, la participation à la vie nationale, l’étendue de la protection sociale, le programme éducatif. C’est toute la problématique des perspectives d’avenir d’une communauté issu de l’émigration qui reste entièrement posée.
ABDEL-HAKIM BOUFRIOUA
EX VICE-PRESIDENT DU MOUVEMENT REPERES