« Face à l’islam radical, l'Europe est comme un dattier qui se dépouille... »
par Ayaan Hirsi Ali, Le Figaro Magazine, Samedi 18 novembre 2006
Il y a deux ans, le réalisateur Théo van Gogh était égorgé dans une rue d'Amsterdam au nom de l'islamisme radical. J'avais participé à sa dernière œuvre, Soumission, retraçant au plus juste la condition des femmes musulmanes : tyrannie, humiliations, violences. Dans ce film, nous montrions des musulmanes enfin rebelles, dialoguant avec Dieu sur le ton du défi.
Cela a fait hurler de haine l'imam Fawaz, de La Haye, qui s'est livré à un prêche vengeur. Mon ami Théo, « salaud criminel », a été criblé de balles et achevé au poignard.
En ce début de novembre 2006 s'est ouvert aux Pays-Bas le procès des membres du réseau islamiste. Et c'est toute une société qui s'interroge aujourd'hui sur l'intégration de ses immigrés... Je réside désormais aux Etats-Unis - j'y suis sous bonne garde - mais résonnent encore à mes oreilles les invectives de l'imam appelant au châtiment de Théo, et promettant pour moi une malédiction divine sous forme de cécité doublée d'un cancer de la langue et du cerveau...
Le temps a passé. Après une mauvaise querelle sur ma naturalisation néerlandaise et ma démission du Parlement de La Haye, j'ai été rapidement réhabilitée. Me voici de nouveau citoyenne des Pays-Bas, émigrée en Amérique. Quoi qu'on en dise, les Etats-Unis demeurent à beaucoup d'égards les champions de la liberté : à l'American Enterprise Institute de Washington, j'ai plus de temps et de moyens pour diffuser mes idées. On me demande sans arrêt ce que cela fait de vivre avec de perpétuelles menaces de mort. Cette question m'est le plus souvent posée par des Occidentaux, avec la naïveté de ceux qui considèrent la vie comme naturellement acquise- Née en Somalie, fille d'un opposant à la dictature de Siyad Barré, j'ai grandi dans mon pays, puis en Arabie Saoudite et au Kenya, dans un environnement où la mort s'invitait sans cesse. Un virus, une bactérie, un parasite, une sécheresse, une famine, une guerre civile, des soldats, des tortionnaires : elle pouvait prendre toutes les formes et frapper n'importe qui, n'importe quand. Lorsque j'ai eu la malaria, je m'en suis relevée. Lorsqu'on m'a excisée, ma blessure a cicatrisé.
Lorsque mon professeur de Coran m'a fracturé le crâne, les médecins m'ont sauvée. Un bandit a appuyé la lame d'un couteau contre ma gorge : je suis encore vivante, et plus que jamais insoumise. Je me souviens de l'Arabie Saoudite où, sous le couvert de pureté, le moindre de nos gestes était hanté par le péché et la peur : pendaisons, mains coupées, femmes asservies, lapidées, tel était et demeure le quotidien de ce pays. Le respect littéral des paroles du prophète est incompatible avec les droits de l'homme, en contradiction avec la philosophie libérale.
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